Haaretz, 17 novembre 2005
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S’il a fallu aussi impérativement l’intervention
personnelle de Condoleeza Rice pour parvenir à un fragile
arrangement technique, quelles sont les chances de voir une réelle
avancée du processus de paix ?
Le
Ministre de la défense, Shaul Mofaz, devait soit déborder
d’ironie soit s’abandonner à une bonne dose d’illusion pour
qualifier le diktat du « Passage de Rafah » de « nouvelle étape dans la série des dispositions qui fondent la confiance
face aux Palestiniens ». Les vingt semaines
d’obstination israélienne sur des dispositions dont tout le but
était de montrer aux Palestiniens qui était le maître, ont fait
sortir de ses gonds même un Juif chaleureux et sage comme James
Wolfensohn*.
Le
Ministre de la défense et ses subordonnés n’ont pas hésité à
recourir à divers modes de harcèlement et à porter aux
Palestiniens des coups économiques dévastateurs. Maintenant que
Condoleeza Rice a décidé de lui démontrer qui était vraiment le
maître, Mofaz s’incline mais essaie d’expliquer sa soumission
comme un consentement au besoin américain d’un résultat. Les
Palestiniens ne l’intéressent pas ; s’il avait voulu des
relations établissant la confiance avec eux, il aurait depuis
longtemps approuvé les arrangements de l’accord de Rafah sans les
fortes pressions américaines.
Les
Palestiniens n’intéressent pas les Américains non plus et, n’était
le besoin désespéré de Rice d’arriver à un résultat
quelconque à des fins de relations publiques, cet accord n’aurait
jamais vu le jour. La dernière des choses à intéresser le président
des Etats-Unis serait d’alimenter l’illusion qu’après le précédent
de Rafah, d’autres initiatives américaines viendront faire
avancer le processus. Et déjà on rassure la population, en Israël,
sur le fait que l’accord de Rafah est « le
dernier pas » avant de longs mois de période électorale.
Il
ne faut pas minimiser l’importance de « l’accord
de Rafah » qui constitue bien un précédent significatif :
c’est la première fois qu’Israël perd le contrôle absolu sur
l’enveloppe externe le long de ses frontières internationales et
permet aux Palestiniens d’instaurer une relation avec le monde extérieur
sans intermédiaire. L’accord de Rafah est contraire au plan de désengagement
de Gaza tel qu’il a été approuvé par le Parlement israélien et
selon lequel : « Israël surveillera et gardera l’enveloppe extérieure en terre ferme ».
Les dispositions fixées pour Rafah sont susceptibles d’être, par
rapport à la cristallisation d’un état palestinien, davantage
porteuses de sens que de vaines paroles portant sur la « Feuille
de route » : celui qui a le contrôle effectif sur
les entrées dans son territoire et les sorties de son territoire
accomplit un pas important vers la réalisation de sa revendication
de souveraineté, et le fait d’avoir ancré le droit à un libre
passage (quoiqu’organisé par convois) entre la Cisjordanie et la
Bande de Gaza renforce l’affirmation que les deux parties du
territoire palestinien sont inséparables.
Mais
précisément du fait de l’importance de cet accord au niveau des
principes, on peut s’attendre à ce que surgissent bien des
difficultés dans sa mise en œuvre. L’establishment israélien de
la défense ne pardonne pas quand il se voit imposer un « repli
honteux » par plus fort que lui et il faut s’attendre à
ce que, sous le masque de considérations sécuritaires, il lance
des tentatives visant à saboter l’accord avec les instruments qui
sont à sa disposition. Le principal de ces instruments étant le
contrôle sur la base de données de l’état civil palestinien et
la menace permanente d’écarter la Bande de Gaza de l’enveloppe
douanière commune.
Israël
dispose d’un moyen plus efficace encore pour neutraliser cette brèche
faite dans l’enveloppe extérieure et il consiste à durcir les
frontières intérieures entre la Bande de Gaza et Israël, entre
Israël et la Cisjordanie et aussi à l’intérieur de la
Cisjordanie elle-même. Jadis le contrôle sur l’enveloppe extérieure
était vital pour Israël parce qu’il constituait une condition préalable
à l’existence de « frontières
douces » à l’intérieur du pays, permettant le déplacement
(relativement) libre des personnes et des marchandises. La clôture
autour de Gaza et la fermeture des passages d’Erez et de Karni, la
« clôture de sécurité »
en Cisjordanie et le régime des barrages ont diminué
l’importance du contrôle sur l’enveloppe extérieure.
Un
Palestinien non enregistré dans le registre palestino-israélien
d’identification n’ira pas loin. Il sera arrêté au premier
barrage intérieur, ou au second ; et il a déjà été annoncé
que les convois de Gaza vers la Cisjordanie suivraient trois routes
différentes correspondant au partage de la Cisjordanie en trois
cantons qui voient les communications entre eux progressivement barrées.
Les Palestiniens paieront dans une large mesure la liberté qu’ils
ont gagnée à Rafah par un resserrement de la contrainte intérieure
et cela simplement parce que l’establishment israélien de la défense
voudra montrer qui est le maître.
Quelqu'un
du Département d’Etat américain s’est vanté aux oreilles
d’un journaliste du « New York Times » de ce que
« l’essentiel de la diplomatie revient à identifier les choses qui sont
mûres pour le changement et le sentiment était que c’était
maintenant le moment de tirer profit de la situation ».
Effectivement, on peut se féliciter de ce que la pression américaine
ait conduit à la conclusion d’un accord important au plan des
principes. Mais on peut aussi méditer la question suivante :
s’il a fallu aussi impérativement l’intervention personnelle de
Rice et une pression massive pour parvenir à un fragile arrangement
technique, quelles sont les chances de voir une réelle avancée du
processus de paix ?
*
Ancien
président de la Banque mondiale, il a été nommé représentant spécial
du quartette (Etats-Unis, Russie, ONU, Union européenne) pour
superviser les réformes économiques et politiques de l'Autorité
palestinienne. (NdT)
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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