Palestine - Solidarité

   



Le précédent de Rafah
Meron Benvenisti

 


Haaretz, 17 novembre 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=646736

Version anglaise : www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=benvenisti&itemNo=646460

S’il a fallu aussi impérativement l’intervention personnelle de Condoleeza Rice pour parvenir à un fragile arrangement technique, quelles sont les chances de voir une réelle avancée du processus de paix ?

Le Ministre de la défense, Shaul Mofaz, devait soit déborder d’ironie soit s’abandonner à une bonne dose d’illusion pour qualifier le diktat du « Passage de Rafah » de « nouvelle étape dans la série des dispositions qui fondent la confiance face aux Palestiniens ». Les vingt semaines d’obstination israélienne sur des dispositions dont tout le but était de montrer aux Palestiniens qui était le maître, ont fait sortir de ses gonds même un Juif chaleureux et sage comme James Wolfensohn*.

Le Ministre de la défense et ses subordonnés n’ont pas hésité à recourir à divers modes de harcèlement et à porter aux Palestiniens des coups économiques dévastateurs. Maintenant que Condoleeza Rice a décidé de lui démontrer qui était vraiment le maître, Mofaz s’incline mais essaie d’expliquer sa soumission comme un consentement au besoin américain d’un résultat. Les Palestiniens ne l’intéressent pas ; s’il avait voulu des relations établissant la confiance avec eux, il aurait depuis longtemps approuvé les arrangements de l’accord de Rafah sans les fortes pressions américaines.

Les Palestiniens n’intéressent pas les Américains non plus et, n’était le besoin désespéré de Rice d’arriver à un résultat quelconque à des fins de relations publiques, cet accord n’aurait jamais vu le jour. La dernière des choses à intéresser le président des Etats-Unis serait d’alimenter l’illusion qu’après le précédent de Rafah, d’autres initiatives américaines viendront faire avancer le processus. Et déjà on rassure la population, en Israël, sur le fait que l’accord de Rafah est « le dernier pas » avant de longs mois de période électorale.

Il ne faut pas minimiser l’importance de « l’accord de Rafah » qui constitue bien un précédent significatif : c’est la première fois qu’Israël perd le contrôle absolu sur l’enveloppe externe le long de ses frontières internationales et permet aux Palestiniens d’instaurer une relation avec le monde extérieur sans intermédiaire. L’accord de Rafah est contraire au plan de désengagement de Gaza tel qu’il a été approuvé par le Parlement israélien et selon lequel : « Israël surveillera et gardera l’enveloppe extérieure en terre ferme ». Les dispositions fixées pour Rafah sont susceptibles d’être, par rapport à la cristallisation d’un état palestinien, davantage porteuses de sens que de vaines paroles portant sur la « Feuille de route » : celui qui a le contrôle effectif sur les entrées dans son territoire et les sorties de son territoire accomplit un pas important vers la réalisation de sa revendication de souveraineté, et le fait d’avoir ancré le droit à un libre passage (quoiqu’organisé par convois) entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza renforce l’affirmation que les deux parties du territoire palestinien sont inséparables.

Mais précisément du fait de l’importance de cet accord au niveau des principes, on peut s’attendre à ce que surgissent bien des difficultés dans sa mise en œuvre. L’establishment israélien de la défense ne pardonne pas quand il se voit imposer un « repli honteux » par plus fort que lui et il faut s’attendre à ce que, sous le masque de considérations sécuritaires, il lance des tentatives visant à saboter l’accord avec les instruments qui sont à sa disposition. Le principal de ces instruments étant le contrôle sur la base de données de l’état civil palestinien et la menace permanente d’écarter la Bande de Gaza de l’enveloppe douanière commune.

Israël dispose d’un moyen plus efficace encore pour neutraliser cette brèche faite dans l’enveloppe extérieure et il consiste à durcir les frontières intérieures entre la Bande de Gaza et Israël, entre Israël et la Cisjordanie et aussi à l’intérieur de la Cisjordanie elle-même. Jadis le contrôle sur l’enveloppe extérieure était vital pour Israël parce qu’il constituait une condition préalable à l’existence de « frontières douces » à l’intérieur du pays, permettant le déplacement (relativement) libre des personnes et des marchandises. La clôture autour de Gaza et la fermeture des passages d’Erez et de Karni, la « clôture de sécurité » en Cisjordanie et le régime des barrages ont diminué l’importance du contrôle sur l’enveloppe extérieure.

Un Palestinien non enregistré dans le registre palestino-israélien d’identification n’ira pas loin. Il sera arrêté au premier barrage intérieur, ou au second ; et il a déjà été annoncé que les convois de Gaza vers la Cisjordanie suivraient trois routes différentes correspondant au partage de la Cisjordanie en trois cantons qui voient les communications entre eux progressivement barrées. Les Palestiniens paieront dans une large mesure la liberté qu’ils ont gagnée à Rafah par un resserrement de la contrainte intérieure et cela simplement parce que l’establishment israélien de la défense voudra montrer qui est le maître.

Quelqu'un du Département d’Etat américain s’est vanté aux oreilles d’un journaliste du « New York Times » de ce que « l’essentiel de la diplomatie revient à identifier les choses qui sont mûres pour le changement et le sentiment était que c’était maintenant le moment de tirer profit de la situation ». Effectivement, on peut se féliciter de ce que la pression américaine ait conduit à la conclusion d’un accord important au plan des principes. Mais on peut aussi méditer la question suivante : s’il a fallu aussi impérativement l’intervention personnelle de Rice et une pression massive pour parvenir à un fragile arrangement technique, quelles sont les chances de voir une réelle avancée du processus de paix ?

* Ancien président de la Banque mondiale, il a été nommé représentant spécial du quartette (Etats-Unis, Russie, ONU, Union européenne) pour superviser les réformes économiques et politiques de l'Autorité palestinienne. (NdT)

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

 


 Source : Michel Ghys


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