Alors que le monde salue le parachèvement
du plan Sharon, dont Mme Shahid se félicite également,
la responsable palestinienne tire néanmoins la sonnette
d’alarme : « Le retrait de Gaza n’est
qu’un écran de fumée pour cacher l’extension de la
colonisation en Cisjordanie . »
Concernant le chaos sécuritaire qui règne
actuellement dans la bande de Gaza, Mme Shahid en
impute la responsabilité à l’État hébreu et à sa
stratégie pernicieuse visant à « atomiser le tissu
social » de cette bande de terre
palestinienne.L’interview recueillie par Émilie SUEUR
Dans un entretien avec « L’Orient-Le
Jour », la déléguée générale de Palestine en
France évoque l’après-retrait.
Leila Shahid : L’évacuation de
Gaza est un écran de fumée Une semaine. Tel aura été
finalement le temps nécessaire aux soldats israéliens
pour mettre fin à 38 ans d’occupation par les colons
des terres palestiniennes de Gaza.
Le plan de retrait unilatéral d’Ariel
Sharon parachevé, Leila Shahid, déléguée générale de
Palestine en France, revient sur la stratégie du Premier
ministre israélien et tire la sonnette d’alarme quant
à ses projets concernant la Cisjordanie. Au lendemain du
retour à Paris du preneur de son français, retenu une
semaine durant en otage à Gaza, elle revient également
sur les causes du chaos sécuritaire qui sévit en ce
moment dans ce territoire palestinien.
Jusqu’à la mi-août, les pires scénarios
ont été évoqués quant à l’application du plan
Sharon pour l’évacuation des 21 colonies de Gaza et de
4 colonies de Cisjordanie. Or, une semaine après son coup
d’envoi, le plan est achevé.
Quel bilan tirez-vous de
cette opération ?
« Nous ne pouvons que nous féliciter
des bonnes conditions du déroulement de ce plan qui
s’est achevé plus rapidement que prévu. Ceci est le résultat
d’un travail de coopération sécuritaire de fait entre
l’armée israélienne et l’Autorité palestinienne, même
si Ariel Sharon continue de qualifier son plan de “redéploiement
unilatéral”. Nous avons en effet déployé plus de 7
500 policiers car nous pensions qu’il était très
important, pour l’avenir, que ce retrait se fasse dans
les meilleures conditions. »
Certains ont parlé
d’une mise en scène du retrait israélien.
« Je pense que le gouvernement israélien
a un peu “gonflé”, avant la mise en œuvre du plan,
la menace que posaient les colons. Mais, si leur réaction
a été effectivement ferme et passionnée, les colons ont
très bien compris qu’ils ne pouvaient résister à une
décision entérinée par le gouvernement et par le
Parlement. Ils ne souhaitaient pas, en outre, ternir un
peu plus encore leur image au sein de la société israélienne.
Israël, de son côté, a également
profité de l’occasion pour redorer son blason. Les méthodes
employées étaient en effet très différentes de celles
généralement mises en œuvre contre les Palestiniens,
confrontés à des soldats armés de M16 et à des tanks
venus raser leurs maisons.
Il n’en demeure pas moins que, pour les
Palestiniens, ce retrait est très positif car c’est la
première fois, en 38 ans, qu’Israël démantèle des
colonies. Ce retrait, sa rapidité et les conditions dans
lesquelles il s’est réalisé crée un précédent
prouvant que si la volonté politique est là, les forces
d’occupation israéliennes peuvent rapidement libérer
un territoire. »
Comment, précisément,
expliquez-vous que la volonté politique ait été à
l’ordre du jour ?
« Pour trois raisons. D’abord,
Ariel Sharon a été contraint de reconnaître qu’il
n’y avait pas moyen de gagner militairement contre les
Palestiniens. Depuis le début de la deuxième intifada,
nous avons subi une répression militaire inégalée en 57
ans de pouvoir israélien. Et pourtant, la résistance
militaire et civile s’est poursuivie.
Ensuite, Ariel Sharon a compris qu’il ne
pouvait rester dans cette situation de paralysie totale.
Au sein de sa propre armée, qui devait mobiliser 1 500
soldats pour protéger les 8 000 colons de Gaza, a commencé
à se faire sentir un véritable ras-le-bol incarné par
le mouvement des “refuzniks”. Ensuite, le mouvement
pour la paix en Israël a senti qu’il devait recommencer
à s’exprimer. Les États-Unis se sont également
rapprochés des Européens sur la nécessité de revenir
à un processus de paix avec la promotion de la “feuille
de route” en 2003.
D’où l’élaboration de cette stratégie
très intelligente, incarnée par les déclarations du
conseiller d’Ariel Sharon, Dov Weissglass, au Haaretz :
réagir avant que la pression internationale ne devienne
trop forte. Pour ne pas être contraint de mettre en œuvre
la “feuille de route”, Ariel Sharon a jeté à la
communauté internationale un os à ronger : le plan
unilatéral de retrait. De quoi plonger le processus de
paix dans le formol et empêcher la création d’un État
palestinien viable en annexant Jérusalem-Est et les blocs
de colonies de Cisjordanie, comme l’a dit Weissglass. »
Précisément, Israël a
ordonné hier la confiscation de nouvelles terres
palestiniennes pour ériger une barrière autour de la
plus grande colonie de Cisjordanie, Maalé Adoumim.
« Le retrait de Gaza est clairement
utilisé comme un écran de fumée pour cacher
l’extension de la colonisation en Cisjordanie. Avec la
poursuite de la construction du mur, qui annexe les trois
blocs de colonies de Ariel, Maalé Adoumim et du Goush
Etzion, la Cisjordanie va être transformée en trois
bantoustans et Jérusalem sera annexée à Israël. Ceci
est une négation totale de la “feuille de route”. Une
feuille de route qui prévoit notamment le gel de la
colonisation. Or une partie des colons de Gaza évacués
la semaine dernière sont partis s’installer dans les
colonies de Cisjordanie. Et on continue de parler de
Sharon comme s’il était Charles de Gaulle !
C’est surréaliste ! »
En ce qui concerne Gaza, où
en sont les négociations autour des frontières, de l’aéroport,
du port... ?
« Toutes les réunions depuis
l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas n’ont rien donné
de sérieux sur le plan bilatéral.
Aujourd’hui, sur Gaza, nous n’avons
aucune réponse à nos questions. Ni sur le passage entre
l’Égypte et Rafah, ni sur celui d’Erez vers la
Cisjordanie, alors que les accords d’Oslo prévoient un
corridor, ni sur l’aéroport, dont la piste a été détruite,
ni sur l’accès aux zones maritimes. Nous avons
seulement repris les discussions sur le port. Mais tout le
monde sait que la construction d’un port nécessite au
moins cinq ans de travaux.
Or Gaza ne recèle aucune ressource
naturelle. Le seul moyen de relancer l’économie est le
commerce, ce qui nécessite une liberté de circulation
des capitaux, des biens et des personnes. Les Israéliens
et les Américains ont toujours reporté ces points de
discussions à l’après-retrait. Aujourd’hui, il n’y
a plus d’excuses. »
Quel est le rôle de la
communauté internationale dans ce contexte ?
« La situation actuelle n’est pas
seulement la conséquence d’un échec des Israéliens et
des Palestiniens. La responsabilité de la communauté
internationale est également en cause. Or, les Européens
considèrent toujours Israël comme l’État des
survivants du génocide de la Seconde Guerre mondiale, et
les États-Unis comme leur cinquante et unième État. Ça
les paralyse.
Aujourd’hui, toutefois, je sens une
prise de conscience au niveau international du fait que la
crise mondiale actuelle qui mène à un tel radicalisme
dans le monde arabo-musulman n’est pas étrangère à la
colère des opinions publiques par rapport à la
non-application du droit en Palestine. Aujourd’hui, la
balle est dans le camp du quartette. »
Côté palestinien, nous
avons assisté à une série d’affrontements et d’enlèvements,
notamment d’étrangers, dans la bande de Gaza. Comment
expliquez-vous cette situation ?
« La situation dans la bande de Gaza
est effectivement très inquiétante. Elle résulte de
quatre années d’une stratégie pernicieuse israélienne
visant à atomiser la société palestinienne, à
fragmenter le tissu social. Prétextant la nécessité
d’empêcher la circulation de kamikazes, les autorités
israéliennes ont érigé des barrages autour des villes,
villages et camps de réfugiés. Si, avant 2001, nous
pouvions organiser par exemple des réunions communes de
toutes les branches du Fateh, ceci était devenu
impossible ces dernières années. Résultat : la
population s’est repliée sur le plus petit et le plus rétrograde
dénominateur commun, à savoir la famille, le clan. Dans
une société arabe et majoritairement paysanne, ce phénomène
a fait ressortir tous les démons archaïques du
tribalisme et de la vendetta. Et ce d’autant plus que
les infrastructures policières et sécuritaires ont été
systématiquement cassées par les autorités israéliennes.
Nous revenons donc à des pratiques qui avaient disparu de
Palestine depuis 40 ans. Il n’est pas aisé de
reconstruire une autorité réelle rapidement, mais nous
sommes déterminés à le faire. »
Depuis plusieurs semaines,
les visites de responsables palestiniens au Liban se
multiplient. Quelle en est la raison ?
« Au Liban, en raison de
l’histoire de la guerre civile et de l’équilibre des
communautés confessionnelles, la situation des réfugiés
palestiniens est absolument tragique. Nous avons toutefois
senti, depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas,
une volonté de la part des autorités libanaises d’améliorer
la situation. Il ne faut en outre absolument pas avoir
peur d’une installation des réfugiés. Nous ne
renoncerons jamais au droit au retour et à la résolution
194. En attendant, nous devons bénéficier de droits
civiques. Il faut également qu’un interlocuteur
palestinien soit désigné au Liban. »
Ces visites ne sont-elles
pas liées à la résolution 1559 qui prévoit le désarmement
des groupes armés au Liban ?
" La résolution 1559 n’est pas le
centre de tout. Mais typiquement, c’est pour traiter de
ce genre de sujets qu’il faut un représentant officiel
palestinien."