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L’Autorité [anti-] palestinienne
Joseph Massad *

 

on Al-Ahram Weekly online

http://weekly.ahram.org.eg/2006/799/op11.htm

Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft.

 

[« La véritable fracture, au sein de la société palestinienne, est celle qui sépare ceux qui se battent pour conserver leurs privilèges de classe hérités d’Oslo, et leurs opposants, qui défendent les fondamentaux de la cause palestinienne », écrit Joseph Massad.]

 

Parmi les principales mesures prises par les architectes israéliens et palestiniens des accords d’Oslo afin de garantir la survie structurelle de ce qu’il est convenu d’appeler le « processus de paix », on relèvera la création de structures, d’institutions et de classes qui leur sont directement liées et qui sont en mesure de survivre y compris à l’effondrement des accords eux-mêmes, tout en préservant le « processus » généré par lesdits accords. Cette garantie a été consacrée par la loi et soutenue par un financement international « justifié » par la nécessité d’assurer la continuation du « processus d’Oslo », aussi longtemps qu’il continuera à servir les intérêts d’Israël et des Etats-Unis, ainsi que ceux de l’élite palestinienne corrompue qui l’a avalisé.

Les cinq principales classes créées par les architectes d’Oslo afin d’assurer la pérennité du « processus » sont les suivantes :

- Une classe politique, divisée entre des gens élus pour servir le processus d’Oslo – qu’il s’agisse du Conseil législatif palestinien ou de l’exécutif (pour l’essentiel, le président de l’Autorité palestinienne) –, et ceux qui ont été désignés afin de servir ceux qui sont élus, soit dans les ministères, soit dans le cabinet présidentiel.

 - Une classe de flics, comptant des dizaines de milliers de membres, dont la fonction est de défendre le processus d’Oslo contre tous les Palestiniens désireux de le saper. Cette classe se partage entre plusieurs services de sécurité et de renseignement en concurrence entre eux et qui, tous, veulent démontrer qu’ils sont plus aptes les uns que les autres à neutraliser toute menace contre le processus d’Oslo. Sous l’autorité d’Arafat, des membres de cette classe ont inauguré leur entrée en fonction en fusillant quatorze Palestiniens qu’ils considéraient ennemis du « processus », à Gaza, en 1994. Cet exploit leur valut le respect initial des Américains et des Israéliens, qui insistèrent auprès de la classe de flicage, en lui demandant d’utiliser plus de répression qu’elle ne le faisait, afin d’être plus efficace.

 - Une classe bureaucratique, attachée à la classe politique et à la classe-flic, qui constitue un corps administratif de dizaines de milliers d’agents qui exécutent les ordres des élus et des nommés au service du « processus ».

- Une classe d’ONG [organisations non-gouvernementales] : autre classe bureaucratique et technocratique, dont les finances dépendent totalement de leur efficacité à servir le processus d’Oslo et à en assurer le plein succès grâce à leur planification et à leurs prestations de services.

- Une classe d’affairistes, composée d’hommes d’affaires palestiniens expatriés ainsi que d’hommes d’affaires encore sur place, dont, en particulier, des membres des classes politique, policière et bureaucratique – dont les revenus sont tirés de leur investissement dans le processus d’Oslo et de marchés lucratifs que, seule, l’Autorité palestinienne peut rendre possible.

Alors que la classe ONG ne reçoit pas d’argent de l’Autorité palestinienne, étant donné qu’elle bénéficie de largesses de gouvernements étrangers et d’organisations non-gouvernementales étrangères, structurellement liées au processus d’Oslo, les classes politique, policière et bureaucratique reçoivent tous leurs financements – légitimes et illégitimes – directement de l’Autorité palestinienne. En liant la vie matérielle de dizaines de milliers de Palestiniens aux processus d’Oslo, ses architectes leur donné un contrôle crucial sur sa pérennité, même, en particulier, au cas où ce processus s’avérait dans l’incapacité de produire le moindre résultat politique. Pour l’élite palestinienne qui a pris en charge l’Autorité, la principale tâche, depuis le début, a consisté à s’assurer que le processus d’Oslo continue bien (sans égard à la question de savoir s’il produit de quelconques résultats, ou non) et que ladite élite reste bien aux manettes de toutes les institutions en garantissant la survie. Ce que l’élite n’a pas prévu, c’est qu’elle pouvait éventuellement perdre le contrôle au profit du Hamas – opposant notoire au processus d’Oslo – qui, conformément à l’attente, avait boycotté les élections de 1994 concoctées et contrôlées par le Fatah. Les élections de 2006, qu’encore une fois le Fatah était certain de remporter, ont représenté un tremblement de terre qui pourrait bien détruire toutes ces garanties structurelles et, avec elles, le « processus » qu’elles étaient ontologiquement chargées de protéger.

Si, sous l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine], la « cause » (nationale palestinienne) était en principe ce à quoi les Palestiniens étaient le plus attachés, sous l’Autorité palestinienne, c’était au « processus » que les Palestiniens étaient priés de se dévouer. C’est dans ce contexte que les incitations financières à rejoindre une des classes que nous avons indiquées étaient censées garantir que les Palestiniens allaient demeurer fidèles au processus. La récente panique manifestée par les classes politique, policière et bureaucratique de l’Autorité palestinienne est directement liée à leur perception qu’à moins qu’elles ne renversent la victoire du Hamas, leur pérennité même de classes bénéficiaires sera remise en cause. De fait, même des intellectuels et des technocrates appartenant à la classe des ONG expliquent d’ores et déjà que la victoire du Hamas n’a pas été aussi importante qu’on avait pu le penser dans un premier temps, pour peu que l’on recourre à une analyse méticuleuse circonscription par circonscription, etc., tout en prodiguant leurs avis et leurs conseils aux trois classes de l’Autorité palestinienne sur la manière de saper le pouvoir du Hamas. La classe affairiste palestinienne s’est, quant à elle, réunie à Londres, essentiellement aux fins d’exhorter le Hamas à soutenir [lui aussi], le « processus ». 

Ainsi, dès la victoire électorale du Hamas, des membres de la classe politique ont commencé à rencontrer (ouvertement, mais aussi secrètement) des responsables américains et israéliens pour étudier les moyens de le saper. Ces plans allaient rapidement impliquer des pays arabes voisins tout aussi serviles que l’Autorité palestinienne elle-même vis-à-vis des intérêts israéliens et américains. La classe politique de l’Autorité palestinienne ne se préoccupait plus de savoir si son jeu commençait à être connu par l’opinion publique : d’où l’arrestation spectaculaire d’un responsable du Hamas au motif qu’il introduisait des dons étrangers à Gaza – une infraction pour laquelle il n’aurait jamais été arrêté, eût-il respecté la traditionnelle corruption du Fatah et des responsables de l’Autorité palestinienne qui, bien loin d’introduire des fonds à Gaza, volent régulièrement l’argent public palestinien et l’en exfiltrent ! La classe policière est accourue dare-dare afin de réaffirmer son pouvoir, démontrant qu’elle n’est rien d’autre qu’un ensemble de gangs de malfrats entièrement voués à la répression des Palestiniens, au service du processus. La bureaucratie refusa de coopérer avec des responsables du Hamas, et elle se mit à les menacer et à leur interdire l’accès à leurs propres bureaux ministériels ! La dernière attaque contre les bureaux du Premier ministre et le bâtiment du Conseil législatif palestinien, à Ramallah, qui ont été incendiés, indiquent clairement que ces trois classes créées par l’Autorité palestinienne feront absolument tout et n’importe quoi pour assurer la continuation du flot de leurs prébendes découlant d’Oslo.

Le fait souvent évoqué que des dizaines de milliers de fonctionnaires de l’Autorité palestinien ne percevaient plus leur salaire aurait sans doute ému davantage la population palestinienne eût-elle été elle-même régulièrement payée… La majorité des Palestiniens percevant des revenus minuscules – quand ils en perçoivent – depuis le début de la deuxième Intifada, la situation des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne fut perçue, à juste titre, comme nullement unique, ni en quoi que ce soit plus tragique que celle des autres Palestiniens. En réalité, c’est même le fait que les classes bénéficiaires d’Oslo se retrouve à la même enseigne que le reste de la population palestinienne – qui représente, de fait, les classes lésées par Oslo – qui semble mettre hors d’elles les classes de l’Autorité palestinienne… Par conséquent, ces classes sont déterminées à éviter de perdre leurs privilèges de classe, à n’importe quel prix.

Et, de fait, la victoire électorale du Hamas est en train d’aider à unifier le Fatah, qui était en proie aux divisions et aux tiraillements internes avant les élections, à tel point qu’encore en janvier dernier, il se disait, entre éléments du Fath, que si Mahmûd ‘Abbâs ajournait les élections, ils l’assassineraient. ‘Abbâs, qui, contrairement à ‘Arafât, n’a pas de soutien au niveau de la base du Fatah, a les mains plus libres que le dirigeant disparu pour marchander avec les Américains et les Israéliens la garantie de la poursuite du « processus ». Le Fatah est en train de se rallier à ‘Abbâs, exactement de la même manière que ‘Abbâs se rallie à lui. De fait, ‘Abbâs a récemment fait la paix avec ce qu’on considère comme la gauche de l’OLP – qu’à l’instar d’Arafât, avant lui, il a continué à démanteler – en se rabibochant avec Farûq al-Qaddûmiyy et Suhâ ‘Arafât, après des mois de bouderie. Toutefois, on ne voit pas encore clairement si l’Autorité palestinienne va recommencer à payer Suhâ et sa fille au moyen de chèques de plusieurs millions de dollars. Même le turbulent Muhammad Dahlân, qui voudrait tout le gâteau pour lui, est en train de voler au secours de ‘Abbâs.

‘Abbâs, qui est en train de consolider et de centraliser l’autorité dans ses propres mains pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, a même créé récemment une garde prétorienne chargée d’assurer sa sécurité en tant que gardien suprême (peut-être devrait-on parler de parrain ?) du « processus ». Israël s’est précipité pour autoriser l’entrée d’armes dans les territoires occupés afin d’équiper cette nouvelle force répressive. Comme cela ressort clairement des déclarations de ‘Abbâs, l’unique fois où il élève la voix contre les Israéliens, c’est quand Ariel Sharon, puis Ehud Olmert, menacent de mettre un terme au « processus » par une action unilatérale. Sinon, ‘Abbâs s’est toujours montré tout à fait réceptif à toute proposition israélo-américaine.

De son côté, le Hamâs joue un rôle qui n’est pas sans évoquer Salvador Allende. Comme Allende, le Hamas continue à insister à jouer le jeu démocratique, tandis que ses gangsters et ses malfrats d’opposants ne reculent devant absolument rien dans leurs agissements conspirateurs et traîtres. Il est vrai que l’attaque contre le bureau du Premier ministre Haniyyéh n’a pas eu la magnitude du bombardement du palais de la Moneda, le 11 septembre 1973. Mais les malfrats ont démontré qu’ils sont prêts à aller aussi loin que Pinochet, au service des intérêts du Fatah et d’Israël. En dépit de tout ça, le Hamâs semble avoir fait montre d’une retenue pour moins curieuse. Il aurait pu, par exemple, arrêter la totalité des dirigeants du Fatah (et beaucoup de ses cadres moyens), ainsi que les responsables de l’Autorité palestinienne, pour corruption et haute trahison – délits pour lesquels il dispose de quantité de preuves, ce qui lui aurait permis de les juger au cours d’un procès public et équitable. Il aurait pu mobiliser la population contre ces personnages corrompus au moyen de manifestations, et à travers les médias. Le fait qu’il n’en ait rien fait atteste de sa volonté de préserver un semblant de paix et de ne pas répondre aux provocations annonciatrices d’une guerre civile que l’élite défaite de l’Autorité palestinienne veut provoquer, car elle constituerait un moyen envisageable de ré-instaurer le « processus ».

Tandis que l’Autorité palestinienne et ses classes commensales sont en train de livrer bataille afin de conserver en vie le « processus », les Israéliens ont donné toutes les indications que le « processus » était terminé, à leurs yeux, depuis bien longtemps. Pour eux, le processus d’Oslo était une étape nécessaire, mais historiquement limitée, servant à coopter le leadership palestinien, à renforcer la mainmise israélienne sur les territoires palestiniens volés et à normaliser le statut diplomatique d’Israël dans le monde arabe et dans le monde entier. Les Israéliens ayant obtenu tous ces objectifs, le processus ne leur sert plus à rien. Actuellement, leurs bombardements continuels et leurs assassinats de civils palestiniens ainsi que d’hommes politiques pro- et anti-« processus », en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ne montrent nul signe de rémission. Le processus d’Oslo, qui n’a apporté que calamité après calamité au peuple palestinien, n’a qu’une seule motivation à se poursuivre : la survie des classes de l’Autorité palestinienne qui en sont les uniques bénéficiaires.

Ne vous y trompez pas : c’est autour de cela que tourne la bataille actuelle en Cisjordanie et à Gaza. Ce qui est en jeu, c’est le sort de neuf millions de Palestiniens.

[* L’auteur est professeur assistant de politique et d’histoire intellectuelle arabes contemporaines à l’Université Columbia. Récemment, la maison d’édition Routledge a publié un de ses ouvrages : « The Persistence of the Palestinian Question » (La permanence de la question palestinienne). ]

 


Source : Silvia Cattori


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