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Palestine : une guerre contre
les enfants
John Pilger - Znet
Znet,
17 juin 2006.
Arthur Miller
écrivit « Peu d’entre nous ont la faculté
d’appréhender cette idée qu’une société peut devenir
insensée. L’idée qu’elle peut perdre la tête et punir
autant d’innocents est intolérable. Alors toutes les preuves
doivent être occultées. »
La vérité énoncée
par Miller devint brièvement réalité à la télévision le 9
juin lorsque des navires de guerre israéliens tirèrent
sur des familles en train de pique-niquer sur une plage de
Gaza, tuant sept personnes, dont trois enfants, et trois générations.
Une telle action, soutenue par les Etats-Unis et Israël, relève
de la solution finale appliquée au problème palestinien. Tandis
que les Israéliens tirent des missiles sur des pique-niqueurs
palestiniens et des maisons à Gaza et en Cisjordanie, les deux
gouvernements les affament. Les victimes sont pour la plupart des
enfants.
Cette
politique fut approuvée le 23 mai par la Chambre des Représentants
US, qui vota par 361 voix contre 37 la suppression des aides aux
ONG qui fournissaient les moyens de survie aux territoires occupées.
Israël retient l’argent des revenues et des impôts
Palestiniens qui s’élèvent à 60 millions de dollars par mois.
Une telle punition collective, qualifiée par la Convention de Genève
de crime contre l’humanité, évoque l’étranglement des Nazis
du ghetto de Varsovie et le siège économique instauré par les
Etats-Unis contre l’Irak dans les années 90. Si les auteurs de
ces actes ont perdu l’esprit, comme le suggère Miller, ils
semblent conscients de leur barbarie et affichent leur cynisme. « L’idée
est de mettre les Palestiniens au régime » plaisanta
Dov Weisglass, conseiller auprès du Premier Ministre Israélien,
Ehud Olmert.
Voilà le prix
que les Palestiniens doivent payer pour leurs élections démocratiques,
en janvier. La majorité a voté pour le « mauvais »
parti, le Hamas, que les Etats-Unis et Israël, avec leur
inimitable penchant pour l’ironie, qualifient de terroriste.
Cela dit, le terrorisme n’est pas une excuse pour affamer les
Palestiniens, dont le premier ministre, Ismael Haniyeh, a réitéré
l’engagement du Hamas à reconnaître l’état juif, en échange
uniquement du respect par Israël du droit international et des
frontières de 1967. Israël a refusé parce que, avec leur mur
d’apartheid en cours de construction, ses intentions sont
claires : prendre le contrôle de plus en plus de territoire
palestinien, en encerclant des villages entiers et éventuellement
la ville de Jérusalem.
Israël craint
le Hamas parce qu’il est improbable que le Hamas puisse devenir
un outil pour soudoyer son propre peuple au nom d’Israël. En
fait, le vote pour le Hamas était un vote pour la paix. Les
Palestiniens en avaient assez des échecs et de la corruption de
l’époque Arafat. Selon l’ancien président des Etats-Unis,
Jimmy Carter, dont le Centre Carter supervisa la victoire électorale
du Hamas, « les sondages d’opinion
montrent que 80 pour cent des Palestiniens veulent la paix avec
Israël. »
Quelle ironie,
si l’on considère que la montée du Hamas est due pour une
bonne part au soutien secret d’Israël qui, avec les Etats-Unis
et la Grande-Bretagne, voulaient que les islamistes sapent
l’influence les arabes laïques et leurs rêves « modérés »
de paix. Le Hamas refusa de jouer ce jeu machiavélique et, malgré
les assauts d’Israël, respecta le cessez-le-feu pendant 18
mois. L’attaque israélienne contre la plage de Gaza était
clairement une tentative de saboter le cessez-le-feu. Une tactique
bien minutée.
Désormais,
une terreur d’état sous forme d’un siège médiéval
s’appliquera contre les plus faibles. Pour les Palestiniens, une
guerre contre leurs enfants n’a rien de nouveau. En 2004, une étude
sur le terrain publiée par le British Medical Journal indiquait
que, au cours des quatre années précédentes, « deux
tiers des 621 enfants ... tués (par les israéliens)
aux points de contrôle ... sur le chemin de l’école, chez eux,
sont morts par des tirs d’armes légères, dirigés pour plus de
la moitié vers la tête, le cou, ou la poitrine - la marque
d’un tireur d’élite. » Un quart des enfants
palestiniens de moins de cinq ans sont gravement ou chroniquement
sous-alimentés. Le mur israélien « isolera
97 cliniques et 11 hôpitaux de la population ».
L’étude décrivit
« un homme vivant dans un village encerclé
près de Qalqilya qui s’est approché d’un portail en portant
dans ses bras sa fille gravement malade et a supplié les soldats
en faction de le laisser passer pour l’emmener à l’hôpital.
Les soldats ont refusé. »
A Gaza, désormais
scellé comme une prison en plein air et terrorisé par les
passages des avions de combat israéliens, près de la moitié de
la population est âgée de moins de 15 ans. Le Dr. Khalid Dahlan,
un psychiatre qui dirige un projet communautaire de soins pour
enfants, m’a dit , « le chiffre
statistique que je trouve personnellement insoutenable est celui
des 99,4 pour cent des enfants que nous avons examinés qui
souffrent de traumatismes... 99,2 pour cent ont vu leurs maisons
bombardées ; 97,5 pour cent ont été exposés aux gaz
lacrymogènes ; 96,6 pour cent ont été témoins de tirs ;
un tiers ont vu des membres de leurs familles ou des voisins être
blessés ou tués. »
Ces enfants
souffrent de cauchemars incessants et de « terreurs
nocturnes » et de la dichotomie pour gérer leur propre
situation. D’un côté, ils rêvent de devenir médecins ou
infirmiers « pour pouvoir aider les autres » ;
d’un autre côté, ils sont envhais par des visions
apocalyptiques d’eux-mêmes et se voient comme la prochaine génération
de kamikazes. C’est ce qu’ils ressentent à chaque attaque
Israélienne. Pour certains garçons, leurs héros ne sont plus
des joueurs de foot, mais un mélange de « martyrs »
palestiniens et mêmes d’ennemis « parce
que les soldats Israéliens sont les plus forts et ils ont des hélicoptères
Apaches ».
Punir encore
plus ces enfants dépasse peut-être l’entendement, mais ne
maque pas d’une certaine logique. Depuis des années, les
Palestiniens ont réussi à éviter le piège d’une guerre
civile ouverte, et savent que c’est ce que Israël recherche. La
destruction de leur gouvernement élu accompagnée d’une
tentative de créer une administration parallèle autour du président
Mahmoud Abbas, pourrait bien produire, telle que l’a formulé
l’universitaire d’Oxford Karma Nabulsi, « une
vision Hobbesienne d’une société anarchique ... dirigée par
des milices désespérées, des gangs, des idéologues religieux
et qui serait tombée dans un tribalisme ethnique et religieux,
avec des collaborateurs co-optés. Regardez l’Irak aujourd’hui :
c’est cela que (Ariel Sharon) a prévu pour nous. »
Le combat mené
en Palestine est une guerre Américaine, menée
à partir de la plus puissante base militaire américaine à l’étranger,
à savoir Israël. En occident, nous sommes conditionnés pour ne
pas penser au « conflit » israélo-palestinien en ces
termes, tout comme nous sommes conditionnés à voir les Israéliens
comme des victimes, et non comme des envahisseurs illégaux et
brutaux. Cela ne veut pas dire qu’il faut sous-estimer la
brutalité des actions de l’état d’Israël, mais sans les
F-16 et les Apaches et les milliards de dollars des contribuables
américains, cela fait longtemps qu’Israël aurait signé la
paix avec les palestiniens. Depuis la deuxième guerre mondiale,
les Etats-Unis ont fourni à Israël quelques 140 milliards de
dollars, dont un grande partie en armes. Selon le Service de
Recherches du Congrès, le même budget « d’aide »
devait inclure 28 millions de dollars pour « aider les
enfants (palestiniens) à surmonter le conflit en cours » et
fournir « une aide d’urgence ». Cette aide a fait
l’objet d’un veto.
La comparaison
de Karma Nabulsi avec l’Irak est censée, car c’est la même
« politique » qui est mise en oeuvre là-bas. La
capture d’Abu Musab al-Zarqawi fut un merveilleux événement médiatique :
ce que le philosophe Hannah Arendt appelait « la propagande
sous forme d’action », avec peu d’effets sur la réalité.
Les Américains et leurs alliés ont leur démon - et même un jeu
vidéo pour faire exploser sa maison. La vérité est que Zarqawi
est en grande partie leur propre
création. Sa mort apparente joue un rôle important dans la
propagande, pour détourner l’attention des occidentaux de
l’objectif des américains de transformer l’Irak, comme la
Palestine, en une société impuissante basée sur un tribalisme
ethnique et religieux. Les escadrons
de la mort, formés et entraînés par les vétérans des
guerres « anti-insurrectionnelles » en Amérique
centrale, jouent un
rôle essentiel. Les Commandos Spéciaux de la Police, une création
de la CIA dirigée par d’anciens hauts dirigeants des services
de renseignement du Part Baas de Saddam Hussein, sont peut-être
les plus brutaux. La mort de Zarqawi et les mythes entretenus sur
son véritable importance détournent aussi l’attention des
massacres régulièrement accomplies par l’armée US, comme
celui à Haditha. Même le premier ministre fantoche Nouri
al-Maliki s’est plaint que le comportements meurtriers des
soldats US « sont quotidiens ». Comme je l‘ai appris
au Vietnam, les Américains mènent leurs guerres coloniales sous
la forme de meurtres en série, officiellement qualifiés de
« victimes ».
C’est ce
qu’on appelle une « pacification ». Le parallèle
entre un Irak pacifié et une Palestine pacifiée est évidente.
Comme en Palestine, la guerre en Irak est une guerre contre les
civils, en majorité des enfants. Selon l’UNICEF, l’Irak avait
parmi les meilleurs indicateurs de santé en ce qui concerne les
enfants. A présent, un quart des enfants âgés de six mois à
cinq ans souffrent de sous-alimentation aigue ou chronique, plus
que pendant l’époque des sanctions. Sous l’occupation, la misère
et la maladie augmentent tous les jours.
Au mois
d’avril, à Bassorah, occupée par l’armée britannique, l’ONG
européenne Saving Children from War révéla : « le
taux de mortalité des jeunes enfants a augmenté de 30 pour cent
par rapport à l’époque de Saddam Hussein. » Ils
meurent parce que les hôpitaux n’ont pas de ventilateurs et
l’eau, que les Britanniques sont censés avoir réparé, est
plus polluée que jamais. Les enfants sont victimes des bombes à
fragmentation lancées par les américains et les britanniques.
Ils jouent dans des lieux pollués par l’uranium appauvri ;
en guise de comparaison, il faut savoir que les soldats
Britanniques ne s’y aventurent que recouverts
de combinaisons anti-radiations, le visage couvert, avec des
gants. Contrairement aux enfants qu’ils sont venus « libérer »,
les soldats britanniques sont soumis à ce que le Ministère de la
Défense appelle « un test biologique complet »
Miller
avait-il raison ? Est-ce que nous nous « occultons »
tout cela, où entendons-nous ces voix lointaines ? Lors de
mon dernier voyage en Palestine, j’ai vu, en quittant Gaza, le
spectacle de drapeaux palestiniens flottant au vent à l’intérieur
du mur. Ce sont les enfants. Personne ne leur dit de le faire. Ils
fabriquent des mats à partir de bâtons qu’ils attachent
ensemble, et puis un ou deux d’entre eux grimpent sur le mur et
tiennent un drapeau. Il le font parce qu’ils croient qu’ainsi
le monde saura.
John Pilger
Traduction CSP
http://vdedaj.club.fr
Diffusion autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Source : Znet
www.zmag.org
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