Hares, le 29 septembre 2005
Depuis 1967, la résistance à l'Occupation a abouti à des
milliers d'arrestations dans les Territoires Occupés et
actuellement, on estime à plus de 8 000 le nombre de prisonniers
politiques palestiniens.
Il y a quelque 350 à 400 mineurs de moins de 18 ans et plus de
150 femmes mais ce sont surtout les hommes qui paient le plus
lourd tribut.
La ville de Jénine et son camp de réfugiés participent à la
lutte et les familles touchées pas ce drame se comptent par
dizaines.
Le « Comité pour les Prisonniers » du camp de réfugiés a mis
sur pied tout un programme de sensibilisation sur le sort des détenus
palestiniens, en cet automne 2005, et les femmes de toute la région
ont accepté de faire une action inaugurale : une manifestation
pacifique devant la prison de Salem.
Salem, à la limite nord de la Cisjordanie, n'est qu'à quelques
dizaines de kilomètres de Jénine et c'est un car entier de
femmes qui attend quelques militants internationaux, venus pour
soutenir leur démarche.
L'accueil qui nous est réservé est chaleureux : un sourire, un
« merci », une poignée de main ou l'exubérance d'un dialogue
amorcé, dans les rires des malentendus et des approximations...
Une fois encore, la chaleur humaine communicative de ce peuple
nous ferait presque oublier que nous côtoyons un chagrin
insondable.
Mais, le trajet commence et des femmes se relaient au micro. C'est
en arabe, mais il n'est pas besoin de traduction pour comprendre
que c'est l'histoire d'un fils, d'un mari, d'un frère ou d'un
cousin qui est ainsi dévoilée.
Et l'émotion émerge alors, des voix brisées, des sanglots
refoulés transmettent mieux que les mots la réalité de la
souffrance quotidienne de ces femmes et de leurs familles qui
attendent, parfois depuis déjà très longtemps, un, deux ou plus
de leurs proches.
Arrivée sur le site, la procession s'organise : quelques drapeaux
palestiniens, une banderole mais surtout les photos des détenus
que chacune a apportées. Parfois, simple épreuve papier, elle
est tenue d'une main contre la poitrine, parfois, grande et bien
mise en valeur dans son cadre, elle a été décrochée du mur de
la maison pour l'occasion.
Et ce sont tous ces hommes, le plus souvent jeunes, qui nous
apparaissent, présents par leur image mais surtout par cette
affection qui les porte, eux qui symbolisent la résistance de
tout un peuple contre l'Occupation.
Les femmes sont de tous ages, de toutes conditions sociales aussi.
On le voit aux vêtements, à la manière d'ajuster ce foulard qui
est la règle et qu'une seule ne porte pas. Quelques enfants,
silencieux et les yeux apeurés, accompagnent leur mère, un tout
petit dort sur l'épaule de maman.
L'Armée attend devant l'entrée de la prison. Les bâtiments
blancs sont écrasés de soleil, ils étalent leurs gros cubes aux
toits plats sur une colline qui bouche l'horizon.
Et c'est le face à face des femmes et des soldats. Il va durer
une demi-heure peut-être. Quelques femmes prennent la parole et
s'adressent à eux. Comprennent-ils les mots ? Peu importe, image
tellement claire de ces femmes qui ne veulent pas oublier « leurs
hommes » et qui participent à la lutte, dans leur domaine, celui
de la famille.
Un militaire téléphone, un autre prend des photos, probablement
pour alimenter la base de données des services de renseignements,
les autres attendent, l'air ennuyé ou distrait.
Puis, calmement, comme elles étaient venues, les femmes sont
reparties, repliant la banderole et rangeant les photos... Toutes
sont remontées dans le car.
C'était la fin de cet instant privilégié où chacune pouvait
matérialiser son combat pour la liberté, en affirmant sa
solidarité et son soutien à ceux qui participent, au prix fort,
à cette lutte pour la survie de leur pays occupé.
Quel vide que de rentrer à la maison, après ce court instant de
révolte, reprendre l'attente, les longs mois sans nouvelles, les
espoirs déçus de visites improbables, les craintes de mauvais
traitements, les années qui passent...
« Ne pas oublier » est le nom d'une association, là-bas, en
Palestine.