Ses allures de paisible bourgeoise chrétienne de Bethléem sont
trompeuses. C'est une experte en vie impossible qui va tenter de
porter en France, pour quatre ans, la voix d'une Palestine troublée
par cinq années d'Intifada. Incollable sur les check-points israéliens
de plus en plus rebutants dressés tout autour de sa ville natale,
brièvement ministre chargée d'une Jérusalem interdite à
l'Autorité palestinienne, Hind Khoury est la nouvelle déléguée
générale de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP)
à Paris.
Elle prend cette charge après le long mandat de Leïla Shahid,
nommée en 1993 à cette fonction, et qui rejoint Bruxelles, où
elle sera déléguée générale de la Palestine auprès de
l'Union européenne. "C'est le bon profil, elle devrait
savoir faire", assure un diplomate européen qui la
connaît depuis longtemps. Rien, pourtant, ne prédestinait Hind
Khoury à cette fonction. Née à Bethléem alors sous autorité
jordanienne, elle grandit auprès d'un père tailleur jusqu'à
l'arrivée des troupes israéliennes, en 1967. "C'est
bien après que j'ai compris combien ma vie avait été protégée
jusque-là", avoue-t-elle.
Eduquée chez les soeurs, elle suit des études d'économie tout
d'abord à Bir Zeit, près de Ramallah, puis à l'Université américaine
de Beyrouth, où se pressent les élites politiques du
Proche-Orient dans les années qui précèdent le déclenchement
de la guerre civile. Elle suit de très loin l'OLP au faîte de
sa puissance au Liban, puis rentre à Bethléem. Après quelques
expériences professionnelles, elle se marie à un architecte et
se consacre à l'éducation de ses trois enfants.
"Malgré l'occupation, c'était une vie agréable,
se souvient-elle, puis, tout à coup, il y a eu
l'Intifada." Hind Khoury avoue volontiers avoir été
surprise par le premier soulèvement palestinien, qui la tire très
vite de la routine de sa vie de famille. Les mouvements de
protestation se multiplient. La jeune femme y participe, assure
des cours de soutien dans sa maison.
Au bout de quelques mois, elle décide de reprendre ses études
pour participer à la construction d'un pays à venir. "Je
me suis dit qu'il faudrait être prêt le moment venu",
assure-t-elle. Elle suit donc un cursus en administration
publique de l'université de Boston, dispensé à Beer Sheva, en
Israël, tout en travaillant pour l'agence américaine USAID.
C'est à la même époque que la route entre Bethléem et Jérusalem
est coupée par les premiers barrages militaires israéliens. "Cela
a été un choc. Au début, au moment de la guerre du Golfe
(en 1991), cela allait encore. Avec Oslo (en 1993), c'est
devenu plus compliqué." Ses enfants, qui étudient au
lycée français de Jérusalem, sont stupéfaits devant ses accès
de colère lorsqu'elle est confrontée à l'arbitraire des
soldats sur le chemin de l'école. "Ils côtoyaient des
enseignants israéliens francophones, alors à leurs yeux j'étais
"raciste. Plus tard, ils ont compris..."
Alors que la communauté internationale célèbre le premier pas
vers une paix qu'elle croit inéluctable, Hind Khoury fait l'expérience
du désenchantement qui accompagne ce processus chez les
Palestiniens : les bouclages qui se multiplient, les
check-points qui se perfectionnent et une Autorité
palestinienne rentrée de Tunis dont les moeurs tranchent avec
celles des élites "de l'intérieur", sûres de leurs
compétences mais promptes à se sentir marginalisées.
Ses fonctions, pendant dix ans, dans les agences des Nations
unies ou au travers de programmes de développement européens,
ont fait de Hind Khoury une professionnelle de la gestion. En février
2005, elle accède au gouvernement palestinien formé après l'élection
de Mahmoud Abbas. Raillée par certains caciques du Fatah, qui
la qualifient avec mépris de "secrétaire",
elle a rallié ce mouvement sur le tard. Elle cohabite avec les
nationalistes de la première heure, qui lui opposent la légitimité
des années de prison et des interrogatoires musclés. Encore
peu connue, elle a renoncé à se présenter aux élections législatives.
"Lorsque la génération des fondateurs du Fatah disparaîtra,
la succession se jouera entre ces deux courants, les
"professionnels et les "activistes. Mais ne
sous-estimons pas les premiers", avertit Ghassan Khatib,
ministre du Plan et ancien professeur de sciences politiques.
A Paris, Hind Khoury va prendre un peu de distance avec la pétaudière
palestinienne, les rivalités personnelles qui laissent parfois,
comme à Jérusalem-Est depuis la mort du charismatique Fayçal
Husseini en 2001, le champ libre à l'implacable machine israélienne.
Pendant près d'un an, aidée par une poignée d'assistants, la
ministre a multiplié auprès des délégations étrangères les
présentations alarmistes des derniers progrès de la
colonisation, corroborées par un rapport européen prestement
enterré.
"Avec le mur construit par Israël autour de Jérusalem
officiellement pour empêcher les infiltrations de Palestiniens,
Israël brise l'ensemble humain, politique, social et économique
qui a toujours rassemblé Ramallah, Jérusalem et Bethléem,
tout en rendant impossible un accord de paix, déplore-t-elle.
En parlant sans cesse de capitale réunifiée à propos de Jérusalem,
les Israéliens trahissent l'âme d'une ville qui a toujours été
diverse, cosmopolite."
Elle avait quitté, avant sa nomination à Paris, son quartier
de Bethléem défiguré par les fortifications qui entourent le
Tombeau de Rachel, un lieu saint juif fréquenté autrefois également
par les musulmans. Elle s'était installée dans un quartier de
Jérusalem pour éviter aussi les tracasseries quotidiennes au
barrage dont le dernier avatar, assure-t-elle, a été financé
en partie par des fonds publics américains alloués théoriquement
aux Palestiniens. "L'occupation israélienne a enlaidi
les paysages et elle nous enlaidit nous-mêmes",
soupire-t-elle.
En France, où étudient deux de ses enfants, Hind Khoury n'aura
pas la tâche facile. Il lui faudra beaucoup d'habileté pour
s'affranchir de l'aura écrasante de celle qui l'a précédée
et qui a su nouer un dialogue singulier avec sa terre de
mission, pour contrer la nouvelle image d'Ariel Sharon depuis le
retrait de Gaza et pour redonner du crédit à son camp.
Gilles Paris
Article paru dans l'édition du 05.01.06
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Parcours
1953. Naissance à Bethléem.
1987. Participe à la première Intifada palestinienne.
1999. Responsable des événements du projet Bethléem 2000,
ruiné par la deuxième Intifada.
2005. Devient ministre de l'Autorité palestinienne, chargée de
Jérusalem.
2006. Devient déléguée générale de l'OLP en France.