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Israël est fort
Gideon Lévy 

 

Haaretz, 28 juillet 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=743076

Version anglaise : The fall www.haaretz.com/hasen/spages/743686.html

 

Une maison sanctifiée à Acre, un couple de fermiers à Avivim, des étudiants de yeshiva près de positions d’artillerie et notre Katioucha personnelle. Notes de voyage sur la route du nord, 40 missiles en une heure.

Il n’est pas convenable d’ouvrir un article par une Katioucha tombée en terrain ouvert, sans faire ni blessés ni dégâts. Ce n’est pas bien d’ouvrir par une Katioucha isolée, tombée au milieu de nulle part, un article parlant d’une journée de 100 Katiouchas qui ont tué, blessé et démoli. Mais il arrive que la subjectivité soit la plus fidèle servante de l’objectivité. Comme d’autres Israéliens en ce jour terrible, nous n’oublierons pas non plus rapidement notre chute de Katioucha privée. La Katioucha a sifflé au-dessus de nos têtes, est tombée dans un champ bordant la route, à peine à quelques dizaines de mètres, secouant la voiture et nous secouant le cœur.

Toute la journée, nous avons parcouru la route 899, la plus au nord des routes de notre pays, tout près de la guerre. Dimanche, il n’y avait là pas un moment de calme. Des panaches de fumée blanche et de poussière s’élevaient dans chaque champ, chaque bosquet, boum après boum, coups de tonnerre tantôt proches tantôt s’éloignant, obus et missiles, « arrivées » et « départs », hélicoptères et avions, le feu de nos forces et le feu de leurs forces. De Margaliot à Acre, la Galilée brûlait et le feu dévorait. La paix en Galilée ne paraît pas en vue, cette semaine, même si le vide omniprésent la semaine dernière a fait place au maigre trafic de ceux qui ont perdu la patience ou la capacité de s’enfermer chez eux, de ceux qui ont décidé de combattre la guerre.

Le pays des chambres d’hôtes est devenu d’un coup le pays des slogans. Le « Nous vaincrons » de la banque, le « Ensemble, nous vainquons » de l’agence publicitaire, le « Fort et courageux » de l’entreprise de fabrication d’enseignes et le « Israël est fort » du journal, tous en bleu national, collés partout. La rengaine des autocollants. Les blindés ont pris la route avec les autocollants bleus collés à l’avant – les camions de transport de munitions, les engins de pompiers, les stations d’autobus, même un canon, tout est couvert du bleu israélien dans cet ‘autocol-land’. Si l’esprit n’est déjà plus aussi ferme, du moins le papier tient le coup.

Même les soldats paraissent changés : des soldats qui, dans les Territoires occupés, fuient les caméras comme la peste, hostiles et violents à l’égard de ceux qui tentent d’enregistrer ce qu’ils font, se sont métamorphosés ici en soldats qui vous font bonjour de la main, fièrement, depuis leur char ou le barrage routier : « Photographiez-nous ! ».

Boum ! Une Katioucha est tombée près de nous. Qui l’a envoyée ? Qu’a-t-il fait en se levant ce matin ? Qu’a-t-il fait hier ? Que voulait-il devenir quand il était enfant ? De quoi a-t-il l’air ? Que dit l’autocollant collé sur son cœur ?

La ville brûle. Kiryat Shmona est entouré de feux de broussailles dus aux Katiouchas tombées dans les collines environnantes et des avions des services de pompiers tournoient en essayant d’éteindre ce que mille pompiers n’ont pas réussi à éteindre. Les œufs s’accumulent dans les poulaillers de Margaliot. Au bout de la rue, à l’extrémité du moshav, Yossi Sarid est là : il est quasiment le dernier à être resté pour éteindre la lumière dans le moshav. Hier une Katioucha est tombée tout près. Les détonations montent de la vallée et de la colline et les poules affamées font tout un vacarme de caquetages. Des drapeaux israéliens flottent sur de nombreuses maisons, mais les maisons sont vides.

« Nous vaincrons » est même collé sur le casque des soldats de la force aérienne au barrage de la sortie vers la route du nord. Ils viennent d’apprendre qu’une Katioucha est tombée sur l’école technique de Haïfa où ils étudiaient encore il y a deux ans. Le moral est haut. Ils se mettent en rang pour une photo du barrage. Un drapeau israélien a été peint sur une maison en ruine ici et un drapeau libanais sur une ruine semblable là, au-delà de la clôture. Entre les deux drapeaux, la terre est brûlée, noircie. Dans les élevages de volailles d’Avivim, les œufs s’accumulent encore plus qu’à Margaliot. Même les malheureuses poules tournent le regard en direction de Maroun a-Ras.

Un tracteur remonte par à-coups de la vallée, tirant derrière lui une remorque avec une citerne d’épandage. Comme dans un film nominé pour l’Oscar du film étranger, monsieur et madame Bitton, Shimon 71 ans et Elisa 68 ans, paraissent, côte à côte sur le tracteur, en une image touchante. Tout le monde a abandonné Avivim. A shabbat, il n’y avait même pas le quorum de dix hommes à la synagogue, malgré les soldats passant aux alentours, en un lieu où une quarantaine d’hommes prient chaque matin. Bitton, édenté, barbu et portant une kippa en velours noir défraîchi. Elisa tenant la main de Shimon, sur le tracteur. Eux aussi ont quitté une fois Avivim, il y a longtemps, pour la cérémonie de circoncision d’un petit-fils à Modi’in.

Les Bitton avaient trois enfants. Shoulamit a été tuée dans l’attaque d’un autobus d’enfants en mai 1970. Elle avait neuf ans. Un fils a été tué dans un accident de voiture. Il ne leur reste que Sigalit qui a obtenu une maîtrise et qui vit à Modi’in. Sigalit leur rend visite une fois par mois. Elle ne voulait pas rester ici, « elle avait peur de la frontière », explique son père. Originaires d’un village proche de Marrakech, au Maroc, ils sont ici depuis 1963. Maintenant, montés sur le vieux tracteur, ils reviennent du poulailler. Alors que les gens de leur âge se reposent sur des Philippins, eux ramassent des œufs.

Ils n’ont pas peur. « Si nous mourons maintenant, qui nous prendra ? Dieu seul », dit Elisa. « Nous fermons toutes les portes et les fenêtres et nous allons dormir. » Dans une maison en face de laquelle ont lieu les combats pour Maroun a-Ras. « Ayez pitié de nous », demande-t-elle, sans qu’on sache si elle en a à son destin ou à son envie de rentrer déjà chez elle. Et Shimon met le tracteur en route. D’un autobus portant l’indication « Enfants », se déverse un groupe de soldats. A deux doigts de Sidon.

La récolte 2006 est menacée. Comme les pommes à Avivim ou le raisin à Yaroun. Personne ne cueille, personne ne vient. Deux camions de munitions de l’armée israélienne passent devant l’entreprise viticole locale, avec à l’avant des calicots écrits en lettres cyrilliques. « Tsahal vaincra » en russe ? « Israël est fort » ? Le tombeau du prophète Isaïe, du moins d’après le petit panneau rouge placé en bordure de la route. «De leurs glaives (ils) forgeront des socs de charrue  et de leurs lances des serpettes ; un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art des combats » (Isaïe 2, 4 – d’après la traduction Z. Kahn, Colbo).

Deux hélicoptères crachent le feu dans le ciel de Maroun a-Ras, laissant une traînée blanche qui se dissipe dans le ciel. Des soldats font bonjour de la main depuis leur char, à l’entrée de Baram. Il ne manque que Sharon agitant la main en suivant du regard les chars fonçant devant lui vers le Liban, pour que l’image soit complète. Les détonations s’intensifient, se faisant plus fréquentes et de plus en plus proches, tandis que nous passons, à Netuah, devant le panneau annonçant les « Cabanes de Yolanda ». « Un moment d’enchantement », annonce un autre panneau. D’autres, « Domaine Van Gogh » et « Café Tamouz », vous invitent au kibboutz Ayalon.

Des champignons de poussière s’élèvent de temps à autres à côté de la route, impact après impact. Une boule de feu, petite et brillante, traverse tout à coup le paysage devant nous, volant rapidement vers sa cible. Est-ce à nous ? A eux ? Vision majestueuse et terrifiante. Des bosquets de chars et des vergers de blindés : le paysage change pendant la guerre. Près de l’autoroute Tel Aviv-Haïfa, il y a déjà une base d’hélicoptères et, à côté de Hanita, une position d’artilleurs.

Chemise blanche couvrant leurs vêtements noirs, un groupe d’étudiants de yeshiva Meshi se tient là, à observer depuis le bord de la route, les artilleurs occupés à tirer des obus depuis les positions de Hanita, comme on suivrait de loin un match de football. Les soldats tirent obus après obus, et des volontaires de l’organisation « Visite et assistance aux malades » des hassidim de Belz sont venus avec leur dirigeant, Mordechai Fried, voir ce qui se passait. Cela fait déjà huit jours qu’ils distribuent des médicaments et des friandises dans les abris des alentours et maintenant, ils se sont arrêtés un moment pour voir le bruit. Le Rabbi de Belz leur a personnellement imposé ce commandement et leur a aussi accordé la bénédiction « D-ieu aidera ».

Fried, un homme de 30 ans père de quatre enfants : « Vous connaissez le Rabbi de Belz ? Nous avons appelé cette action ‘De cœur à cœur’. Nous étions maintenant à Nahariya, nous avons pris toute une rue. Comment s’appelle cette rue ? Eli Cohen. ‘Donnez-moi encore de quoi boire, donnez-moi encore de quoi boire, j’ai encore un petit-fils’ – là-bas, tout le monde fait des réserves de nourriture. Chacun tente d’attraper davantage. On ne sait pas ce que sera demain. Nous sommes allés à Carmel, là haut. Il y a des missiles Patriot. Une base. Nous essayons d’aider. Le Rabbi de Belz, longue vie à lui, donne de la force à notre main. Il nous donne de la force et il nous encourage.

« Regardez, regardez, le soldat prend un obus blanc. C’est comme ça qu’il prépare le bombardement », poursuit-il. « Faites comme ça avec vos oreilles, bouchez-les ». Boum. Que pense-t-il de la guerre ? « Je ne pense pas », répond-il. « Que D-ieu aide. Mais les Arabes ne comprennent que quand on leur donne des coups. Que ferait la Suède si – qu’est-ce qu’il y a à côté de la Suède ? La Norvège ? – si la Norvège la bombardait ? Vous êtes de quel journal ? Haaretz ? C’est un journal de droite ? »

La question de savoir s’il voudrait être à la place des soldats qui bombardent en ce moment suscite chez lui de l’étonnement. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Qui ferait le travail que nous faisons ? A chacun son travail. A chacun son bienfait. Le Rabbi nous a dit de lire des Psaumes chaque jour après la prière et de chanter pour que les soldats réussissent et que ça se termine sans pertes. Il y a une yeshiva de Belz à Haïfa et au début, le Rabbi a dit de ne pas partir. Mais alors les familles, inquiètes, ont téléphoné de l’étranger et alors le Rabbi a dit d’aller à Jérusalem. »

Six obus partent en une salve réglée qui couvre complètement de son vacarme le champ de tir de Hanita, en direction du Liban. Fried et sa compagnie se bouchent adroitement les oreilles. Un camion de pompier portant un drapeau israélien file par les rues du village arabe de Cheikh Danoun, non loin du carrefour de Kabri, pour aller éteindre un autre feu. A Nahariya, ils n’ont pas encore évacué les débris de verre de la semaine passée, boulevard Haga’aton, à l’entrée du magasin « Bellissimo », robes de mariée, touché par une Katioucha.

Miracle en ville : rue Hagueoula, au coin de la rue Hadas, à Acre, un missile est tombé dans l’après-midi, blessant grièvement un habitant âgé, démolissant à moitié une maison, faisant voler une voiture dans une clôture et l’incendiant complètement. Il n’est resté que la bibliothèque avec les livres saints. Maintenant, les habitants, tout émus et agités, ont appelé le rabbin de la ville, Yossef Yashar, à venir voir de ses propres yeux le miracle. Même les vitres qui protègent les livres saints de la poussière, n’ont pas été touchées. Le rabbin est venu voir le miracle : « C’est stupéfiant. Cette maison est une maison de sainteté. C’est la maison de gens qui observent les prescriptions religieuses ».

Sainteté ou pas, la destruction y est très importante. Les poissons dans l’aquarium sont, il est vrai, toujours là, mais tout le reste est dévasté. Démolis, les meubles de jardin et les jouets d’enfants dans la cour. Brûlé, le parterre de gazon synthétique. Les fenêtres sont brisées et les murs sont fissurés, une épaisse poussière recouvre les fauteuils en cuir noir.

La Katioucha a atteint la route, entre deux maisons de la rue Hadas, ouvrant un large cratère et faisant voler une voiture, une Subaru familiale rouge, de modèle ancien, maintenant fichée dans une clôture, dressée en l’air, carbonisée. La Mazda de la compagnie Bezeq qui était stationnée près de la maison suivante dans la rue, celle de la famille Malka, a elle aussi été frappée par une Katioucha mais la moitié est encore entière et un de ses phares avant est même allumé. Des dégâts ont été semés aussi au 1, rue Yitzhak Sadeh, la deuxième rue à droite. Nous nous rendons là-bas également et à nouveau, les sirènes d’alarme se font entendre, montant et descendant, et tout le quartier prie en retournant dans les cages d’escalier et les abris.

 

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

 

 


Source : Michel Ghys


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