Haaretz, 25 décembre 2005
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Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/661898.html
Voilà
que tout à coup, l’étiquette
« de droite »
est devenue une injure. Pendant des années, l’appellation
« de gauche »
était tenue pour une malédiction et maintenant, tout le monde fuit
la marque de produit inverse. Ariel Sharon et Benjamin Netanyahou,
Shaul Mofaz et même Ouzi Landau : tous essaient de se dégager
de toute teinte de droite « extrême » de peur qu’elle
ne leur reste attachée.
On
dirait un développement positif, annonciateur d’un mouvement vers
le centre et la gauche. C’est en réalité une vision trompeuse :
les vrais extrémistes ne sont pas les Feiglin restés aux marges du
camp mais tous ces responsables centristes, au cœur du consensus,
au sein du Likoud et de Kadima, qui, alors même qu’ils
s’efforcent de se libérer d’une image d’extrême droite,
continuent d’être responsables d’une politique incomparablement
extrémiste. Entre les « modérés » Ariel Sharon et
Shaul Mofaz et les « extrémistes » Moshe Feiglin et
Avigdor Lieberman, mieux vaut choisir les extrémistes. Ils ne sont
jusqu’ici responsables d’aucune politique, ils ne se cachent pas
sous des allures de fausse modération, et avec eux « ce
que tu vois, c’est ce que tu reçois ».
Sharon
et Mofaz, les modérés, sont responsables de la politique la plus
cruelle qu’Israël ait jamais appliquée dans les Territoires. Ce
sont en réalité les deux hommes d’état les plus extrémistes de
la droite. Shimon Peres, qui est présenté comme encore plus modéré
qu’eux, a apporté un soutien complet à leur politique. Lui aussi
est donc un extrémiste. Avi Dichter et Moshe Ya’alon, étoiles
montantes de la droite « modérée », ont été à la tête
des deux organisations qui appliquent des mesures violentes et
brutales à l’encontre d’une population civile impuissante. Ils
ne peuvent être considérés comme modérés selon aucun critère.
Ils sont responsables de bien plus d’injustices, de crimes, de
meurtres et de destructions que toute la droite « extrême ».
A l’heure où Feiglin et Lieberman, les « extrémistes »,
ne font que déployer leur théorie diabolique, les « modérés »,
eux, sont responsables d’actes terribles. Feiglin n’est pas
encore responsable d’avoir fait couler le sang et Lieberman n’a
encore démoli la maison d’aucun innocent. Il est vrai que ces
deux individus et leurs semblables ont des théories racistes –
ils aspirent à un Etat « propre,
pur, nettoyé » d’Arabes – mais au moins, ils le
reconnaissent.
La
droite et la gauche « modérées » ont des aspirations
comparables, mais cachées : tant celui qui déclare « eux là et nous ici », comme a dit le « modéré »
Ehoud Barak, que celui qui veut « avoir
le moins d’Arabes possible sous les yeux » – le
souhait national le plus populaire à droite comme à gauche – est
atteint de racisme. Mais seul Feiglin en est accusé et il est le
premier à admettre la chose. Dans une interview à « Haaretz »,
il y a une dizaine d’années, il déclarait avec une appréciable
franchise : « Il ne
fait pas de doute que le judaïsme est dans une certaine mesure
raciste. Lorsqu’il a été décrété, à l’ONU, que le sionisme
était raciste, je n’ai pas trouvé qu’il y avait lieu de
protester ». Pendant que Feiglin parle d’Etat juif et
Lieberman d’échanges de territoires, les dirigeants « modérés »
de Kadima, du Likoud et du parti Travailliste construisent, sous le
couvert de prétextes sécuritaires, une clôture destinée à créer
une séparation sur base ethnique.
L’actuelle
diabolisation vertueuse de Feiglin n’a qu’un objectif :
donner l’apparence d’une différence entre lui et les autres,
afin d’accréditer les extrémistes masqués. Feiglin mérite tous
les blâmes pour ses opinions mais on ne peut s’arrêter à lui.
Extrémistes
et modérés, à droite, n’ont jamais traité les Palestiniens
comme des êtres humains égaux en droits. Les extrémistes le
reconnaissent ouvertement et les modérés tentent d’envelopper le
racisme et l’esprit de domination dans d’hypocrites motifs
« sécuritaires ». Tant l’extrême droite que la
droite « modérée » (mais aussi la gauche « modérée »)
veulent ignorer l’existence des Palestiniens. Sharon le « modéré »
a réalisé le coup soi-disant audacieux et historique du désengagement
[de Gaza] tout en ignorant ostensiblement les Palestiniens et
exactement de la même manière qu’il érige le mur de séparation
qui dépèce leur pays – le tout avec le soutien du parti
Travailliste. Toutes les décisions qui ont des répercussions
critiques sur la vie des Palestiniens – l’établissement des
colonies, le démantèlement d’une toute petite part d’entre
elles, l’érection de la clôture de séparation – ont un dénominateur
commun : elles ont été prises par Israël sans aucune considération
pour les besoins et les droits de l’autre peuple. Tout arrangement
unilatéral se fonde sur le fait d’ignorer l’autre et recèle dès
lors un fond raciste. Il n’y a pas de différence entre cette façon
d’ignorer les Palestiniens comme si ce n’était que racaille et
les théories racistes de l’extrême droite. Si Feiglin et
Lieberman aspirent à un Etat avec en sus la pureté nationale
juive, Sharon et Mofaz se comportent déjà de fait comme si ne
vivaient ici que des Juifs.
Quelle
différence entre Feiglin qui a dit, dans une interview d’il y a
une dizaine d’années, qu’il n’y avait pas de peuple
palestinien et Sharon qui se comporte chaque jour comme si ce peuple
n’existait pas et qui n’essaie pas d’entamer un dialogue avec
lui ? Lieberman veut transférer la moitié des Arabes d’Israël
vers l’Etat palestinien sans leur demander leur avis et Sharon a
construit un mur sans rien demander aux habitants dont les terres étaient
ainsi coupées.
Le
partage entre extrémistes et modérés dans la société israélienne
a donc besoin de subir d’urgence une révision. L’emploi de ces
termes dans la formule actuelle induit en erreur. C’est comme ça
que Sharon et en réalité Peres également ont réussi à abuser
les Israéliens et le monde entier en se présentant comme modérés.
Mais n’est modéré que celui qui reconnaît l’existence des
Palestiniens comme peuple égal en droits et qui est prêt à en
tirer les conclusions politiques qui s’imposent. Tous ceux qui ne
reconnaissent pas les droits de l’autre et ignorent son existence
appartiennent à l’extrême droite, qu’ils s’appellent Feiglin,
Mofaz, Netanyahou ou Sharon.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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