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Un État captif de la criminalité organisée
Gideon Lévy



Haaretz, 22 janvier 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=673133

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/673047.html


Y a-t-il en Israël une criminalité organisée ? Y existe-t-il une organisation criminelle qui étende en profondeur son pouvoir jusqu’au sommet du gouvernement, de l’armée, de la police, de l’institution judiciaire, leur imposant sa terreur ? Existe-t-il, dirigée par des « parrains » et avec des « soldats » qui en acceptent l’autorité, une institution parfaitement organisée, agissant librement sous des airs comme il faut ? Cette criminalité organisée impose-t-elle sa terreur sur la société israélienne tout entière, jusqu’à mettre en danger sa sécurité ?

La réponse à toutes ces questions est malheureusement affirmative. Il y a bien en Israël une criminalité organisée très puissante. Ses membres ont le bras long, jusque dans les couloirs du gouvernement et les rouages de la loi. Ils ont l’air parfaitement respectable, disposent d’une structure bien organisée, avec des parrains-rabbins et une armée violente de soldats à leurs ordres. Ils font régner la terreur sur leur entourage et mettent en danger la paix de la société tout entière. On les appelle des colons.

Le citoyen d’un pays où existe une criminalité organisée, adressera ses griefs essentiellement aux institutions chargées de l’application de la loi, pour leur incapacité à protéger son bien-être. Maintenant qu’il semble que les Israéliens commencent enfin à se désolidariser de ce qui se passe en Cisjordanie, ils doivent adresser l’essentiel de leurs griefs à ceux qui ont permis au système de la criminalité organisée de se rendre maître des centres du pouvoir de l’Etat et de faire ce que bon lui semble dans ses territoires occupés. Comme dans des zones de criminalité, il y a ici aussi une zone extraterritoriale : en dehors et au-dessus de la loi. Tout comme dans le quartier de « Pardes Daka » à Jaffa, zone où, pendant des années, les policiers redoutaient d’entrer par peur de la famille du crime qui y avait le pouvoir, il y a Amona, Hébron, la Ferme de Skali, la colline 725.

Il est maintenant de bon ton de se montrer scandalisé par les actes des colons à Hébron. Même le Premier Ministre faisant fonction, Ehoud Olmert, menace d’avoir la main lourde à l’encontre de ceux qui violent la loi, là-bas. Le Ministre de la Défense, Shaul Mofaz, se mettant, comme à son habitude, au nouveau diapason, a appelé à l’expulsion des « délinquants » d’Hébron. A qui pense-t-il exactement ? Seulement à ceux qui ont levé la main sur des soldats de l’armée israélienne. Et où était-il jusqu’ici ? Il y a une fameuse dose d’hypocrisie dans cet émoi du public : pendant des années, les colons d’Hébron se sont déchaînés contre leurs voisins, les contraignant à abandonner leurs maisons et leurs magasins, et à fuir. Tous ceux qui ont visité Hébron ont découvert une ville fantôme, mais en Israël, peu de gens voulaient savoir. Ce n’est que quand les colons ont osé s’en prendre à des soldats et à des policiers qu’une clameur s’est fait entendre. Cette clameur ferait bien de viser ceux qui ont permis au crime de croître et prospérer.

Il ne s’agit pas seulement des soldats, des policiers et des membres de la Sécurité Générale [Shabak] qui savaient mais se sont tus ou même ont soutenu. Comme en toute criminalité organisée, il s’agit de structures de pouvoir beaucoup plus larges. Le Ministère de la construction et du logement, l’armée et l’administration civile qui ont procuré à tous les « avant-postes illégaux » infrastructures, eau, électricité et routes, tout en offrant protection et soutien : tous sont impliqués dans le crime. L’exécutif a soutenu l’extension de la domination des familles du crime en Cisjordanie et, comme pour le crime organisé, le pouvoir judiciaire a été associé à la fraude.

La Cour suprême ne peut s’en laver les mains, elle qui ne cesse actuellement de remettre à plus tard une décision sur les requêtes déposées contre plusieurs avant-postes. L’histoire de la construction d’Amona, par exemple, est instructive : Amona a été édifié, dès 1995, sur des terres palestiniennes privées. Le Ministère de la construction a financé les infrastructures pour un montant de 2,1 millions de shekels [~ 370 000 €], sans aucun permis de bâtir. Pourquoi alors récriminer contre les habitants d’Amona quand c’est l’Etat qui a financé la construction de leur avant-poste ? Même lorsqu’en octobre 2004, l’Administration civile a émis des ordres de démolition pour neuf splendides villas à cet endroit, nul n’a songé à soulever le petit doigt. C’est comme ça quand la peur du crime organisé pèse sur les institutions chargées de l’application de la loi. Il aura fallu l’intervention de « La Paix Maintenant » pour que la Cour suprême débatte de la démolition des constructions illégales.

La Cour suprême s’est, quant à elle, comportée comme elle le fait toujours pour des plaintes de ce genre : sans se presser. La semaine passée, elle a offert aux colons un nouvel ajournement sans que le motif en soit clair. De la même manière, rien ne brûle au sujet des intrus du marché en gros à Hébron. Depuis qu’en juin 2001, le premier ordre d’évacuation a été délivré par l’Administration civile, bien des enfants de colons ont eu le temps de cracher au visage de Palestiniennes âgées. L’Etat s’était engagé en 2003, devant la Cour suprême, à faire évacuer les intrus, mais rien n’a été fait pour remplir cet engagement.

La Cour suprême ne se comporte pas toujours ainsi. Lorsqu’en mai 2004, neuf habitants de Rafah ont déposé une requête contre la destruction de leurs maisons, le juge Eliahou Mazza avait bien pris, au milieu de la nuit, un arrêt provisoire contre la destruction, mais il n’a pas fallu plus de 48 heures à la Cour pour l’annuler. Chaque fois que des Palestiniens ont déposé une requête contre la démolition de leurs maisons, la Cour suprême a agi avec zèle et fermeté pour repousser leur requête. La Cour suprême agit rapidement et efficacement, quand ça l’arrange.

Il n’y a aucune raison de s’exciter à propos de l’évacuation d’une poignée d’intrus à Amona et au marché d’Hébron. La vraie mission nationale est d’évacuer les foyers de criminalité organisée, tous. Olmert qui, au début de sa carrière, a engagé une guerre parfaitement médiatisée contre une autre structure de criminalité organisée, est censé le savoir. Le dispositif criminel face auquel il se trouve actuellement est infiniment plus puissant, plus violent et plus dangereux que celui des frères Siboni, de Mevasseret Jérusalem, contre lesquels il a eu à lutter il y a exactement 30 ans. Il était alors confronté à des gens qui terrorisaient une petite ville. Le voilà maintenant face à ceux qui retiennent captif un Etat tout entier.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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