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Aharon Barak envoie un courriel à Yale
Gideon Lévy 



Haaretz, 21 mai 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=718076

Le président de la Cour suprême, Aharon Barak, a envoyé un courriel à un confrère, professeur à l’Université de Yale. Peut-être Barak ne comptait-il pas sur la publication de sa lettre, mais on peut attendre de quelqu'un comme le président de la Cour suprême qu’il sache à qui il est possible d’adresser une lettre en étant assuré qu’il en gardera le secret. Barak s’est trompé, la lettre est parvenue à un journaliste de « Haaretz », Youval Yoaz, qui l’a publiée. Peut-être Barak a-t-il tenu compte de cette possibilité. Peut-être même l’espérait-il, au moins en son fors intérieur. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas lieu de supposer que quelqu'un d’aussi porté à préserver la liberté d’expression, soit susceptible de se plaindre de la publication de sa lettre. Il s’y trouve une matière importante pour le public.

On peut s’étonner aussi du destinataire : c’est à l’oreille d’un professeur de Yale, plus qu’à celles du public israélien, que Barak éprouvait apparemment le besoin d’expliquer la décision prise par la Cour à propos de la loi de citoyenneté. Ce choix éveille le soupçon qu’il lui importe peut-être davantage de trouver grâce aux yeux des professeurs de Yale avec lesquels il passe plusieurs mois par an, qu’à ceux de l’opinion publique israélienne, comme l’a dit l’un de ses confrères. Le problème est qu’il est difficile de trouver à la fois grâce aux yeux des confrères de Yale, qui considèrent que les lois doivent défendre les droits de l’homme, et aux yeux d’une opinion publique israélienne dont l’ordre des priorités morales est complètement différent.

Barak a essayé de manger le gâteau tout en le gardant entier : il voulait conserver, à Yale, l’image du juriste éclairé, en dépit de la grave décision prise, sous sa présidence, par la Cour suprême. De là le ton d’excuse de sa lettre : « J’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie à la rédaction de ma décision de justice et à essayer de convaincre mes collègues juges », écrit-il, comme si cela changeait quelque chose. Le fait de rester dans l’opinion minoritaire ne modifie pas le fait qu’il est responsable. Dès lors que la décision est tombée, Barak y est associé. C’est l’essence de la responsabilité collective.

Barak ‘tire et pleure’. Au lieu d’assumer la responsabilité de la décision prise par la Cour, il tente d’en minimiser la portée. La Cour suprême a, sous sa conduite, publié un arrêt de justice clair et sans ambiguïté, parmi les plus honteux de son histoire. Il a approuvé une loi raciste qui établit une discrimination à l’encontre d’une partie des citoyens de l’Etat en les privant du droit fondamental d’avoir une vie de famille dans leur pays. Ce n’est pas pour rien qu’un éditorial de ce journal a qualifié cette décision de « marque d’infamie suprême ». La tentative de Barak de minimiser la décision sous prétexte qu’il ne s’agirait que d’une « défaillance technique » et que « fondamentalement, il y a une majorité en faveur de ma position, au sein de la Cour suprême », évoque plutôt les douteuses excuses d’un entraîneur de football dont l’équipe a perdu. Défaillance « technique » ou « fondamentale », le bilan irréfutable, c’est que la Cour suprême a rejeté les recours en annulation déposés contre l’amendement à la loi de citoyenneté, lequel amendement interdit l’unification, à l’intérieur d’Israël, de familles de Palestiniens et d’Arabes citoyens de l’Etat. C’est la seule signification de cette décision et il s’en dégage un relent de racisme. Barak le sait et il essaie, d’une manière déplorable, de rendre moins criante la malignité du décret et de la dissimuler derrière un écran de fumée.

La tentative de minimiser l’importance de cette décision au motif qu’elle n’aura cours que pour une brève période, fait sourire : la décision est justement susceptible d’encourager le parlement à légiférer dans l’esprit de la décision de la Cour. L’excuse de Barak disant que le « 11e juge », Edmond Lévy, était d’accord avec lui mais qu’il a refusé, parce que la loi visée est censée n’être plus d’application dans deux mois, de souscrire à sa conclusion que cette loi était anticonstitutionnelle, est pathétique : Lévy a voté en faveur du rejet des recours, sa voix a fait pencher la balance et la balance penche vers la culpabilité de la Cour. Le reste est dépourvu de signification. Qu’importe ce qu’a dit le juge Lévy ? Ce qui compte, c’est ce qu’il a voté.

Pas moins surprenante est la tentative de Barak de s’accrocher aux propos du Ministre de la Justice, Haïm Ramon : « Le Ministre de la Justice a fait savoir ce matin », écrit Barak pour tenter d’apaiser son ami, « que si le parlement essayait de faire passer la loi sans aucune modification, il y avait une forte probabilité, au vu de la position de la Cour, que la loi serait anticonstitutionnelle ». Pourquoi le président de la Cour suprême doit-il s’accrocher au Ministre de la Justice à propos de futures décisions de la Cour elle-même ? Peut-être a-t-il oublié qu’il n’était pas encore un commentateur juridique mais bien le président de la Cour suprême.

La majorité des juges de la Cour suprême ne pensent pas comme Barak mais comme la juge Myriam Naor qui a décrété que « le droit constitutionnel à une vie de famille n’inclut pas le droit de réaliser cette vie de famille précisément en Israël ». Cette déclaration révoltante et scandaleuse venant de quelqu'un qui mène une « vie de famille » en Israël, nous offre de la Cour un portrait bien plus fidèle que tous les propos pleins d’élévation et les excuses tortueuses de son Président. Il n’est pas difficile de deviner quelle serait la réaction de la juge Naor si un tribunal européen adoptait une décision pareille touchant à des citoyens juifs.

La décision de la Cour prolonge une longue tradition de capitulation systématique devant des considérations, réelles ou imaginaires, de « sécurité » et de « démographie ». Droits de l’homme, légalité, sens de la mesure, arbitrage, sont à ses yeux des valeurs relativement mineures. Une Cour suprême qui s’abstient de prendre position à propos des colonies et des exécutions extrajudiciaires, qui n’a pas empêché des destructions massives de maisons et qui se dérobe depuis des années à l’obligation de prendre position sur la question de la torture, cette cour-là n’est pas bien courageuse, frappée qu’elle est par la malédiction de l’occupation. Tel est le véritable héritage d’Aharon Barak, c’est là la Cour qu’il laisse derrière lui, et aucun mail à Yale ne parviendra à en voiler les traits.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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