Haaretz, 19 mars 2006
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Subitement,
sans crier gare, un nouveau « consensus »
est né au sein de la société israélienne : les « blocs de localités ». Pendant que les commentateurs et les
sondages d’opinion pointent un supposé glissement à gauche, avec
une majorité favorable à la création d’un état palestinien et
à l’évacuation des colonies, la vraie carte politique s’est déplacée
à droite, et radicalement. Les programmes des trois grands partis,
Likoud, Kadima, et parti Travailliste – censés représenter la
droite, le centre et la gauche – s’unissent en un parfait accord
sur la conservation par Israël des grandes colonies. Même le Plan
de Genève, tenu pour « radical »,
maintient Ma'aleh Adoumim dans les frontières
d’Israël. On se lève un beau jour en découvrant autour de soi
un nouveau consensus : on ne voit pas au juste clairement
comment s’est cristallisé ce consensus de droite. Auparavant, le
consensus portait sur Jérusalem ; maintenant sur la moitié de
la Cisjordanie. Et on appelle encore ça un « glissement
à gauche ».
Ce
masque trompeur doit être démoli : la société israélienne
dit en réalité un grand « non » à tout espoir de
paix, à un accord juste et à la création d’un état
palestinien. Depuis quand est-ce la taille des colonies qui fixe la
position morale et légale de cette société israélienne ?
Celui qui vote pour un de ces grands partis doit savoir qu’il
donne sa voix à des partis annexionnistes ; celui qui hésite
entre ces partis-là, qu’il sache combien son embarras est futile :
sur la question politique, il n’y a aucune différence entre eux.
Rien dans la réalité n’offre de fondement à cette prétention
satisfaite selon laquelle la vision du Grand Israël serait du passé
et que la société israélienne serait dégoûtée de
l’occupation et aspirerait à un accord juste. Les blocs de
colonisation mettront en échec tout espoir de ce genre : une
Cisjordanie dépecée ne sera jamais un état palestinien indépendant.
C’est précisément à cette fin que les « blocs de localités » ont été créés.
La
colonie la plus extrémiste et la plus dangereuse de Cisjordanie,
c’est Ma'aleh
Adoumim. Pas Yitshar ni Tapouah, pas
Itamar ni Havat Maon, mais la ville qui est destinée à être reliée
à Jérusalem pour devenir la grande cité-dortoir de la capitale.
Ses habitants sont parmi les colons les plus amoraux de Cisjordanie :
leur colonie a été établie sur des terres privées qui ont été
confisquées à Abou Dis, Anata, Azariya, A-Tour et Isawiya, puis déclarées
« terres d’Etat »
au terme d’une procédure juridique douteuse – dans le but de
couper l’un de l’autre le nord et le sud de la Cisjordanie.
Ma’aleh Adoumim est la colonie qui a entraîné la plus vaste
expulsion d’habitants hors de chez eux – les membres de la tribu
Jahalin contraints d’aller vivre sur les terrains du dépôts
d’immondices d’Abou Dis. Violation flagrante du droit
international qui interdit le transfert de populations en territoire
occupé.
La
décision, adoptée récemment, de construire un poste de police
dans le secteur de la E-1 qui relie Ma’aleh Adoumim à Jérusalem,
annonce la fin absolue de l’espoir d’un accord. Après la
police, c’est la ville qui s’agrandira et la Cisjordanie sera
totalement étranglée. Rien n’est plus assuré que de voir se réaliser,
dans le sillage du « Petit
Plan » d’installation du poste de commandement du
district Samarie-Judée sur la E-1, le « Grand
Plan » de création de 3.200 unités d’habitation, avec
une région touristique entre Jérusalem et Ma’aleh Adoumim, en
une continuité territoriale.
Kadima,
le parti du « centre »,
qui a fait sa devise de tenter d’amener un accord avec les
Palestiniens ou au moins d’évacuer unilatéralement des colonies,
œuvre en réalité à l’approfondissement de l’occupation et à
sa pérennisation. Les Etats-Unis ne tarderont pas, eux aussi, à
lever leur opposition au « Grand
Plan » exactement comme ils ont blanchi le « Petit Plan » – et Ma’aleh Adoumim deviendra une partie inséparable
de la Capitale Eternelle. C’est exactement comme ça, par la même
escroquerie, que Ma’aleh Adoumim a été créé : un « camp
de travail » d’apparence innocente, destiné à 23
familles et fondé en 1975, est devenu trente ans plus tard une
grosse ville de 32.000 habitants dont le territoire municipal est
plus étendu que celui de Tel Aviv – 50.553 dounams pour la grande
cité contre 53.000 dounams pour la colonie du consensus. D’après
un rapport de B’Tselem publié en 1999, il y a à Ma’aleh
Adoumim 2.120 m² par habitant contre 76 m² à Abou Dis qui est
situé en face, qui a été fondé des générations avant Ma’aleh
Adoumim et dont les terres ont été volées au profit de la
colonie. N’est-ce pas là à l’évidence une injustice scandaleuse
?
Le
nouveau consensus israélien dit également « oui » à
la pérennisation de Goush Etzion et d’Ariel ; la vallée du
Jourdain a été sanctifiée depuis belle lurette ; quant aux
immenses quartiers dans la partie occupée de Jérusalem, il n’y a
rien à discuter. Du Likoud jusqu’au parti Travailliste, un chœur
unanime dit « oui » à l’entreprise des colonies
pendant que des chroniqueurs en font l’éloge funèbre. Celui qui
prétend avec passion que la vision du Grand Israël céderait au
profit du « partage du pays », de même que celui qui parle pompeusement
de la conscience qu’aurait la société israélienne de la nécessité
de mettre fin à l’occupation trompent à la fois cette société
et le monde entier. La vérité est infiniment plus amère : le
discours public en Israël continue d’entretenir l’aspiration
nationale la mieux enracinée ici : avoir le beurre et
l’argent du beurre.
Si
la société israélienne était plus sincère avec elle-même, elle
dirait au moins la vérité : la majorité absolue des Israéliens
ne veut pas d’une paix juste avec les Palestiniens, ne considère
pas que ceux-ci ont droit à un Etat à eux et ne les voient en fait
pas comme des égaux. Voilà comment nous sommes et voilà à quoi
ressemble notre aspiration à la paix.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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