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Le rire des participants
Gideon Lévy



Haaretz, 19 février 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=684420

Version anglaise : As the Hamas team laughs
www.haaretz.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=gideon&itemNo=684258

Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas ri comme ça au sein de l’ « équipe Hamas ». L’équipe que dirige le conseiller du Premier Ministre, Dov Weissglas, et à laquelle participent le chef d’état-major, le chef des Services de la Sécurité Générale (Shabak), des généraux et de hauts fonctionnaires, s’est réunie pour discuter avec la Ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, des modalités de réponse à la victoire du Hamas aux élections. Tous étaient d’accord sur la nécessité d’imposer un siège économique à l’Autorité Palestinienne et comme d’habitude, c’est Dov Weissglas qui a trouvé le bon mot : « C’est comme un rendez-vous chez la diététicienne. Les Palestiniens vont maigrir comme il faut mais ils ne mourront pas », a plaisanté le conseiller et, selon ce qui a été rapporté, les participants se sont tordus de rire. D’ailleurs, pourquoi ne pas éclater d’un rire sain et libérateur en entendant une aussi heureuse plaisanterie ? Peut-être Dov Weissglas la racontera-t-il à son amie Condoleezza Rice et qu’elle aussi rira bien.

Sauf que cette fois le witz de Weissglas était particulièrement vulgaire. Tout comme le rire retentissant qu’il a provoqué, il a une fois encore dévoilé à quel point l’ivresse du pouvoir d’Israël lui fait perdre la raison et altère complètement sa moralité. Une seule plaisanterie a suffi pour que l’avocat à succès de la rue Lilienblum à Tel Aviv fasse la démonstration de la glaçante insensibilité qui s’est propagée, en Israël, au sommet de la société et du monde politique. Pendant qu’une foule de Palestiniens vivent dans des conditions inhumaines, avec un chômage et une indigence dont les proportions effrayantes sont inconnues en Israël, humiliés et emprisonnés – de tout cela, nous sommes responsables, coupables – le sommet de l’Etat et de la Défense plaisante juste avant de décider d’un siège économique, plus cruel encore que celui qu’il a imposé jusqu’à présent.

La proposition de mettre à la diète des gens affamés passe ici sans émotion, sans critique du côté du public ; même s’il ne s’agit que d’une plaisanterie, elle est incomparablement plus grave que la caricature danoise : elle reflète un état d’esprit répandu et sera suivie d’impitoyables mesures concrètes. Si jusqu’ici on pouvait dire qu’Israël manifestait fondamentalement une insensibilité à la souffrance de l’autre – en particulier les classes sociales les plus puissantes, absorbées par leurs jouissances – pendant qu’à quelques kilomètres de là, un peuple entier gémissait, maintenant Israël y joint la plaisanterie sur la souffrance de celui-ci.

Ce n’était pas la première plaisanterie de Dov Weissglas ni sa première contribution au ton seigneurial du discours public portant sur les Palestiniens. Il y a environ un an et demi déjà, il avait déclaré dans une interview accordée à Ari Shavit, pour « Haaretz » que « nous avons enseigné au monde qu’il n’y avait personne à qui parler et nous avons obtenu la licence "il-n’y-a-personne-à-qui-parler"… Cette licence s’annulera lorsque les Palestiniens deviendront des Finlandais ». C’était le comble du cynisme : l’homme impliqué dans l’affaire « Annex Research », la société écran qui transférait d’énormes donations au Premier Ministre, mettait comme condition à des négociations avec les Palestiniens qu’ils se mettent au niveau de l’Etat classé comme le moins corrompu, dans cette même échelle d’évaluation où Israël se retrouvait à une peu honorable 26e place.

Cette recommandation d’une « diète », en même temps que les décrets qu’Israël entend appliquer aux Palestiniens, auraient dû soulever un tollé dans la société israélienne. Même en laissant de côté la scandaleuse stupidité politique qu’il y a à pousser le Hamas dans le coin au lieu de lui donner l’opportunité de se transformer, même en se dissimulant le fait qu’Israël projette de confisquer l’argent de taxes qui ne lui reviennent pas, la politique du gouvernement amène à s’interroger sur son humanité. Où allons-nous chercher le droit de maltraiter ainsi un peuple entier ? Seulement dans notre énorme pouvoir et dans le fait que les Etats-Unis nous autorisent à nous déchaîner tout notre soûl ?

Il y a bien longtemps qu’on ne parle plus chez nous de morale. Nous ne sommes pas en Finlande, voyez-vous. Néanmoins il serait bon de poser la question : quelle sorte d’Etat ose ainsi aggraver encore les conditions de vie déjà tellement misérables des habitants d’un territoire sous son occupation ? Quel péché ont commis les quelque 4.000 chanceux de Gaza qu’Israël autorisait encore à venir travailler sur son territoire et pour qui aussi, maintenant, les portes seront fermées ? Est-il parvenu aux yeux des décideurs, le spectacle de ces gens misérables refoulés, humiliés, au barrage d’Erez, après une journée de travail harassante ? Plus de la moitié des Palestiniens vivent déjà dans la pauvreté, d’après le dernier rapport des Nations Unies publié en décembre. L’année dernière, 37% d’entre eux ont rencontré des difficultés pour se procurer de la nourriture et 54% des habitants de Gaza « libéré » ont réduit leur consommation alimentaire. La mortalité infantile a augmenté de 15% et la moyenne du chômage atteint les 28%. La route est semée de 397 barrages pour les Palestiniens qui veulent se déplacer en Cisjordanie. Et Israël a maintenant l’intention d’avoir la main encore plus lourde envers tous ces gens.

Si un obstacle se dresse encore devant Israël, c’est seulement le frein de l’apparence, de l’image. Israël ne redoute dans la propagation d’une famine qu’une seule chose : la réaction internationale, et nullement la monstruosité de la chose. Néanmoins, des politiciens rivalisent chez nous par la profusion de propositions extrêmes, à commencer par la coupure de l’électricité et de l’eau, l’abandon de millions d’habitants innocents. S’agit-il là encore d’effet d’annonce électoral ? Est-ce là ce que veut l’électeur israélien ?

Ce qui se voit de là-bas, on ne le voit vraiment pas à partir d’ici : depuis les somptueux restaurants où Dov Weissglas et ses amis de l’ « équipe Hamas » ont l’habitude de déjeuner, depuis les routes impeccables sur lesquelles ils glissent dans leurs voitures officielles, depuis les magnifiques salles de concert et les fréquents voyages à l’étranger, on n’aperçoit pas la souffrance. On peut, à partir de là, décréter encore, d’un mot, de nouvelles mesures, sans penser aux conséquences terribles qu’elles auront dans les ruelles de Jénine et les cabanes de Rafah. A partir de là, on peut même plaisanter sur tout ça.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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