Haaretz, 16 avril 2006
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Les scènes de Gaza sont déchirantes. Déchirantes
? Pas sûr. L’image de la famille Aben, de Beit Laliya, qui a
perdu une fille de 12 ans, Hadil, n’a pas provoqué d’émotion
particulière en Israël. Même à la vue des petits frères et de
la mère d’Hadil, blessés, étendus, hébétés, sur le sol de
leur misérable maison, personne n’est descendu dans les rues,
personne n’a protesté.
Le
jour où Hadil Aben a été tuée, « Yediot Aharonot »
rapportait l’histoire de la chienne « Nelly » morte
d’un arrêt cardiaque dans le kibboutz Zikim, à cause du bruit
des canons de l’armée israélienne.
Au
lieu de se dire désolé que des enfants aient été tués, on a, au
sommet de l’appareil de la Défense, déversé un flot de déclarations
véhémentes. Le Ministre de la Défense a dit qu’il n’y avait
qu’à augmenter la pression sur les Palestiniens. Le chef d’état-major
adjoint a parlé d’une possible occupation de Gaza et le chef du département
des opérations a ajouté : « Ce que nous avons vu jusqu’ici, c’était seulement la bande annonce ».
L’armée israélienne a fait savoir qu’elle allait réduire
encore la « distance de
sécurité » établie pour tenter d’éviter de toucher
à la population civile. Le chœur chante d’une seule voix, à
vous glacer le sang.
Israël
fait pleuvoir des milliers d’obus sur des villes et des villages,
les « aires de tir »
des roquettes Qassam, appellation douteuse créée par la Défense
et adoptée, yeux fermés, par les médias. Mais seuls les
Palestiniens qui lancent des roquettes Qassam – lesquelles n’ont
tué personne depuis le désengagement [des colonies de Gaza - NdT] – sont considérés comme « terroristes ».
Même
le soupçon que la langue de la Ministre des Affaires étrangères,
Tzipi Livni, ait fourché quand elle a dit, au cours d’une
interview à la BBC, qu’à ses yeux il y avait une différence
entre toucher à des civils et toucher à des soldats, n’a pas
soulevé de débat sérieux dans la population. Et même si ensuite,
dans une interview à Canal 10, elle n’a pas fermement soutenu ces
propos, Tzipi Livni a osé dire la vérité, à savoir que si
toucher à des civils est le critère du terrorisme, alors Israël
est un Etat terroriste. Avec 18 tués, dont trois enfants, en 12
jours dans la seule Bande de Gaza, pouvons-nous vraiment nous
satisfaire de l’argument de l’absence d’intention ? Celui qui
tire au canon sur des concentrations de population et déclare avec
une effrayante insensibilité que ce n’est encore que la « bande
de lancement », peut-il prétendre qu’il n’a pas
l’intention de tuer des enfants ?
C’est
à juste titre que les responsables de semblables bombardements sont
considérés, dans le monde, comme des criminels de guerre. Lorsque
le terrorisme est le fait d’un Etat, sa gravité est plus grande
encore que dans les cas où il est le fait d’organisations
rebelles.
Israël
déclare souhaiter exercer une pression sur la population
palestinienne afin que celle-ci empêche les tirs de roquettes
Qassam. Pauvre argumentation. Aucun dirigeant palestinien ne peut
promouvoir un cessez-le-feu quand des dizaines de civils sont touchés.
Aucun Palestinien, quelles que soient ses aspirations à la paix, ne
peut faire obstacle de son corps aux tirs lancés depuis les
territoires de l’Autorité Palestinienne. Les parents de Hadil
Aben pouvaient-ils faire quelque chose ? Et comment au juste,
le fait de tuer leur enfant amènera-t-il un arrêt des tirs de
roquettes Qassam ?
Le
siège imposé à Gaza relève d’une politique strictement inverse
de celle qu’il faudrait adopter, même en fonction des intérêts
d’Israël. La politique actuelle ne fait que renforcer le soutien
au Hamas, exactement de la même manière que les attentats ont
renforcé la droite en Israël. Un peuple assiégé, dont les
dirigeants font l’objet d’un boycott, se montrera beaucoup plus
résolu à lutter jusqu’à sa dernière goutte de sang. Seul un
peuple qui apercevra une lueur au bout du tunnel pourra changer
d’attitude.
Que
se passerait-il si Israël s’adressait au monde et lui demandait,
là maintenant, de venir en aide aux habitants de Gaza, de donner et
d’investir afin de les aider à sortir de leur misère ? Un
premier ministre israélien qui agirait ainsi et qui proposerait une
rencontre avec son homologue palestinien élu, exercerait une
pression beaucoup plus utile et positive que n’importe quel
bombardement.
Si
les Palestiniens voyaient, pour la première fois de leur vie, Israël
se préoccuper de leur sort, ils auraient beaucoup plus à perdre et
ils stigmatiseraient les lanceurs de roquettes Qassam. La seule voie
est de semer l’espoir. Si dans la situation actuelle, les tirs de
roquettes Qassam cessaient, Israël lèverait-il le siège ?
Permettrait-il le libre passage entre Gaza et la Cisjordanie ?
Laisserait-il les Palestiniens travailler sur son territoire ?
Permettrait-il la construction d’un port et d’un aéroport dans
la Bande de Gaza assiégée ? Les déclarations israéliennes démontrent
en fait que la réponse à toutes ces questions est négative. Au vu
de cela, la politique israélienne actuelle ne conduira qu’à
accroître la violence de leur côté.
Aucune
roquette Qassam ne justifie de semer la mort et la terreur par des
bombardements. Les canons sont destinés à la guerre contre une armée.
Leur emploi contre une population civile impuissante doit être tenu
pour illégitime. Un Etat ne bombarde pas des villes. Un point
c’est tout. Exactement comme dans la lutte contre la criminalité
qui, elle aussi, tue et menace la sécurité, aucune fin ne justifie
les moyens. Viendrait-il à l’esprit de faire évacuer par la
police tout un quartier d’où sont issus des meurtriers ?
Quelqu'un déciderait-il de bombarder un tel quartier, même si cela
devait amener une réduction de la criminalité sur son territoire ?
Celui
qui veut vraiment mettre un terme aux tirs de roquettes Qassam, doit
inverser du tout au tout la politique israélienne. Montrer de la
retenue face aux roquettes Qassam, lever le siège, rencontrer sans
attendre les dirigeants palestiniens élus et appeler le monde à
verser de l’argent à l’Autorité Palestinienne. Seul un Gaza
libre et sûr arrêtera de lancer des roquettes Qassam. Avons-nous
jamais essayé cette voie-là ?
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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