Palestine - Solidarité

   



L’histoire d’une farce
Gideon Lévy


Haaretz, 11 décembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=656278
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/656079.html

Même les auteurs de «Eretz nehederet » [« Un pays magnifique », émission de télévision satyrique - NdT] n’auraient pas réussi à concevoir une farce comme celle-là. Ceux qui veulent comprendre l’essence de nos rapports avec les Palestiniens sont invités à lire, dans les journaux des 12 dernières années, ce qui qu’on a pu écrire à propos du « passage sûr » qu’Israël s’est engagé à ouvrir en 1993 entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Ils y découvriront les composantes essentielles qui caractérisent l’attitude d’Israël face aux Palestiniens : faux-fuyant, absence de la moindre bonne volonté, non respect des accords.

Dans les archives de « Haaretz », ils pourront trouver 576 coupures de presse déroulant l’enchaînement de cette grotesque saga dont le dernier chapitre en date a été écrit à la fin de la semaine : « Israël interrompt les contacts avec l’Autorité Palestinienne portant sur la mise en circulation d’autobus entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Ainsi en a décidé le Cabinet sécurité-diplomatie, suite à l’attentat de Netanya. »

Entre d’une part cette annonce et la une de « Yediot Aharonot » qui semait la terreur il y a trois semaines (« Des centaines de Palestiniens passeront entre Ashkelon et Kiryat Gat ») et d’autre part le titre de « Haaretz » du 11.8.1994 (« Rabin : Israël est prêt à ouvrir dès la semaine prochaine le passage sûr »), les articles se comptent par centaines. Ils rendent compte des milliers d’heures de discussions, des dizaines de commissions et de conférences, du nombre incalculable de rencontres, de déclarations, d’accords signés, portant sur un passage entre les deux parties de l’Autorité Palestinienne que beaucoup en Israël considèrent depuis longtemps déjà comme un quasi Etat. Quelle est la valeur de tous ces débats et de ces accords dont chaque détail a été soumis à des dizaines de politiciens, de diplomates, d’experts et d’officiers de l’armée, avec l’implication des Etats-Unis, de l’Egypte et de l’Europe, si le résultat en est un « passage sûr » qui a à peine fonctionné un an entre 1993, l’année d’Oslo, et 2005, l’année du désengagement ? La prochaine fois qu’un accord quelconque sera signé entre Israël et les Palestiniens, il serait préférable de se souvenir du destin, scellé comme nul autre, de ce « passage sûr ».

Il s’agit de la vie de personnes et de leur bien-être de base. Ce sont des étudiants que l’on empêche d’étudier, des parents coupés de leurs enfants pour de longues années, des malades qui n’ont pas accès à des soins médicaux, une économie qu’il est impossible de consolider. C’est se moquer aussi, amèrement, de promesses internationales, d’engagements signés et de ce qu’on appelle, chez nous, le « processus politique ».

Que n’avons-nous pas promis ? Que n’avons-nous pas « examiné » ? Voies ferrées, routes surbaissées, routes surélevées, tunnels, ponts suspendus et même un « monorail », ligne de train sur piliers, entre Gaza et Hébron. Et qu’en est-il sorti ? Que même les dix gazaouis, étudiants en kinésithérapie de l’Université de Bethlehem, n’ont pas pu se rendre à leurs cours la semaine passée – comme l’a rapporté Amira Hass dans « Haaretz » – et c’était encore avant l’attentat de Netanya. Les 47 kilomètres qui séparent le barrage d’Erez du barrage de Tarkoumiya continuent d’être les 47 kilomètres les plus longs du monde – chaîne des montagnes des ténèbres.

Voici, pour les amateurs du genre, un bref aperçu du grotesque. Au paragraphe 10 de l’annexe de l’Accord Intérimaire signé en 1995, il est dit : « Afin de préserver l’intégrité territoriale de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza comme entité unique, les deux parties appliqueront les clauses de cette annexe, en respectant et en assurant un trafic normal et fluide, sans obstacles, des personnes, des véhicules et des biens… entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza ». Ainsi prenait corps le principe établi deux ans plus tôt dans l’ « Accord de principe ». En mai 1994 déjà, une unité spéciale de la police des frontières était créée pour la surveillance du trafic sur le « passage sûr ». En avril 1995, la « dernière pierre d’achoppement » était éliminée avec l’acceptation de la position d’Israël sur la question du passage de policiers armés. En 1996, un éditorial de « Haaretz » appelait à « écarter tout délai inutile ». En 1997, le Ministre des Affaires étrangères, David Lévy, rendait compte de « l’avancement des discussions avec Arafat à propos du ‘passage sûr’ ». En 1998, le candidat à la chancellerie allemande, Gerhard Schröder, racontait avoir entendu de la bouche du Premier Ministre, Benjamin Netanyahou, des « idées bizarres » sur la question de l’ouverture du passage. En octobre 1999, le passage était ouvert sur la route 35. Israël faisait savoir qu’un quart des voitures ne seraient pas autorisées à passer à cause d’ « insuffisances en matière de sécurité ». La même année, l’Autriche et l’Allemagne proposaient de financer la construction d’une route surélevée. Le Premier Ministre, Ehoud Barak, appuie cette idée. En 2000, la commission interministérielle soumet ses recommandations à Barak : pas de route surélevée mais au contraire une route surbaissée. Un an plus tard environ, le passage était fermé, avec l’éclatement de l’Intifada. Plus ou moins la moitié de ceux qui demandaient à pouvoir passer essuyaient un refus, alors même que le passage était « ouvert ». En 2001, une discussion se tenait au cabinet du Ministre des Communications, Ephraim Sneh, sur l’idée d’une voie ferrée entre Gaza et Tulkarem suivant le trajet tracé par les Turcs. Shimon Peres, disait-on, appuyait cette idée avec enthousiasme de même que le Premier Ministre, Ariel Sharon, qui la soutenait de longue date.

Au cours des quatre années écoulées depuis, comme on sait, quasiment aucun Palestinien n’est passé, ni par route surbaissée ni par viaduc, ni même à pied. Qu’eût-il fallu ? Une petite escorte et de la bonne volonté.

Il y a trois semaines environ, a été signé le dernier accord en date : Condoleezza Rice a annoncé, au bout d’une nuit de discussions, qu’on était arrivé à un accord selon lequel le passage entre la Cisjordanie et Gaza commencerait à fonctionner le 15 décembre, par « convois d’autobus ». « L’accord est destiné à donner au peuple palestinien une liberté de se déplacer, de commercer, de vivre une vie normale », a solennellement déclaré la Secrétaire d’Etat.

Le 15 décembre tombe la semaine prochaine et aucun autobus ne passera. Un terroriste ainsi que cet accord ont été la proie des flammes, comme d’autres avant eux. Les diplomates et les généraux se penchent déjà sur le prochain accord. Celui-ci ne sera d’aucune utilité pour A’aliya Siksik qui avait demandé, il y a cinq ans, de pouvoir se rendre de Ramallah à Gaza, pour assister sa mère dans son agonie, et dont la demande avait été rejetée : sa mère est morte depuis longtemps.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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