Palestine - Solidarité

   



Un déracinement très douloureux
Gideon Lévy

 

Haaretz, 11 septembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=623420

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/623227.html

Israël ne pourra être tenu pour un Etat de droit ni pour une démocratie tant que dureront les pogromes à Hébron. Un Etat se juge aussi sur ce qui se déroule dans son arrière-cour et dans le cas de la « Cité des Patriarches », l’arrière-cour est particulièrement sombre. Il ne s’agit pas ici d’une question politico-diplomatique touchant à l’existence ou non d’une colonie déterminée, mais du caractère que présente le régime en Israël. Il faut vider cet abcès immédiatement, sans condition, avant que le mal ne se propage.

Ce qui se passe à Hébron est différent de tout ce qui se passe dans les territoires de l’occupation. A Hébron ont lieu les actes de terreur les plus graves sortis des ateliers de l’entreprise des colonies. Pendant que les colons se lamentent sur leur « déracinement » du Goush Katif et que les champions de l’affliction prêchent la réconciliation avec eux et l’identification à leur sort, l’expulsion des Palestiniens de Hébron se poursuit dans des proportions effrayantes. Il ne peut y avoir de réconciliation avec des gens – la chair et le sang de l’entreprise colonisatrice – qui traitent leurs voisins comme ça. Celui qui appelle à manifester de la miséricorde à l’égard des colons évacués de Gaza et qui garde le silence sur les actes des colons à Hébron, révèle une moralité tortueuse et hypocrite.

Cependant, ce n’est pas le comportement brutal des colons qui constitue ici le point central et qui doit soulever des tempêtes mais bien l’attitude de l’Etat qui ne les arrête pas et leur offre même son appui. On parle maintenant d’anarchie à Gaza ? A Hébron, l’anarchie règne sous l’égide d’un Etat qui détient des instruments sophistiqués pour appliquer la loi et sous ses yeux tenus fermés par un accord tacite. On s’occupe de la tragédie du déracinement de gens hors de leurs maisons dans le Goush Katif ? Le déracinement et l’expulsion sont à Hébron d’une cruauté sans commune mesure. Le nombre des expulsés y est de loin plus élevé et ils restent dans un dénuement total. Nul ne s’inquiète de leur sort.

Il est un petit peu difficile de croire que la réalité d’Hébron demeure cachée à la vue de la majorité des Israéliens et ne l’ébranle pas jusqu’aux tréfonds. Au cours des cinq dernières années, s’est produit, à une distance de moins d’une heure de route de la capitale d’Israël, le transfert de quelque 25 000 habitants et toute cette machination se poursuit au quotidien, sous la protection de l’armée de défense d’Israël et de la police, à l’ombre du désintérêt médiatique et avec pour objectif d’amener l’expulsion de tous ceux qui restent d’un secteur d’Hébron où vivaient jusqu’il y a peu 35 000 Palestiniens et 500 Juifs.

Celui qui n’a pas visité la ville ces dernières années n’en croirait pas ses yeux. Dans la zone sous contrôle israélien, la zone H2 selon « l’accord d’Hébron », c’est une ville fantôme qui apparaît. Des centaines de maisons abandonnées, des dizaines de boutiques démolies, incendiées ou aux volets clos, dont les colons ont soudé les portes, et partout un silence de mort. Selon des estimations non officielles, ne resteraient sur place guère plus de dix mille habitants. Les autres ont quitté leurs maisons et leurs biens, ne pouvant plus supporter les harcèlements des colons et de leurs enfants. C’est le plus grand déracinement de ces dernières années. La vraie expulsion, elle est là.

Jour après jour, ici, des colons maltraitent leurs voisins. Le chemin de l’école, pour un enfant palestinien, est à chaque fois un parcours fait de tourments et de menaces ; et pour la maîtresse de maison, chaque sortie pour faire des achats s’accompagne d’humiliations. Enfants de colons qui donnent des coups de pieds aux femmes âgées portant des paniers, colons qui excitent leurs chiens contre des vieillards, ordures et excréments lancés depuis les terrasses des colons jusque dans la cour des maisons des Palestiniens, jets de pierres sur les passants : telle est la routine dans laquelle vit la cité. Des centaines de soldats, garde-frontières et policiers sont là, mais se tiennent à l’écart. De temps à autres, ils échangeront une blague avec les agresseurs ; presque jamais ils ne se mettront en travers de leur chemin. Les tentatives des habitants pour déposer plainte à la police sont rejetées d’emblée sous des prétextes multiples et variés. Même quand il s’agit de pogromes perpétrés par une foule – comme il y a quatre mois environ, quand des centaines de colons sont entrés dans la maison du Dr Taysir Zehadi à Tel Roumeidah et ont démoli tout ce qui leur tombait sous la main – les forces de sécurité se tiennent à l’écart. Un film vidéo a gardé le témoignage des violences, mais personne n’a songé à le diffuser à la télévision israélienne.

Dans le quartier de Tel Roumeidah où il ne reste plus que 50 familles sur 500, cette réalité prend des dimensions monstrueuses : les habitants marchent courbés dans la cour de leurs maisons, longeant les murs, parlant à voix basse par peur qu’on les entende ; des enfants, font le chemin de retour à la maison dans une course inquiète ; les voisins passent par des échelles branlantes pour se rendre d’une maison à l’autre ; vie de ghetto persécuté – tout ça à cause d’une poignée de casseurs qui demeurent au-dessus de leurs maisons, sur les hauteurs du quartier.

C’est en fin de compte l’histoire d’une réussite : la violence des colons a fait ses preuves et Hébron est en train de se judaïser. Ou plus exactement, de se vider. 500 habitants violents ont fait la démonstration qu’ils avaient, grâce à la protection dont l’Etat les couvre, le pouvoir d’expulser leurs voisins par milliers. Jamais personne parmi les dirigeants du Conseil du Yesha [Conseil des colons de Judée-Samarie-Gaza - NT] ne s’est prononcé contre ce fait, en sorte que le Yesha s’est rendu complice du crime. L’inaction criante du chef du gouvernement, Yitzhak Rabin, qui n’a pas eu le courage d’extirper cette implantation au lendemain du massacre au Tombeau des Patriarches, continue de porter ses fruits pourris. Depuis lors, chaque jour qui s’ajoute à l’existence de cette colonie sauvage d’Hébron ajoute un jour de honte pour l’Etat d’Israël.

[Traduction de l'hébreu : Michel Ghys]


Source : Michel Ghys


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