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Qui
a commencé ?
Gideon
Lévy
Haaretz, 9
juillet 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=736144
« Nous
sommes sortis de Gaza et ils tirent des roquettes Qassam »
– rien n’exprime plus précisément l’opinion générale à
propos de l’actuel cycle de confrontation ; « ils
ont commencé » : telle sera la réponse lancée à
qui essaierait néanmoins de soutenir que par exemple, quelques
heures avant le premier Qassam tombé, sans faire de dégâts, sur
une école à Ashkelon, Israël avait semé la destruction dans
l’Université Islamique de Gaza. Israël plonge Gaza dans
l’obscurité, lui impose un siège, bombarde, liquide et
emprisonne, tue et blesse des civils, dont des enfants et des bébés
en nombres terrifiants, mais : « ils
ont commencé ». Et puis aussi, ils « violent les règles » fixées par Israël : à nous, il
est permis de bombarder comme cela nous chante, mais il leur est
interdit de lancer un Qassam. Quand eux tirent un Qassam sur
Ashkelon, on est tout de suite « un
degré plus haut », alors que quand nous bombardons une
université ou une école, c’est dans l’ordre des choses.
Pourquoi ? Parce que ce sont eux qui ont commencé. Et que dès
lors, la justice est toute de notre côté, pense la majorité.
Comme dans une dispute au jardin d’enfants, « qui
a commencé ? » est devenu la carte morale gagnante
d’Israël pour tout crime commis.
Mais
alors, qui a vraiment « commencé » ?
Sommes-nous réellement « sortis
de Gaza » ? Israël n’est sorti de Gaza que
partiellement et de manière retorse. Le plan de désengagement,
qui s’était qualifié sentencieusement – « partage
du pays », « fin
de l’occupation » – a effectivement conduit au démantèlement
des colonies et au départ de l’armée israélienne de la Bande
de Gaza, mais il n’a quasiment rien changé aux conditions de
vie de ses habitants. Gaza est encore une prison et ses habitants
toujours condamnés à vivre dans la pauvreté et l’oppression.
Israël les enferme de tous côtés – mer, air et terre
ferme – à l’exception de la soupape de sécurité limitée du
passage de Rafah. Ils ne peuvent rendre visite à des proches
vivant en Cisjordanie ni chercher du travail en Israël dont l’économie
de Gaza a été totalement dépendante pendant environ 40 ans.
Faire passer des marchandises est parfois permis, parfois
interdit. Gaza n’a aucune chance, dans de telles conditions,
d’échapper à la pauvreté. Personne n’y investira, personne
ne pourra développer Gaza. Nul ne peut s’y sentir libre. Israël
est sorti de la cage, a jeté les clés et abandonné les
habitants à l’amertume de leur sort. Maintenant, moins d’un
an après le désengagement, Israël fait, dans la violence et la
force, le chemin du retour.
Que
pouvait-on espérer ? Qu’Israël se retire unilatéralement,
en ignorant ouvertement et outrageusement l’existence et les
besoins des Palestiniens, et que ceux-ci portent en silence toute
l’amertume de leur sort et ne poursuivent pas le combat pour
leur liberté, leur honneur et un moyen de subsistance ? Nous
avions promis un accès sécurisé vers la Cisjordanie et nous
n’avons pas tenu notre promesse. Nous avions promis de libérer
des prisonniers et nous n’avons pas tenu notre promesse. Nous
avons appuyé la tenue d’élections démocratiques pour ensuite
boycotter les dirigeants légalement élus, confisquer l’argent
qui revient à l’Autorité Palestinienne et déclarer la guerre
à celle-ci. Nous aurions pu nous retirer de Gaza dans le cadre de
négociations et d’une coordination, et tout en renforçant la
direction palestinienne existante, mais nous avons refusé et nous
voilà maintenant, à nouveau, à nous plaindre de « l’absence de dirigeants ». Nous avons fait tout ce qui était
possible pour écraser la société et la direction
palestiniennes, nous avons veillé le mieux possible à ce que le
désengagement n’annonce pas l’ouverture d’un nouveau
chapitre dans nos relations avec le peuple voisin, et maintenant
nous sommes surpris de la violence et de la haine que nous avons
nous-mêmes semées.
Que
se passerait-il si les Palestiniens ne lançaient pas de roquettes
Qassam ? Israël lèverait-il alors le boycott économique
imposé à Gaza ? Ouvrirait sa frontière au travail
palestinien ? Libérerait des prisonniers ?
Rencontrerait la direction élue et mènerait des négociations
avec elle ? Encouragerait les investissements à Gaza ?
Balivernes. Si les habitants de Gaza restaient tranquilles, comme
Israël l’attend d’eux, la question disparaîtrait de
l’ordre du jour, chez nous et dans le monde. Israël
continuerait la ‘convergence’
destinée exclusivement à servir ses objectifs tout en ignorant
les besoins des Palestiniens. Personne ne prêterait attention au
sort des habitants de Gaza s’ils ne recouraient pas à la
violence. C’est une vérité terriblement amère, mais les 20
premières années de l’occupation ont passé pour nous dans le
calme, et nous n’avons pas bougé le petit doigt pour mettre un
terme à cette occupation. Au lieu de ça, profitant du calme,
nous avons élaboré l’énorme et criminelle entreprise des
colonies. Et nous poussons maintenant, une fois encore, les
Palestiniens à recourir à la pauvre arme dont ils disposent et
à laquelle nous répondons en mettant en œuvre presque tout le
formidable arsenal en notre possession, tout en continuant à
clamer : ce sont eux qui ont commencé.
C’est
nous qui avons commencé. Nous qui avons commencé avec
l’occupation. C’est à nous qu’incombe d’y mettre un
terme, un terme à la fois véritable et absolu. Pour la violence,
c’est nous aussi qui avons commencé : il n’y a pas pire
violence que la violence d’une occupation s’imposant par la
force à tout un peuple et la question de savoir qui a tiré le
premier est par conséquent une dérobade destinée à distordre
le tableau. Après Oslo également, il s’en est trouvé pour déclarer
« nous sommes sortis
des Territoires », dans un mélange comparable
d’aveuglement et de mensonge.
Gaza
se trouve dans une détresse terrible où règnent la mort, la
peur, les difficultés de subsistance, loin des yeux des Israéliens
et de leur cœur. Chez nous, on ne montre que les Qassam. Chez
nous, on ne voit que les Qassam. La Cisjordanie continue de vivre
sous la botte de l’occupation, l’entreprise des colonies est
florissante et toute main tendue en direction d’un règlement, y
compris la main d’Ismaïl Haniyeh, est immédiatement repoussée.
Si après cela, quelqu'un avait encore une quelconque hésitation,
tomberait alors immédiatement la formule décisive : ce sont
eux qui ont commencé. Ce sont eux qui ont commencé et la justice
est avec nous. Alors que ce n’est pas eux qui ont commencé et
que la justice n’est pas avec nous.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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