Haaretz, 7 mai 2006
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Amir
Peretz a démarré du pied droit dans sa nouvelle fonction : il
a, vendredi soir, autorisé le bombardement aérien au cours duquel
cinq Palestiniens, hauts responsables des « Comités de Résistance Populaire
», ont été tués à Gaza. Ce sont toujours de hauts responsables.
De l’un des tués, on nous a dit qu’il était le frère de
Moumtaz Dourmich, un des chefs des Comités, responsable de
l’attentat avorté au barrage de Karni. Les autres ont, comme
d’habitude, été étiquetés de membres des Comités. Ces cinq-là
méritaient-ils la mort ? Difficile à savoir. Il est permis de
penser que le Ministre de la Défense ne le sait pas non plus. On a
fait savoir aux médias que le Ministre avait demandé, avant l’opération,
si celle-ci ne toucherait pas à des « innocents » et
que, comme il lui avait était répondu qu’ « apparemment non », il avait fait son devoir et autorisé
l’attentat. Ce bombardement était-il indispensable ?
Evidemment non. Il ne pourra qu’amener une nouvelle réplique
palestinienne, dans un cycle sanglant. Ainsi, dès sa première décision
sur le plan de la sécurité, Peretz se profile comme le
continuateur de Shaul Mofaz. Voilà qui est de bien mauvais augure.
La
grande promesse de ce nouveau gouvernement, c’est la nomination de
Peretz comme Ministre de la Défense ; elle pourrait aussi en
devenir la grosse déception, retentissante. Peretz a la charge de
faire la preuve de cette approche enthousiasmante qui veut qu’un
civil se faisant l’avocat de la paix et qui n’a pas grandi dans
des baraquements militaires, est en mesure de diriger la Défense
avec succès. Il serait dès lors difficile d’exagérer
l’importance de la mission qui repose sur les épaules du
capitaine de réserve et leader ouvrier de Sderot.
Le
problème est que si les attentes sont grandes, grands sont aussi
les dangers qui le guettent d’entrée de jeu. Contrairement à
d’autres nouveaux ministres – comme la Ministre de l’Enseignement
Youli Tamir, autre nomination prometteuse – sa première véritable
épreuve sera immédiate : examen surprise dès le lendemain du
prochain attentat. Une centaine d’heures de grâce et on pourra se
rendre compte si cette nomination sortant de la routine porte en
elle l’espoir d’autre chose. Les rumeurs de son échec
commenceront au matin du lendemain du prochain attentat :
« et voilà, ce ministre
inexpérimenté n’est pas parvenu à empêcher l’attentat ».
Le fait que le terrorisme a dressé la tête précisément sous des
généraux plus « expérimentés »
que lui, ne sera pas rappelé. Nous savons déjà où nous mènent
les « expérimentés » :
les tenants du sécuritaire feront du zèle pour l’inciter à
« faire quelque chose », ce qui signifie toujours l’exercice
de la force sans la moindre mesure, avec pour principe de tirer
vengeance et de faire payer. Ce n’est pas seulement que cela ne
fera pas « venir à bout »
du terrorisme, mais cela produira une nouvelle vague d’effusion de
sang.
Le
nouveau Ministre de la Défense sera testé sur sa capacité à résister
et à ne pas s’empresser de « faire
ses preuves » par des choix violents n’ouvrant sur aucun
espoir, comme il l’a fait à la fin de la semaine. Peretz, tenté
de démontrer qu’il « n’est pas ce que vous croyiez », pourrait être un ministre
très dangereux. Il pourrait décider d’une réponse israélienne
particulièrement radicale afin de montrer qu’il « n’est
pas comme ça ». Si par contre, il fait montre de retenue,
d’intelligence et surtout de fermeté dès ses premières décisions,
on comprendra, au sein de la Défense, qu’on change de direction
et qu’on ne reprend plus les vielles et mauvaises règles du jeu.
Peretz
peut faire passer ce message dès demain matin : s’il demande
à ses conseillers les chiffres des bombardements de l’armée israélienne
sur Gaza. Depuis le désengagement, Israël a, de source militaire,
lancé quelque 8000 obus qui ont semé la mort, la terreur et la
destruction, en réponse au tir de 545 roquettes Qassam et obus de
mortier dont seuls 174 ont été reconnus comme « tirs
indubitables », et qui n’ont tué personne. Cette
terrifiante démesure doit cesser immédiatement et Peretz doit en
donner l’ordre.
Les
premiers jours décideront de la suite. Ehoud Barak n’a pas empêché
la première destruction de maison palestinienne quelques jours après
avoir promis « une aube
nouvelle » et « un
gouvernement de paix ». L’hirondelle de la destruction
de la maison de la famille El-Halassa près de Ma’ale Adoumim
annonçait alors un automne de destruction de centaines de maisons
et de construction de milliers d’unités d’habitation dans les
colonies. Peretz aurait dû démarrer autrement. Tant à l’adresse
de l’armée israélienne qu’à l’adresse des Palestiniens,
Peretz doit immédiatement faire passer un signe d’humanité et de
moralité. C’est aujourd’hui une mission très difficile.
L’assassinat à Gaza éveille déjà de lourdes craintes que telle
ne sera pas sa voie.
A
l’entrée du nouveau ministre, se trouvent embusqués les généraux,
les amiraux et aussi les racistes, masqués ou déclarés. Il se
murmure déjà que c’était « manquer
de responsabilité nationale » que de le nommer à ce
poste, étant donnés ses antécédents et son origine. Peretz aura
besoin d’une solide dose d’assurance et tout particulièrement
de courage pour tenir face à eux. Il devra se rappeler que les généraux
ne seront pas les seuls à examiner ses actes et qu’il y aura
aussi ses électeurs. Il lui est interdit de prendre pour Loi Révélée
toute « évaluation de la situation » et tout « rapport
des services de renseignement ». Il découvrira que tous
ses conseillers sont prisonniers d’une conception erronée et
nuisible et qu’ils ne connaissent qu’un seul langage, celui de
la force. Sa tâche sera de s’obstiner : pourquoi avez-vous détruit,
pourquoi avez-vous arrêté untel, pourquoi avez-vous bombardé et
pourquoi avez-vous installé un barrage, pourquoi avez-vous tué et
pourquoi avez-vous blessé ? Toutes questions qui ne sont plus
soulevées depuis bien longtemps.
Le
chœur des généraux, y compris ceux de son parti, essaiera de réprimer
toute tentative de changer de cap. Le chemin est long et difficile,
ses chances sont minces mais elles existent. Très vite nous saurons
si nous avons un Ministre de la Défense courageux. Ce grand espoir
sera-t-il déçu ? Les regards sont maintenant tournés vers
Peretz : que surtout il n’en vienne pas à nous convaincre
qu’un autre général à l’esprit étroit et brutal, de ceux qui
n’ont pas besoin « de
faire ses preuves », eût été préférable pour nous à
un civil de Sderot, épris de paix et de justice sociale.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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