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Chiens de garde (2)
Gideon Lévy



Haaretz, 2 février 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=677487

Version anglaise : Dogs of war
www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=gideon&itemNo=678108

 

La victime de service des chiens de l’unité « Dard » de l’armée israélienne est Salha A-Dik, une vieille dame de 78 ans, mère de sept enfants, grand-mère et arrière-grand-mère de dizaines de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants. Elle a le bras en charpie. A nouveau, l’armée israélienne se dit désolée.

Elle est la femme la plus âgée du village de A-Dik, Salha A-Dik, une nouvelle victime des chiens de l’unité « Dard » de l’armée israélienne : hospitalisée depuis déjà trois semaines à l’hôpital Rafidia de Naplouse, elle gémit de douleur, le bras en charpie, ouvert jusqu’à l’os, parce qu’un chien tsahalien y a planté ses crocs.

Il y a environ un mois, il était question ici d’un enfant de 12 ans, Mohamed Kassam, après qu’un chien tsahalien eût planté ses crocs dans la chair de sa jambe et l’eût traîné dans les escaliers depuis le premier étage de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine, au milieu de la nuit. Cette fois, il s’agit de la grand-mère Salha, une vieille dame qui dormait chez elle quand les soldats ont lancé leur chien à la recherche d’un petit-fils recherché, Rami. Salha A-Dik a subi, cette semaine, une troisième opération à son bras qui refuse de guérir.

Dans le camp de réfugiés de Balata tout proche, erre Basel Abou Daoud, un enfant de 11 ans, lui aussi victime des chiens. Lui aussi s’est retrouvé, pendant dix jours, il y a environ deux mois, à l’hôpital Rafidia, à la suite de la morsure des chiens de garde de l’armée israélienne. Le chien lui a planté ses crocs dans les jambes et les mains. La terreur canine redresse la tête, aiguise ses dents. En lieu et place de la « procédure du voisin » déclarée illégale par la Cour suprême, nous avons une procédure nouvelle, la « procédure du chien », et un monde nouveau, celui du chien mangeur d’homme.

Une mauvaise odeur monte de la salle des urgences de l’hôpital gouvernemental Rafidia, à Naplouse, par laquelle passent tous ceux qui entrent à l’hôpital. Des draps tachés de sang et autres sécrétions attendent le prochain malade ou blessé. L’aspect de cet hôpital, le plus grand des hôpitaux de la deuxième plus grande ville de Cisjordanie, évoque les hôpitaux les plus misérables du tiers-monde, exception faite pour la nouvelle unité des brûlés inaugurée récemment et qui est la seule de toute la Cisjordanie.

Salha A-Dik est alitée dans une chambre de l’unité d’orthopédie, une chambre de six lits, sans la moindre chaise pour les visiteurs ou les malades. Les matelas sont affaissés, humides, certains sont dépourvus de draps ; là où il y en a, ils sont tachés. Cela empeste ici aussi. Dans le lit voisin de celui de Salha A-Dik, est couchée une toute petite fille. Chaque fois que les médecins découvrent le bras déchiré de Salha A-Dik, la petite fille se blottit dans son lit, effrayée par cette blessure, et sa mère lui dit d’aller vomir dans la poubelle placée dans un coin de la chambre. Le spectacle est effectivement insupportable : la chair du bras gauche de Salha A-Dik est totalement mise à nu, même trois semaines après sa nuit de cauchemar.

Cette nuit-là, à deux heures, Salha A-Dik a été réveillée au bruit fait par les soldats dehors. C’était le vendredi 13 janvier. Elle était seule à la maison avec son mari, Moustafa, à peu près du même âge qu’elle. Les deux vieillards dormaient du sommeil du juste chez eux, dans leur village, au sud-ouest d’Ariel. Dans les maisons voisines, dormaient leurs enfants et petits-enfants, dont le petit-fils recherché. Les soldats ont exigé de pouvoir entrer et Moustafa s’est levé pour leur ouvrir la porte. Ils ont ordonné au vieillard de sortir de la maison et d’aller dans la cour voisine où ils avaient rassemblé tous les hommes du voisinage. Il faisait froid. Moustafa a essayé d’expliquer aux soldats que son épouse, âgée, était encore dans la maison et ils lui ont dit de ne pas s’inquiéter. De quoi faudrait-il s’inquiéter ? Vraiment !

Après que Moustafa soit sorti de chez lui, les soldats sont entrés. Salha dit qu’ils étaient trop nombreux pour être comptés, « peut-être 40 », tant sa frayeur a été grande, et leur visage était peint en noir. Elle était demeurée assise sur le matelas étalé sur le sol qui lui sert de lit. « Je suis restée seule à la maison, dans mon lit », raconte-t-elle. Elle dit que les soldats l’ont vue, ne lui ont pas dit un mot et sont ressortis. Quelques minutes plus tard, le chien est entré. Elle décrit un chien terrifiant, « rouge », avec autour du cou un collier auquel était fixé un appareil électronique. Pourquoi le chien est-il entré alors que les soldats avaient déjà fouillé la maison ?

Le chien a couru à elle, s’est jeté sur elle, a saisi son bras droit entre ses dents. Retirant sa main, elle est parvenue en fin de compte, avec ce qui lui restait de forces, à se libérer de sa morsure. Voilà la trace des dents : des trous entaillés dans le bras droit. Mais alors le chien s’est jeté sur le bras gauche, y enfonçant ses dents avec plus de force encore, profondément dans la chair. Elle a commencé à crier à l’aide, mais personne ne s’est alerté. Elle ne portait sur elle qu’une chemise de nuit. Sa main était dans la gueule du chien. « Je crie, je crie, et puis je me suis effondrée. Il avait le dessus et il a commencé à me manger. C’en était tout à fait fini de moi. » Elle était assise sur le matelas avec le chien au-dessus d’elle, les dents plantées dans son bras. Imaginez la scène.

Après quelques minutes qui lui ont paru une éternité, les soldats, entendant les cris, sont entrés dans la maison. Ils ont fait lâcher prise au chien et l’ont envoyé rejoindre le véhicule de l’armée qui attendait dehors. Le chien a obéi à la voix de ses maîtres : un bon chien comme celui-là ! Salha A-Dik a trois fils et quatre filles. Le nombre de ses petits-enfants, elle ne pourrait le dire. Des dizaines. Elle ne sait pas au juste non plus combien d’arrière-petits-enfants. Rien que de sa fille Shahira, âgée de 52 ans, qui est à son chevet prenant soin d’elle jour et nuit depuis son hospitalisation, elle a 14 petits-enfants.

Elle dit que les soldats tiraient dans tous les sens, tandis qu’elle était assise sur son matelas. Après cela, ils l’ont portée à l’extérieur puis l’ont fait passée chez les voisins où ils l’ont déposée sur la terrasse. Un infirmier militaire a pansé ses blessures et lui a donné des médicaments, peut-être des analgésiques, puis ils l’ont conduite jusqu’à l’ambulance qui était garée dehors. L’ambulance est partie en direction du barrage de Hawara où Salha A-Dik a été transférée, par la méthode « de l’arrière à l’arrière », dans une ambulance palestinienne qui l’a conduite à Rafidia où elle a été admise par le Docteur Moumin Hares.

De son dossier médical, le Dr Hares lit ceci : « Admise à sept heures et demie du matin, avec de profondes entailles dans la main droite, absence de peau, une blessure profonde au bras gauche, de cinq centimètres sur sept, et des difficultés à bouger les doigts. Elle était en état de choc ». Les médecins ont arrêté l’hémorragie et ont conduit la patiente en salle d’opération. Depuis lors, elle a subi une autre opération visant à reconstituer les tendons et les vaisseaux sanguins déchirés. Elle a été mise sous antibiotiques puissants pour parer au danger d’infection et, cette semaine, le chirurgien plastique, le Docteur Zyad Azouni, était censé l’opérer une nouvelle fois pour faire une greffe de peau, de la cuisse vers le bras. Quelques jours après que Salha A-Dik a été hospitalisée, son fils, Nasser A-Dik, a rencontré des femmes de « Machsom Watch » et il les a implorées de s’occuper du transfert de sa mère vers un hôpital israélien. Cela ne s’est pas fait.

L’armée israélienne s’excuse non seulement pour les blessures de Salha A-Dik mais aussi pour l’enfant Basel Abou Daoud. Le porte-parole de l’armée a réagi en déclarant : « L’armée israélienne exprime ses regrets pour les incidents décrits, au cours desquels des civils palestiniens ont été mordus par des chiens au cours d’opérations visant à localiser et à arrêter des activistes terroristes recherchés. Ces incidents font l’objet d’un examen et d’une enquête en vue de réduire le risque qu’ils se reproduisent à l’avenir. »

Salha A-Dik dit que les tirs ont fait des ravages dans sa maison, mais dans le même souffle, elle murmure : « Il aurait été préférable pour moi qu’ils démolissent la maison plutôt que de me faire ce que le chien m’a fait ». L’armée israélienne est restée dans le village jusqu’à midi et demi. Le mari de Salha A-Dik était retenu avec les autres hommes dans une des cours. Les membres de la famille n’avaient aucune idée du sort de Salha.

Lorsque les soldats sont finalement partis, Shahira est entrée dans la maison pour chercher sa mère. « Nous avons trouvé la maison pleine de balles mais nous n’avons pas trouvé maman », raconte la fille. Moustafa s’est précipité auprès des soldats encore présents au centre du village et leur a demandé ce qu’il était advenu de son épouse. « Courez après elle à l’hôpital de Naplouse », lui ont-ils dit, d’après ce que rapporte la fille. A cinq heures et demie de l’après-midi, la famille est parvenue à passer le dur et désespérant barrage de Hawara et à se rendre à l’hôpital. Une autre fille qui vit dans le camp de réfugiés de Jelazoun, près de Ramallah, y était arrivée avant les membres de la famille venus du village de A-Dik.

Le petit-fils recherché, Rami, âgé de 24 ans, a été libéré de la prison israélienne il y a presque un an et il habite à proximité de la maison de ses grands-parents. Marié, sans enfant, il a finalement été arrêté par les soldats. Grand-mère Salha dit qu’il n’était pas armé.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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