Le succès commercial des récoltes
de tomates et de poivrons pourrait être anéanti par les frontières
fermées.
...En partant après 38 années d’occupation,
les colons ont dépouillé tous les systèmes de chauffage et
refroidissement, d’irrigation et parfois même les serres
elles-mêmes. Et une fois l’armée partie, des dizaines de
milliers de Palestiniens ont pillé les colonies détruites,
emportant tout ce qui était vendable ou utilisable y compris les
boites de jonction électriques, les valves d’eau, les bâches
en plastique et les filets. Certains d’entre eux ont brisé les
vitres des serres juste pour détruire toute chose associée à
Israël.
« Quand les colons sont partis, nous avons
estimé que deux tiers des serres pouvaient encore être utilisés
pour planter » dit M. Badel. « Une semaine plus
tard, après que les Palestiniens aient tout endommagé,
j’estime que seuls 40% sont encore utilisables ».
« Nous avons obligé nos travailleurs et nos
ingénieurs à travailler 24 heures sur 24. Nous avons utilisé
les mêmes techniciens et certains des ouvriers agricoles qui
travaillaient pour les colons. Nous avons récupéré ces sites le
22 septembre et nous devons expédier par bateau nos premières récoltes
en Europe en fin de mois. Inshallah (que Dieu veuille).
Et qu’Ariel Sharon le veuille aussi. Alors que
les Palestiniens se préparent à faire entrer la première récolte
de tomates et de poivrons, leur succès final dépend du contrôle
israélien sur le passage de sortie principal des cargos hors de
la Bande de Gaza pour atteindre les marchés d’exportation
d’Europe.
Le poste de Karni a été la cible d’attaques
palestiniennes et l’armée israélienne a fait pression sur la
population de Gaza avec des bouclages fréquents et un nombre
limité de passages. Si la question n’est pas résolue bientôt,
les Palestiniens risquent de n’avoir rien d’autre à montrer
de leurs efforts à part des tonnes de légumes et de fruits
pourrissants et des contrats européens annulés.
Depuis le retrait israélien de Gaza, une moyenne
de 12 camions de marchandises ont traversé Karni chaque jour. La
Banque mondiale estime que pour que l’économie progresse, au
moins 150 camions doivent passer chaque jour.
« Nous avons des accords d’exportation
pour 80% de nos récoltes avec des exportateurs vers l’Europe et
pour le marché israélien. Les récoltes de première qualité
partent en Europe et celles de deuxième qualité en Israël »
dit M. Badel en nous guidant à travers les rangées de maïs
doux et de tomates cerise remplissant les serres dans ce qui était
auparavant la colonie de Netzarim. Les habitations des colons sont
maintenant en ruines. Les serres nécessitent de nouvelles bâches
en plastique et des filets sur les vieux cadres ainsi que des
canalisations d’irrigation.
« Tout dépend de Karni et que les Israéliens
n’en fassent pas un conflit politique. Si les camions restent
coincés là pendant des jours comme cela se fait actuellement, ce
sera la fin du commerce. Pour réussir à exporter des produits
agricoles, vous devez les cueillir un certain jour pour qu’ils
soient déjà le lendemain sur les étagères. Le temps et la
qualité sont encore plus importants que l’argent » dit M. Badel.
L’Autorité palestinienne a hérité de 330
hectares de serres dont environ les deux tiers sont maintenant
plantés procurant environ 4 000 emplois.
La Banque mondiale américaine et l’envoi spécial
au Moyen-Orient, James Wolfensohn, ont pressé Israël d’ouvrir
le point de passage sans interruption et à pleine capacité pour
permettre aux Palestiniens de remplir leurs contrats avec les
acheteurs d’outre-mer, contrats qui peuvent décider de la réussite
ou de l’échec des serres. Après des semaines de blocage de la
part des Israéliens, Nigel Roberts, le représentant de la Banque
Mondiale pour les territoires occupés, a servi de médiateur dans
les conversations en début de semaine. Il dit qu’Israël a donné
son accord pour mettre fin à la pratique des fermetures de Karni
et des autres points de passage frontaliers utilisés comme moyen
de punition contre la population de Gaza pour les attaques suicide
et celles de missiles des groupes armés palestiniens.
« Les Israéliens ont indiqué de façon
plus explicite qu’ils ne l’avaient fait auparavant, qu’ils
n’avaient plus l’intention de fermer ces passages à moins
d’une menace sécuritaire dans un des passages » a-t-il
dit.
Mais arriver faire fonctionner Karni à pleine
capacité sera un défi. « Malheureusement c’est
maintenant une course contre la montre parce que nous avons perdu
9 semaines pendant lesquelles il n’y a eu aucune discussion sur
ce sujet et cela signifie que nous n’avons que deux semaines
avant la rentrée des récoltes. Cela sera beaucoup plus difficile
d’arriver à pleine capacité au bon moment » dit-il.
Les Palestiniens sont obligés d’exporter en
passant par Israël parce que le gouvernement Sharon s’oppose à
la réouverture de l’aéroport international de Gaza et qu’il
n’y a toujours pas d’accord concernant la construction d’un
port sur la mer.
Le succès commercial des serres n’est pas le
seul enjeu. Israël a dépeint la capacité de l’Autorité
palestinienne à gouverner Gaza et ses 1.2 millions d’habitants,
(y compris les mesures pour faire revivre son économie qui
s’est réduite de plus d’un tiers ces cinq dernières années),
comme un test décisif destiné à prouver si elle est capable ou
non de diriger un état indépendant. La Grande Bretagne et les
USA ont également dit qu’ils considéraient l’administration
de Gaza comme un exercice de gouvernance en vue de l’obtention
d’un statut d’Etat.
Mais les quelques semaines à venir sont aussi un
test vis-à-vis des intentions d’Israël. Elle dit qu’elle
veut que Gaza soit un succès économique et a poussé des hommes
d’affaires étrangers à investir dans le territoire. L’Autorité
palestinienne a investi environ 10 $ millions sur la
reconstruction des serres et 5 $ millions sur les plantations. Si
elle réussit à amener les récoltes au marché, elle s’attend
à un retour sur investissement de 22 $ million la première année.
Les colons gagnaient environ 100 $ million par an. Si les serres
sont un succès, l’Autorité palestinienne espère les
privatiser malgré le fait qu’il y a peu de chance qu’il y ait
des acquéreurs tant que Karni reste un obstacle.
« Les perspectives à court terme pour Gaza
impliquent aussi la capacité de faire rentrer beaucoup de
marchandises de développement alors que les perspectives de
croissance à moyen terme pour Gaza sont directement affectées
par le fonctionnement ou le non fonctionnement de ces frontières »
dit M. Roberts. « Les frontières doivent fonctionner
efficacement et évidemment de façon sûre s’il y a la moindre
chance de reconnaissance économique ici. La prévisibilité ou un
manque de prévisibilité tue particulièrement le commerce. Si
vous ne pouvez pas satisfaire à vos commandes à temps cela ne
vaut même pas la peine d’essayer. Quelqu’un qui vous passe
une commande d’Espagne ou de France a beaucoup d’autres
producteurs possibles qui peuvent garantir que les marchandises
arriveront à temps. »
Salah Abdel Shafi, un conseiller économique pour
l’administration palestinienne, dit que tandis que beaucoup de
choses dépendent politiquement du succès des serres, en fin de
compte l’agriculture à Gaza n’a que peu de futur.
« A long terme, il n’y a pas de futur pour
l’agriculture à cause des problèmes d’espace et d’eau. Si
nous regardons l’économie palestinienne dans son ensemble,
l’agriculture devrait se concentrer plus en Cisjordanie ».
« A Gaza nous dépendons des services de
secteur, du tourisme et de l’industrie légère. Mais le fait de
faire revivre les serres est important afin d’établir la façon
avec laquelle Gaza fera dans le futur du commerce » dit-il.