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Ha'aretz
Vraiment, vous ne voyez pas ?
Amira
Hass
Haaretz, 30 août 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/756512.html
Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/756413.html
Laissons
de côté les Israéliens qui soutiennent idéologiquement la dépossession
du peuple palestinien, sous-produit de « Tu
nous as élu [parmi
toutes les nations] ». Laissons de côté les juges qui
blanchissent n’importe quelle politique militaire de mort et de
destruction. Laissons de côté les chefs militaires qui
emprisonnent sciemment un peuple entier dans des enclos ceints de
murailles, de miradors fortifiés, de mitrailleuses, de fil de fer
barbelé, de projecteurs aveuglants. Laissons de côté les
ministres. Tous ceux-là ne sont pas comptés parmi les
collaborateurs. Eux, ce sont les architectes, les promoteurs, les
concepteurs, les exécutants.
Mais
il en est d’autres. Des historiens et des mathématiciens, de
grands éditeurs, des stars des médias, des psychologues et des médecins
de famille, des juristes qui ne sont pas sympathisants de Goush
Emounim ni de Kadima, des enseignants et des éducateurs, des
amateurs de randonnées et de chansons entonnées en chœur, des
virtuoses de la haute technologie. Où êtes-vous ? Et
qu’en est-il de vous, chercheurs spécialisés dans le nazisme
et le génocide, l’antisémitisme et les goulags soviétiques ?
Se peut-il vraiment que tous vous souteniez des lois méthodiquement
discriminatoires ? Des lois qui feront que les Arabes de
Galilée ne recevront même pas d’indemnités pour les dommages
de la guerre, à hauteur des montants auxquels auront droit leurs
voisins juifs (Aryeh Dayan, Haaretz,
21 août).
Se
peut-il que tous vous souteniez une loi de citoyenneté raciste
qui interdit à un Israélien arabe de vivre chez lui avec sa
famille ? Que vous vous rangiez du côté de
l’expropriation de nouvelles terres encore et de la dévastation
d’autres vergers encore, pour offrir encore un quartier aux
colons, encore une route pour les Juifs seulement ? Se
peut-il que vous appuyiez les tirs d’obus et de missiles qui
tuent des vieillards et des enfants dans la Bande de Gaza ?
Se
peut-il que tous vous soyez d’accord qu’un tiers du territoire
de la Cisjordanie (la Vallée du Jourdain) soit fermé aux
Palestiniens ? Que tous vous appuyiez la politique israélienne
qui empêche à des milliers de Palestiniens citoyens de pays étrangers
de rejoindre leur famille dans les Territoires ?
Avez-vous
le cerveau à ce point lavé par l’excuse sécuritaire, en vertu
de laquelle on interdit à des étudiants de Gaza d’aller étudier
l’ergothérapie à Bethlehem et la médecine à Abou Dis, ou à
des malades de Rafah de recevoir des soins à Ramallah ?
Aurez-vous tôt fait, vous aussi, de vous abriter derrière
l’explication « nous
ne savions pas » ? Nous ne savions pas que la
discrimination pratiquée dans la distribution de l’eau – une
distribution sous contrôle israélien – laissait sans eau des
milliers de maisons palestiniennes durant tous les mois d’été,
nous ne savions pas que lorsque l’armée israélienne bloquait
l’entrée de villages, elle empêchait également leur accès
aux puits et aux citernes d’eau.
Mais
il n’est pas possible que vous ne voyiez pas les portes métalliques
tout au long de la route 443 en Cisjordanie, ces portes qui en
barrent l’accès à partir des villages palestiniens qui la
bordent. Il n’est pas possible que vous souteniez le fait
qu’on empêche des milliers d’agriculteurs palestiniens
d’accéder à leurs terres et à leurs vergers, que vous
souteniez le blocus de Gaza qui empêche l’entrée de médicaments
pour les hôpitaux, que vous souteniez la coupure de la fourniture
d’électricité et les coups portés à la distribution d’eau
pour 1,4 millions de personnes, ou encore la fermeture pendant des
mois de la seule issue qu’ils ont sur le monde.
Se
peut-il que vous ne sachiez pas ce qui se passe à un quart
d’heure de vos chaires d’université ou de vos bureaux ?
Vous viendra-t-il à l’esprit que vous soutenez un système dans
lequel des soldats hébreux, à des barrages installés au cœur
de la Cisjordanie, font s’aligner en file des dizaines de
milliers de personnes, chaque jour, sous un soleil de plomb,
heures après heures, et font le tri : les habitants de
Tulkarem et de Naplouse ne sont pas autorisés à passer ;
ceux qui ont 35 ans ou moins : yalla, retour à Jénine ; pour les habitants du village de
Salem, il est totalement interdit d’être ici ; une femme
malade qui dépasse la file doit apprendre les bonnes manières et
elle sera retenue pendant des heures, volontairement.
Le
site de « Machsom Watch » est ouvert à tous. On peut
y trouver d’innombrables témoignages semblables ou plus durs :
activité de tous les jours. Non, il n’est pas possible que
celui qui pousse de hauts cris pour chaque croix gammée tracée
sur une tombe juive en France et pour tout titre antisémite
apparaissant dans un journal local espagnol, ne sache pas comment
avoir accès à cette information, ne soit pas choqué et ne
pousse pas de hauts cris.
En
tant que Juifs, nous bénéficions tous des privilèges que l’Etat
d’Israël nous octroie. Nous sommes dès lors tous des
collaborateurs. La question est de savoir ce que chacun d’entre
nous fait, de manière véritablement active, directe et
quotidienne, pour limiter la collaboration avec un régime de dépossession
et d’oppression qui ne connaît pas la satiété. Signer une pétition
qui se présente et faire un petit bruit de langue désapprobateur,
cela ne suffit pas. Israël est une démocratie pour ses Juifs.
Notre vie n’est pas mise en danger si nous protestons, nous ne
serons pas envoyés dans des camps de prisonniers, nos revenus ne
seront pas affectés, et il n’arrivera rien à nos moments de détente
au cœur de la nature ou à nos escapades à l’étranger. Mais
alors, le poids de la collaboration et de la responsabilité
directe n’en est que plus incommensurablement lourd.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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