Haaretz, 27
septembre 2005
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Version anglaise abrégée : www.haaretzdaily.com/hasen/spages/629024.html
Chaque
année, à la fin du mois d’octobre, le Ministère palestinien de
l’Intérieur à Gaza lance une opération d’émission de la
première carte d’identité de ceux qui ont atteint l’âge de 16
ans. Cette année, le Ministère de l’Intérieur sera assisté par
les écoles : chaque élève apportera en classe quatre photos
de passeport, une photocopie de la carte d’identité des parents
et de son extrait d’acte de naissance. L’école transmettra les
documents au Ministère de l’Intérieur. Comme chaque année, les
employés du Ministère de l’Intérieur introduiront dans
l’ordinateur toutes les données en vue de l’émission des
cartes d’identité et comme chaque année, depuis la création de
l’Autorité Palestinienne, un employé du Ministère palestinien
de l’Intérieur communiquera au représentant du service
d’enregistrement de la population du Ministère israélien de l’Intérieur
– lequel représentant se trouve en poste dans les bureaux de l’Administration
de Coordination et de Liaison – toutes les données enregistrées
et la photo de chacun.
On
prévoit ainsi que de huit à dix mille jeunes gens seront contrôlés,
en dépit du désengagement, par des employés israéliens. Indépendamment
du départ de l’armée israélienne de la Bande de Gaza, le Ministère
palestinien de l’Intérieur est tenu, cette année encore,
d’attendre la permission du représentant du Ministère israélien
de l’Intérieur pour pouvoir émettre les premières cartes
d’identité aux jeunes Palestiniens.
Depuis
1967, tous les habitants palestiniens sont enregistrés au Ministère
israélien de l’Intérieur. Cela n’a pas changé au moment de la
création de l’Autorité Palestinienne. Bien au contraire, pour
chaque habitant palestinien des observations sont notées, qui relèvent
de la sécurité et qui n’apparaissent pas à l’écran des
ordinateurs du Ministère palestinien de l’Intérieur mais
seulement sur des écrans d’ordinateurs israéliens : à
l’administration civile et dans les bureaux des Renseignements Généraux
[Shabak]. Ce nœud gordien n’a pas changé avec la mise en
œuvre du « désengagement ».
Le
registre palestinien de population dans la Bande de Gaza n’a pas
été « désengagé » de l’ordinateur israélien. De
sources palestiniennes, on indique que la question de la « séparation »
d’avec les ordinateurs israéliens n’a absolument pas été
soulevée lors des discussions sur le désengagement qui se sont
tenues entre représentants israéliens et Autorité Palestinienne,
si bien que les Palestiniens ont compris que la même situation
serait maintenue. Les représentants de l’Administration israélienne
de Coordination et de Liaison ont même fait savoir au représentant
du Ministère de l’Intérieur que, du fait du déménagement de
leurs bureaux hors des frontières de la Bande de Gaza, la mise à
jour des registres – notamment pour ce qui est des naissances et
des décès – serait gelée pour une période de dix jours. Dès
que le travail reprendra côté israélien – et cela aussi dépend
de la détente sur le plan de la sécurité – un employé du
Ministère palestinien de l’Intérieur sortira avec des caisses
remplies de rapports sur les dernières naissances, les décès, les
mariages, pour les remettre à l’Administration de Coordination et
de Liaison, en ses nouveaux bureaux et permettre ainsi la mise à
jour de l’ordinateur israélien.
S’agissant
de l’émission de cartes d’identité ou de l’enregistrement
d’une naissance ou d’un décès, cette mise à jour apparaît
comme purement technique. Mais la dépendance à l’égard d’Israël
est absolue quand il s’agit d’ajouter des habitants au registre :
le Ministère palestinien de l’Intérieur n’a, par exemple, pas
autorité pour accorder la « citoyenneté » à des
Palestiniens nés à l’étranger et qui souhaiteraient concrétiser
leur « droit au retour » à l’intérieur de la
Cisjordanie ou de la Bande de Gaza. Il en est de même pour les
dizaines de milliers de Palestiniens nés dans les Territoires occupés
mais qui ont perdu leur droit de résidence à cause d’une
politique israélienne délibérée de déni de droit de résidence
à toute personne qui n’est pas revenue au pays pendant une période
de plus de trois ans.
En
outre, l’Autorité Palestinienne n’est pas libre de renouveler
leurs cartes d’identité. Il y a des dizaines de milliers de
couples dont un des membres est né dans la diaspora palestinienne
et n’est pas un habitant des Territoires. Depuis 1967, ce sont les
autorités israéliennes qui sont compétentes pour autoriser la
« réunification familiale » de tels couples. Rien n’a
changé après la création de l’Autorité Palestinienne. Et cela
fait cinq ans que le traitement des dossiers de « réunification
familiale », qui s’opérait par le biais de négociations
entre Israël et les Palestiniens, est gelé.
En
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, vivent environ 54 000
Palestiniens détenteurs d’un passeport étranger, qui sont arrivés
dans les Territoires comme touristes, avec un visa d’entrée israélien,
dans l’espoir de se voir accorder la « citoyenneté »
dans le cadre des accords d’Oslo et du processus politique. Ces
gens-là, qui sont appelés « visiteurs retardataires »,
risquent l’expulsion s’ils arrivent à un barrage militaire israélien
et cela, même s’ils ont des enfants ou un conjoint dans les
Territoires. Ils ne peuvent pas non plus partir à l’étranger, même
en cas d’urgence. Dès lors qu’ils seraient partis, Israël ne
les autoriserait pas à revenir dans la mesure où ils auront été
en séjour illégal une fois passée la date d’expiration de leur
visa d’entrée. C’est dire que le contrôle israélien sur les
registres du Ministère palestinien de l’Intérieur est lié au
contrôle israélien sur les passages à la frontière et sur les déplacements
à l’intérieur de la Cisjordanie. L’Autorité Palestinienne ne
peut dès lors pas agir unilatéralement et donner à tous ces gens
une carte d’identité : au premier soldat israélien qui, à
un barrage ou un passage de frontière, la contrôlerait et découvrirait
que ses données ne figurent pas dans l’ordinateur israélien,
cette carte d’identité n’aurait même pas la valeur du papier
sur laquelle elle est imprimée.
Les
Palestiniens n’ont pas envisagé de demander une modification de
la situation existante ni le « retrait » du registre de
population de la Bande de Gaza hors du Ministère israélien de
l’Intérieur. Pour eux, ce qui s’applique à la population de
Cisjordanie s’applique à celle de la Bande de Gaza et ce sont
deux morceaux d’une même « unité territoriale ».
C’est pour cette raison par exemple qu’avant-hier, dans son
discours à Ramallah, Mahmoud Abbas a insisté sur son opposition à
la demande de libération des prisonniers gazaouis dans le cadre du
« désengagement ». Selon lui, il n’y a pas de différence
entre les prisonniers de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est,
et l’exigence de leur libération n’a pas de lien avec le départ
de Gaza de l’armée israélienne. C’est pourquoi, du point de
vue palestinien, le maintien du contrôle israélien sur le registre
de population palestinien est la démonstration que l’occupation
israélienne de la Bande de Gaza n’a pas pris fin. Le fait que les
instances israéliennes ne se sont pas « portées volontaires »
pour discuter de la possibilité de retirer le registre de la
population gazaouite du Ministère israélien de l’Intérieur est
en contradiction avec leur attente de voir le monde reconnaître que
Gaza n’est plus une zone occupée.
[Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys]
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