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Ha'aretz
L’expulsion
silencieuse
Le
déménagement forcé de la famille Joubeh :
de
Jérusalem à Ramallah, et de là en Grande-Bretagne
Amira
Hass
Haaretz, 27
août 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/755173.html
Version
anglaise (partielle) : Accidental
emigrant
www.haaretz.com/hasen/spages/755375.html
En
mars 2006, le visa touristique de Hayan Joubeh, 44 ans, est arrivé
à expiration. Comme il en a l’habitude depuis près de dix ans,
il s’est rendu à Aman pour en revenir avec un nouveau visa.
« Trois ou quatre
jours, et je reviendrai », a-t-il promis à ses quatre
enfants. Le jour prévu de son retour, son épouse, Sawsan Kaoud,
âgée de 34 ans, a emmené ses quatre enfants dans un centre
commercial de El-Bireh. Les enfants ont profité des jeux. Elle
les surveillait en buvant du café et en fumant une cigarette.
C’est à ce moment que son mari lui a téléphoné. « On ne m’a pas laissé passer (par le point frontière du pont Allenby) »,
lui a-t-il dit. « Quoi ? »
Elle a d’abord pensé avoir mal entendu, puis n’a pas cru ce
qu’il lui disait. Mais il ne blaguait pas.
Hayan
Joubeh est né à Jérusalem, il y a vécu et étudié jusqu’à
ce qu’il se rende à l’étranger pour étudier le théâtre.
Il a épousé une Irlandaise (qui possédait aussi la nationalité
britannique). En Grande-Bretagne sont nés Youssef, 13 ans
aujourd’hui, et Sophie, 11 ans. En octobre 1995, son épouse est
décédée. Hayan Joubeh a décidé de revenir à Jérusalem avec
ses enfants, afin qu’ils grandissent dans sa grande famille de Jérusalem.
L’accord
d’Oslo et la perspective d’un accord de paix l’ont aussi
encouragé à revenir dans sa ville natale. Il a trouvé un emploi
au sein de la chaîne de télévision MBC et a travaillé dans ses
bureaux de Jérusalem. Mais au milieu de l’année 1996,
lorsqu’il a souhaité renouveler son laissez-passer – ce
laissez-passer qui est accordé aux Palestiniens de Jérusalem
pour leurs déplacements à l’étranger – on lui a dit, au
Ministère de l’Intérieur : « Vous n’êtes pas résident ».
Des habitants de Jérusalem, privés de droits dans
leur ville
En
décembre 1995, le Ministère israélien de l’Intérieur a entamé
une politique systématique de révocation du statut de résident
jérusalémite pour des milliers de Palestiniens natifs de la
ville pour qui, aux dires du Ministère, le « centre
de leur vie » n’était plus à Jérusalem et dont le
permis de séjour permanent avait dès lors « expiré ».
Cela s’appliquait à ceux qui avaient habité ou habitaient à
l’étranger, comme aussi à ceux qui vivaient dans les quartiers
jouxtant le territoire municipal de Jérusalem. Il n’y a pas eu
déclaration officielle de cette politique. Elle n’est apparue
clairement pour ce qu’elle était – une politique – qu’au
fur et à mesure que des gens et d’autres gens encore ont découvert,
au Ministère de l’Intérieur et aux postes de frontière,
qu’ils n’étaient plus considérés comme habitants, plus
comme Jérusalémites et qu’ils étaient privés de droits dans
leur propre ville. Hayan Joubeh fut l’un d’eux. Ses tentatives
pour récupérer ce statut de résident pour lui-même et ses
enfants ont été vaines. Il était sans « identité »,
sans aucun papier officiel prouvant qu’il existait bien. Dans sa
détresse, il a demandé la nationalité irlandaise et l’a
obtenue. Depuis lors, il quitte tous les trois mois son pays natal
pour y revenir comme touriste.
A la rédaction de MBC, il
a rencontré Sawsan Kaoud, une habitante de Ramallah originaire de
Naplouse. En 1997, ils se sont mariés et se sont établis à
Ramallah. En 1999, ils ont fondé une société de production et
de tournage de films pour la télévision. Ils ont eu deux enfants :
Omar et Nathalie. Quand ils ont perdu tout espoir que lui soit
restitué son statut de résident de Jérusalem, ils ont demandé
aux autorités israéliennes (en passant par le Ministère
palestinien de l’Intérieur) une « réunification
familiale » à Ramallah. Autrement dit, ils ont demandé
qu’Israël l’autorise à devenir un résident de l’Autorité
Palestinienne. Israël n’a pas donné son autorisation et de
toute façon, depuis septembre 2000 et à ce jour encore, Israël
a gelé tout traitement de demandes semblables.
Même les enfants enfreignent la loi malgré eux
Ses
deux plus grands enfants entrent eux aussi dans la catégorie des
touristes, et qui plus est de touristes qui enfreignent la loi :
ils ne sont pas partis tous les trois mois avec leur père afin de
renouveler leur visa touristique. La raison : le coût élevé
d’une pareille « excursion » et la volonté des parents de veiller à ce que
les enfants ne perdent pas de journées d’études. Après que
Hayan Joubeh n’ait pas été autorisé à revenir, Sawsan Kaoud
a commencé à se démener pendant un mois et demi, courant d’un
ministère à l’autre, d’un avocat à l’autre. Elle a pris
contact avec l’ambassade d’Irlande où on lui a dit avoir
contacté les Ministères israéliens de l’Intérieur et des
Affaires étrangères afin de protester et d’obtenir des éclaircissements,
mais sans avoir obtenu de réponse. Entre temps, Hayan Joubeh
avait lui-même décidé de tenter sa chance par le pont « Cheikh
Hussein », à Beit Shéan.
Ils ont décidé de « capituler » après
des mois de lutte
Le
3 mai, Hayan Joubeh a été autorisé à passer par Beit Shéan,
mais il ne s’est vu octroyer qu’un visa d’un mois seulement.
Son épouse et lui comptaient parvenir à le prolonger via le
Ministère palestinien de l’Intérieur. Malgré la rupture des
relations entre les deux côtés, le prolongement du visa de
conjoints de résidents palestiniens est, dans certains cas, rendu
possible sans qu’ils soient tenus de quitter le pays : mais
cela, seulement trois ou quatre fois de suite, après quoi il y a
obligation de partir à nouveau, sans garantie que le retour sera
autorisé. Cela non plus n’a pas marché pour eux et, début
juin, Hayan Joubeh est parti en Grande-Bretagne.
Il
a renoncé à la suggestion de quelques personnes d’ « enfreindre la loi », de demeurer en dépit de l’expiration
du visa et de lutter de l’intérieur pour son droit à rester.
Il se serait retrouvé prisonnier à l’intérieur de Ramallah,
entre la maison et le travail : s’il était alors sorti des
limites de Ramallah, à n’importe quel barrage placé autour de
la ville, un soldat aurait pu découvrir son « crime »
– ledit soldat ayant le pouvoir de l’expulser immédiatement
du pays. Lentement a filtré au sein du couple l’idée qu’il
n’y avait pas de solution autre que le départ de toute la
famille pour rejoindre Hayan Joubeh en Grande-Bretagne.
Sawsan
Kaoud a dû tout arranger seule : dissoudre la société
qu’elle avait fondée avec son époux, s’excuser auprès des
six caméramen qui perdaient leur travail, achever rapidement le
film sur lequel elle travaillait depuis six mois déjà, tout
emballer, faire ses adieux, préparer les enfants au changement.
Et
tout cela très vite, afin d’avoir le temps de faire le voyage
et d’inscrire les enfants dans une école en Grande-Bretagne.
Nous avons « capitulé », reconnaissait Sawsan Kaoud, à la veille de son
émigration forcée vers la Grande-Bretagne. Les autorités israéliennes
qui ont retiré à Hayan Joubeh son droit de résidence à Jérusalem
où il est né, lui ont refusé une réunification familiale à
Ramallah avec son épouse et ont finalement décidé que même en
touriste, il n’avait pas le droit de vivre dans son pays.
« Mise à
jour des procédures » ou changement de politique ?
Depuis
avril 2006, Israël empêche d’une manière radicale tout retour
dans le pays de Palestiniens jouissant de la citoyenneté d’un
pays occidental (essentiellement la citoyenneté américaine), et
qui vivent et travaillent depuis des années en Cisjordanie. Le
Ministère israélien de l’Intérieur et l’Administration
Civile ne l’ont pas fait savoir officiellement et la directive
ne se manifeste aux gens qu’à leur arrivée aux postes frontière.
Quand il est apparu clairement qu’il s’agissait non pas d’un
cas isolé mais d’un système, des personnes qui avaient la
citoyenneté d’un pays occidental et une famille, du travail
dans les Territoires, ont sollicité l’aide de leurs ambassades.
Les
représentants des autorités israéliennes ont expliqué aux
diplomates américains et autres que l’entrée dans les
Territoires, pour des Palestiniens citoyens étrangers et
d’autres, serait dorénavant limitée au minimum. Le Ministère
israélien de l’Intérieur déclare qu’il s’agit d’une
mise à jour des procédures. Des diplomates occidentaux disent
officiellement ne pouvoir intervenir dans les décisions
souveraines d’Israël.
Les
premiers touchés sont des Palestiniens originaires des
Territoires, à qui Israël a retiré le droit de résidence après
1967, lorsqu’ils résidaient à l’étranger pour leurs études
ou leur travail. Ils espéraient pouvoir revenir auprès de leurs
familles, vivre et travailler dans les Territoires. Des conjoints
de Palestiniens – hommes d’affaires, universitaires et
enseignants n’étant pas d’origine palestinienne – sont
aussi touchés par les directives. Jusque tout récemment, Israël
leur permettait de continuer à vivre dans les Territoires au
titre de touristes, et de renouveler leur visa tous les trois
mois. Les citoyens de pays arabes sont interdits d’entrée dans
le pays depuis 2000, y compris pour rendre visite à leur famille
et y compris s’ils sont mariés à des habitants palestiniens.
Depuis la victoire du Hamas aux élections palestiniennes et
depuis la formation d’un gouvernement dirigé par le Hamas,
cette politique a été étendue et elle est appliquée également
aux citoyens européens et américains. Des familles entières,
appartenant en majorité à la classe moyenne, sont contraintes de
partir pour rejoindre le membre de la famille qu’Israël empêche
de rentrer chez lui.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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