Haaretz, 23 novembre 2005
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Contrairement
au grand fracas de l’élection d’Amir Peretz ou du départ d’Ariel
Sharon du Likoud, la fixation de la frontière sud de l’Etat de
Ramallah passe complètement sous silence. Tout comme le désengagement
de Gaza, il s’agit ici encore d’une démarche unilatérale israélienne,
sauf qu’ici, elle l’est totalement : il n’y a pas de négociations
et pas d’implication de la Banque Mondiale ni de l’émissaire du
Quartet dans la fixation des règles du transit.
La
gradation dans le processus unilatéral d’instauration de l’Etat
de Ramallah rend chaque étape imperceptible, insignifiante en fait.
Quoi de plus insignifiant que quelques Palestiniens qui gagnent leur
vie en traînant des colis sur des charrettes à bras au barrage de
Qalandiya ? Soldats et officiers de l’administration civile
leur ont fait savoir, ces deux dernières semaines, que dorénavant
il leur serait interdit de transporter des caisses de fruits et de légumes
pour ceux qui passent le barrage en direction du sud. « Allez
à Bitounia » (à l’ouest de Ramallah), leur dit-on.
Pour
le porte-parole de l’armée de défense d’Israël et pour
l’administration civile, il y a une explication : « D’après
une ordonnance (de 1988) portant sur le passage des marchandises,
signée par le Commandement central et par le chef de
l’administration civile (et qui a connu une mise à jour en août
2005), toute sortie de marchandises en quantité commerciale depuis
la zone vers Israël et toute entrée de marchandises dans la zone
depuis Israël ne se feront que via les points de passage de
marchandises suivants (et par la méthode « de l’arrière
vers l’arrière » [on décharge un véhicule par
l’arrière pour charger, par l’arrière, un véhicule placé de
l’autre côté du barrage – NdT]) :
passage de Gilboa, porte d’Ephraim, passage de Bitounia et passage
de Tarqoumiya ». Les passages de Gilboa et de Tarqoumiya ainsi que la porte d’Ephraim sont plus ou moins
sur la Ligne Verte. Bitounia se situe profondément à l’intérieur
du territoire de la Cisjordanie.
Les
propriétaires de ces charrettes ne sont pas des importateurs en
gros. Ils tirent leur gagne-pain des colis traînés par les piétons
à Qalandiya. Les charrettes sont un misérable substitut aux taxis
et aux voitures particulières qui faisaient autrefois le trajet
direct de Ramallah aux villes et villages de la région et en
Cisjordanie. Les habitants des villages proches ont l’habitude
d’acheter au marché de Ramallah les biens de consommation
qu’ils ne trouvent pas au village. Un ou deux kilos ne suffisent
pas pour les grandes familles, d’où la nécessité de caisses.
Mais pour l’armée de défense d’Israël et l’administration
civile, il s’agit de « marchandises » et de « quantités commerciales » auxquelles s’appliquent les règles
en matière de taxes et de contrôle aux « points
de passage internationaux » entre une Etat et un autre.
Israël et Ramallah. La frontière pour ceux qui vont à pied est à
Qalandiya. Pour les marchandises, la frontière est à Bitounia.
Au
niveau des apparences, il s’agit « seulement » d’un
cas parmi beaucoup d’autres de Palestiniens qui, à cause d’une
ordonnance militaire israélienne, perdent une source de revenus, si
misérable soit-elle. Mais il s’agit de bien plus que cela, en réalité.
C’est une déclaration de victoire de la politique d’Israël menée
par Ariel Sharon, destinée à découper la Cisjordanie en plusieurs
cellules territoriales palestiniennes disjointes. La ligne de frontière
sud de la cellule territoriale de Ramallah se compose de la route
443 (la route de Modi’in à Givat Ze’ev, dont l’accès depuis
les villages palestiniens est bloqué par des blocs de béton et des
portes métalliques), de clôtures de fil de fer barbelé et de deux
points de passage « internationaux » :
Bitounia et Qalandiya. Le reste de la frontière de Ramallah – à
l’est, au nord et à l’ouest – est délimité de manière
semblable.
En
mars 2001, l’armée de défense d’Israël a commencé à poster
des soldats au sud du camp de réfugiés de Qalandiya en plus du
barrage permanent de A-Ram, au sud, qui sépare la Cisjordanie du
territoire palestinien annexé à Jérusalem en 1967.
Progressivement, le nombre de soldats a augmenté à Qalandiya, les
heures d’attente se sont allongées, la presse a augmenté. En mai
2002, l’armée de défense d’Israël s’est lancée, sur place,
dans des travaux de terrassement annonciateurs de projets à long
terme. Graduellement, le passage a été interdit aux voitures
portant des plaques d’immatriculation palestiniennes et parfois même
le passage a été interdit aux habitants de certaines régions de
Cisjordanie ou appartenant à un groupe d’âge déterminé. Le
tracé de la clôture de séparation – qui est ici un mur –
coupe dans cette zone le nord de la Cisjordanie de sa partie sud.
Jusqu’à
nouvel ordre, les habitants de Cisjordanie sont autorisés à
passer, à pied, par ce barrage. Au sud du barrage, ils montent dans
des taxis pour se rendre à leurs maisons, si proches et si
lointaines, par des routes secondaires sinueuses. Seuls les
Palestiniens habitant Jérusalem sont autorisés à passer par ce
barrage aussi bien à pied qu’à bord d’un véhicule (au prix
d’une longue attente). Les blocs de béton qui avaient été placés
là au début ont progressivement laissé la place à une
monstruosité dont la construction s’achève ces jours-ci :
une suite continue de tours de guet en béton renforcé qui ont la
prétention d’être un « terminal »
international : une construction couverte, une clôture de fil
de fer barbelé partant de Qalandiya vers l’est et de hauts murs
de béton d’ouest en est et de nord au sud, séparant les membres
d’une même famille, séparant ceux qui, jusqu’il y a peu, étaient
des voisins qui faisaient un saut les uns chez les autres, pour
aller chercher du sucre ou jouer au backgammon. Le tout en
profondeur à l’intérieur du territoire de la Cisjordanie.
A
la différence du désengagement unilatéral de Gaza, les colonies
ne sont pas évacuées du territoire de l’Etat de Ramallah. Le désengagement
de Gaza respecte la Ligne Verte. Mais l’établissement des
barrages de Qalandiya et de Bitounia comme points de passage
« internationaux »
au cœur de la Cisjordanie occupée est lié à l’annexion à Israël
d’une plantureuse bande de terre allant de Modi’in à Geva-Adam
et Psagot. C’est dire le mépris à l’égard de toute décision
internationale portant sur une résolution du conflit. Mais l’Europe
et l’Amérique, qui ont ratifié ces décisions, se comportent
comme si c’était du vent.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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