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Ha'aretz
L’occupant
définit les règles et juge
Amira
Hass
Haaretz, 23
août 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/753867.html
Version
anglaise : The occupier defines justice
www.haaretz.com/hasen/spages/753674.html
Rue
Jabotinsky à Jérusalem, face à la résidence présidentielle,
une plaque, pas très grande, est fixée sur une grille fermée
derrière laquelle se trouve un vaste bâtiment avec un charmant
jardin : « Dans
ce bâtiment était installé la cour militaire suprême du
gouvernement du mandat britannique. C’est ici qu’ont eu lieu
les procès des combattants des organisations juives clandestines
– Hagana, Etzel et Lehi ». Cette plaque est ornée des
emblèmes de la municipalité de Jérusalem et des trois
organisations clandestines. Il y est encore écrit : « Les
combattants des organisations clandestines refusèrent de reconnaître
l’autorité du tribunal à les juger et exigèrent d’être
reconnus comme prisonniers de guerre ».
Le
Président du parlement palestinien, Aziz Doueik, que les forces
israéliennes ont arrêté il y a une quinzaine de jours, a lui
aussi refusé de reconnaître l’autorité du tribunal militaire
israélien à le juger.
C’est apparemment ce que déclareront également les deux dernières
personnes arrêtées dont Israël a décidé que la détention était
la réponse adéquate devant son impuissance dans l’affaire de
la libération de son soldat enlevé, Gilad Shalit. Nasser A-Din
A-Shaer, Ministre palestinien de l’enseignement et vice-premier
ministre, et Mahmoud Ramahi, secrétaire général du parlement
palestinien, ont été arrêtés samedi et dimanche. Signalons en
passant que depuis peu, les Palestiniens ont cessé d’utiliser
le verbe « arrêter »
pour parler de l’arrestation de Palestiniens par des soldats
israéliens, et lui substituent le verbe « enlever ».
Ces
trois personnes arrêtées/enlevées ont rejoint la dizaine de
milliers de détenus et prisonniers palestiniens. Comme pour les
membres des organisations clandestines juives gardés prisonniers,
qui se considéraient comme des prisonniers de guerre sans rapport
avec leurs actes (assassinat de soldats britanniques ou de civils
arabes), il y a des Palestiniens qui exigent que leurs prisonniers
soient reconnus comme prisonniers de guerre. D’autres préfèrent
la qualification de prisonniers politiques. Laissons là les définitions.
De toute façon, depuis l’infraction jusqu’à
l’emprisonnement, Israël, en tant que puissance occupante, joue
comme il veut avec les définitions.
Dimanche,
à quatre heures et demie du matin, des soldats de l’armée israélienne
ont ouvert le feu sur un ouvrier de 26 ans, Jalal Odeh, le tuant
et blessant encore trois civils palestiniens. Cela s’est passé
non loin du barrage de Hawara, au sud de Naplouse. La « scène
du crime », lit-on dans les journaux palestiniens. Les
jeunes gens se déplaçaient en taxi sur des chemins contournant
les barrages. Cela fait plusieurs semaines que l’armée interdit
de nouveau aux jeunes de moins de 32 ans de sortir de Naplouse.
Mais les gens ont besoin de gagner leur vie et c’est par
milliers qu’ils cherchent les petits chemins dérobés. Une
infraction passible de la peine de mort, semble-t-il. Les soldats
ont agi comme plaignants, juges et bourreaux. Selon les règles de
l’occupation, lorsque des soldats tuent des civils palestiniens,
ils ne sont, ni eux ni ceux qui les envoient, jamais des
criminels, ni des suspects, ils ne sont ni accusés, ni condamnés.
Le commandant de régiment qui fixe l’âge de ceux qui peuvent
sortir de la prison qu’est Naplouse, ne peut, du fait même de
son appartenance à l’armée de défense, être criminel,
suspect, accusé ni condamné.
Lorsqu’un
Palestinien tue un Israélien – soldat ou civil – son nom, sa
photo et les détails de son acte d’accusation seront aussitôt
diffusés. Il sera automatiquement condamné à la prison à vie
et le chef de son gouvernement ou le dirigeant de son organisation
sera tenu pour responsable et pourra dès lors être la cible
d’une arrestation ou d’un attentat. Les soldats qui tuent des
civils palestiniens s’abritent sous le large tablier de l’armée
d’occupation. Leurs noms ne seront pas connus du public et leurs
commandants ainsi que le chef de leur gouvernement ne seront pas
tenus pour responsables.
Les
détenus palestiniens sont conduits devant un tribunal militaire :
cette même structure militaire qui occupe, détruit, opprime la
population civile, décrète que résister à l’occupation – y
compris par des manifestations populaires ou en hissant des
drapeaux, et pas seulement en tuant ou en transportant des armes
– constitue un crime. C’est cette même structure militaire
qui lance des poursuites judiciaires et qui juge. Ses juges sont dévoués
aux intérêts de la défense de l’occupant et du colon.
Chaque
Palestinien est soi-disant jugé, condamné et emprisonné en tant
qu’individu ayant commis un acte criminel. Mais une
discrimination flagrante dans les conditions de détention démontre
que le prisonnier de sécurité palestinien est puni non pas à
titre individuel mais comme représentant d’un groupe, dans le
cadre de l’oppression générale à l’encontre de celui-ci. En
violation du droit international, une majorité décisive des
prisonniers et détenus palestiniens ne sont pas emprisonnés en
territoire occupé mais en Israël. Contrairement à la légende,
Israël ne respecte pas le droit à des visites, fixes et régulières,
par les familles. L’armée fait tout ce qu’elle peut pour désorganiser
l’aménagement des visites, par diverses justifications
techniques et sécuritaires. Seuls des proches au premier degré
(parents, frères, sœurs et enfants) sont autorisés à rendre
visite aux prisonniers mais des centaines d’entre eux n’ont eu
droit à aucune visite depuis plusieurs années. Le droit
d’utiliser quotidiennement un téléphone est accordé aux
prisonniers de droit commun, même les plus dangereux d’entre
eux, mais est refusé aux prisonniers de sécurité palestiniens,
dont des civils et des habitants d’Israël. Et cela, pour des
motifs de sécurité à la fois vagues et non convaincants avancés
par les services de sécurité qui disposent de systèmes d’écoute
perfectionnés et efficaces. Le chemin de la réduction de peine
et de l’amnistie s’ouvre devant le Juif (en particulier si
c’est un colon) et est presque hermétiquement fermé devant le
Palestinien.
Rien
d’étonnant à ce que des Palestiniens soutiennent tout acte –
comme l’enlèvement de soldats – qui cherchera à briser les règles
de ce jeu discriminatoire. Tout détenu palestinien illustre par
son histoire personnelle la liberté qu’Israël s’octroie
d’implanter une sous-culture extrémiste, fanatique, de double
standard, de distinguo entre un sang et un sang, entre un homme et
un homme, entre un peuple et un peuple.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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