"Le problème, c’est qu’ils forment un groupe de
personnes à part, dans une politique d’aménagement séparé,
selon qu’on est juif ou non juif, ils sont un autre témoignage de
cette mentalité qui se cache derrière la sécurité, mais dont les
buts réels sont de préserver les privilèges hégémoniques des
Juifs,..."
Aménagement à part et inférieur
R. a une réunion de travail à Ramallah. Elle a prévu
de rentrer chez elle, à Jérusalem-Est, ave M. son époux, qui
travaille à Ramallah. Il viennent d’arriver au check point d’Hizma,
à l’est de la colonie de Pisgat Ze’ev, où un poste des forces
de défense israéliennes permanent contrôle les voyageurs se
dirigeant vers Jérusalem. « Ce chemin vous
est interdit » disent les soldats. « Seul, votre mari a
l’autorisation. Passez par le check point de Qalandya. »
R. et M. sont mariés depuis environ 10 années.
Lui est Palestinien, né à Jérusalem-Est, il est résident israélien.
Elle a une carte d’identité des Territoires. Elle a un permis qui
l’autorise à être chez elle, à Jérusalem, avec son enfant et
son époux.
Dès qu’ils furent mariés, ils ont fait une
demande au ministre de l’Intérieur israélien pour « le
regroupement familial ». Malgré des promesses, même écrites,
elle attend toujours ce document. De ce fait, ils ont connu bien des
situations kafkaïennes, mais cette nouvelle interdiction de pouvoir
rentrer ensemble chez eux les a choqués. Ils ont d’abord pensé
que c’était le caprice d’un soldat mais un article dans
Ha’aretz, vendredi, leur a fait clairement comprendre qu’il
s’agissait d’un ordre militaire, signé par le général Yair
Naveh, commandant les forces israéliennes en Judée et Samarie
(Cisjordanie). Le nouvel ordre interdit aux Palestiniens d’entrer
à Jérusalem autrement que par les 11 check points spéciaux qui
leur sont attribués - et ils peuvent les passer seulement à pied.
Les Palestiniens ne sont pas autorisés à conduire à l’intérieur
d’Israël. L’ordre est donné aussi aux Israéliens de ne pas
amener de Palestiniens en Israël par les passages réservés aux
Israéliens.
A la jonction d’Hizma, réservée aux seuls Israéliens,
l’administration du ministre de la Défense, débordée, n’a pas
encore affiché l’information comme déjà indiquée sur la route
de la colonie de Ma’aleh Adumin à Jérusalem. Là, les panneaux
sont posés le long de la route et au check point militaire ;
ils disent, en hébreu et en arabe : « Passage réservé
aux Israéliens ». Ce passage est donc interdit au transport
et déplacement des non Israéliens.
Les panneaux jaunes expliquent qui est Israélien.
La définition est inscrite dans l’ordre du général, c’est la
définition courante employée par les ordres militaires déclarant
une « zone militaire fermée » aux Palestiniens, où,
seuls les Israéliens peuvent pénétrer. " Un
Israélien, disent l’ordre de l’armée et le panneau, est un résident
d’Israël, quelqu’un dont la résidence est dans le pays
(comprenant les Territoires occupés - AH) ; ou un citoyen israélien
(un colon - AH) ou un candidat à l’immigration dans le cadre de
la loi du Retour de 1950, ou quelqu’un qui n’est pas résident
du pays mais détient un permis d’entrer valable en Israël (un
touriste - AH)".
Une source militaire a confirmé à Ha’aretz
qu’une décision aurait été prise pour permettre aux
Palestiniens qui travaillent pour des organisations internationales
de se déplacer, avec leurs collègues étrangers, par deux des
passages réservés aux Israéliens, « au lieu de les faire
aller au bout du monde » par les passages réservés aux
Palestiniens.
Le problème pour les Palestiniens avec les passages
réservés, ce n’est pas seulement qu’ils sont éloignés et
isolés, comme l’admet l’armée ; le problème n’est pas
seulement la perte de temps subie lors de toute arrivée à ces
passages, les portes tournantes fermées brusquement, la cohue
humiliante, les dispositifs technologiques aliénants ; ou
encore que la plupart des « passages » légalisent en réalité
toujours plus d’expropriations et d’annexion de territoire
palestinien au profit d’Israël. Le problème, c’est qu’ils
forment un groupe de personnes à part, dans une politique d’aménagement
séparé, selon qu’on est juif ou non juif, ils sont un autre témoignage
de cette mentalité qui se cache derrière la sécurité, mais dont
les buts réels sont de préserver les privilèges hégémoniques
des Juifs, aux dépens des Palestiniens dans les territoires conquis
sur eux.
Cette politique d’un aménagement séparé pour
deux groupes démographiques différents dans la même région
territoriale - la Cisjordanie occupée, où l’armée israélienne
est souveraine - a commencé avec les premières colonies. Elle
s’est poursuivie et approfondie quand les colonies ont proliféré
et se sont agrandies dans des poches territoriales, démographiquement
séparées ; la loi israélienne, ne s’appliquant pas aux
habitants de la région, y était en vigueur.
Les résidents de ces poches territoriales ont
obtenu des droits supplémentaires qui ont été refusés à leurs
voisins et aux citoyens non juifs d’Israël. Tel le droit de
choisir où ils veulent vivre, de l’un ou l’autre côté de la
Ligne verte. Protégées par la supériorité militaire, des frontières
territoriales se sont fixées et les limites bureaucratiques furent
placées pour restreindre l’aménagement même séparé des
Palestiniens : le territoire qui leur restait disponible
s’est réduit progressivement, les quotes-parts d’eaux ont
diminué en proportion de ce qui était alloué aux Juifs, leur
liberté de déplacement fut limitée, et le développement économique
cadenassé et contrôlé. Avec le temps, avec une communauté
internationale accommodante et les nombreux Israéliens qui bénéficiaient
du système, les colonies se sont transformées, de « poches
territoriales israéliennes » elles ont obtenu une contiguïté
territoriale juive, dans laquelle il y a des pauvres, des sans
droit, des « poches habitées » de Palestiniens,
surpeuplées et inférieures.
En comparant Pisgat Ze’ev florissant - sur les
terres d’Hizma et d’Anata - avec Hizma et Anata, cernées et
suffoquant derrière un affreux mur de béton, on voit bien que la
politique d’aménagement séparé a commencé longtemps avant les
attaques suicide et la montée du Hamas.
Amira Hass
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