Haaretz,
22 septembre 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=628000
*Version anglaise : A talent for destruction
www.haaretz.com/hasen/spages/627752.html
« Quand
vous verrez quelque chose qui ressemble à Rafah, vous saurez que là
il y avait une colonie ». Ce sont des instructions comme
celle-là que les gens de Gaza donnent à leurs amis venus pour la
première fois de leur vie ou pour la première fois depuis des années
sur le territoire des colonies. L’exagération est grande, car on
ne peut comparer l’écrasement effréné d’une maison dix
minutes après l’annonce de sa destruction ou parfois sans
avertissement, et la destruction agrémentée d’indemnités et
objet d’attentions d’une maison dont la construction à cet
endroit-là constituait d’emblée un crime. Mais c’était leur
manière blagueuse, typique, de faire allusion au talent destructeur
des Israéliens. La poussière médiatique de l’après-évacuation
est en train de retomber. Mais la question des destructions et les
espoirs de relèvement représentent, dans l’analyse des développements
politiques attendus, des composantes non moins essentielles que la
faiblesse de Mahmoud Abbas et de son personnel ou la sagesse
politique du Hamas.
Nul
besoin d’être économiste pour évaluer qu’avec le départ de
l’armée israélienne, se fera immédiatement sentir un certain
redressement économique : du seul fait qu’en l’absence de
barrages, le trajet pour aller d’un bout à l’autre de la Bande
de Gaza ne durera pas des heures et des jours mais une heure, du
seul fait que les travailleurs arriveront à temps et tous les jours
sur leur lieu de travail, que les taxis et les camions feront ce
trajet 10, 20 fois par jour, et pas une fois par jour ou une fois
tous les trois jours. Nul besoin d’être psychologue pour savoir
que la disparition de la peur des snipers, des chars et des
incursions militaires, améliorera l’état d’esprit des
travailleurs et la qualité de leur travail. L’économie
palestinienne a été poussée dans de tels abîmes que chaque
barrage supprimé parviendra à faire monter le graphique de la
« croissance ».
Mais
il n’est pas besoin non plus d’être un pessimiste juré pour
savoir qu’il ne pourra y avoir aucun redressement économique à
long terme (pour ne rien dire d’un redressement sociopolitique,
sans lequel la mission de redressement économique ne réussira pas)
si n’est pas garanti le lien entre la Bande de Gaza et la
Cisjordanie. Un lien suivi, permanent et naturel, pour les personnes
et les marchandises, pour les besoins du travail, des études, des
loisirs, du développement, des familles. Un lien naturel entre deux
morceaux de la même société. Si Israël continue d’appliquer
une politique d’autorisation minimale de liens entre la
Cisjordanie et la Bande de Gaza, il vouera d’emblée à l’échec
les espoirs d’un redressement économique trop souvent présenté
comme la base d’une avancée politique ou comme une condition nécessaire
dans la lutte contre le terrorisme.
Parcourir
les routes de la Bande de Gaza qui ont été fermées à la
circulation palestinienne pendant des années, permet de découvrir,
dans toute son ampleur, la destruction physique qu’Israël a laissée.
Un millier de mots et un millier de photos ne pourront en faire la
description. Non pas du fait de la faiblesse des mots et des photos
mais à cause de la capacité de la majorité des Israéliens à ne
pas voir et à ne pas enregistrer ces étendues de vignes, de
bosquets, de vergers et de champs que l’armée populaire israélienne
a transformées en désert, tout ce vert qu’elle a peint en jaune
et gris, le jaune et gris du sable retourné et de la terre mise à
nu, des ronces et des chardons. Pour la paix des colons qui ont été
évacués le mois passé, l’armée de défense d’Israël a
arraché, durant cinq ans, les poumons verts de Gaza, mutilé ses
plus belles terres et coupé la source de revenus de dizaines de
milliers de familles.
L’aptitude
israélienne à se voiler la face devant les destructions enfantées
par Israël conduit à des évaluations politiques erronées.
C’est cet évitement qui permet à l’armée israélienne de
continuer à détruire des terres palestiniennes en Cisjordanie,
tout le long de la clôture, autour des colonies, dans la vallée du
Jourdain, pour continuer d’établir des faits sur le terrain et
pour s’assurer que la future entité palestinienne sera aussi
morcelée et pauvre en territoires que possible. Mais cet évitement,
cet aveuglement devant l’ampleur de la destruction cache aux yeux
des Israéliens et de leurs représentants politiques la capacité
d’endurance des Palestiniens. Ainsi, les calculs
politico-militaires ne tiennent pas comptent de ce que les
destructions semées par Israël ne convainquent pas les
Palestiniens qu’ils doivent s’empresser de se soumettre aux
diktats politiques israéliens.
« Comment
mes parents n’ont pas une attaque, je ne le comprends toujours pas »,
dit un habitant de Ramallah chaque vendredi quand il revient
d’avoir visité son village proche de la Ligne Verte et dont une
grande partie des terres ont été expropriées et annexées au
profit de la clôture de séparation. Celui qui se dissimule
l’ampleur des destructions ne peut faire entrer dans le calcul
politique à quel point les Palestiniens sont profondément enracinés
dans leur terre et leur pays. Certains diront que c’est par
absence d’alternative, mais plus l’armée de défense d’Israël
détruit et porte atteinte au paysage, à la nature, à la terre,
plus les Palestiniens la comparent à une armée étrangère de
croisés en pleine invasion. C’est leur caractère d’étrangers,
concluent les Palestiniens, qui libère chez eux tout cet esprit de
destruction incapable de considération pour la beauté naturelle de
l’endroit, pour son histoire humaine, pour l’architecture de
cette histoire humaine. Les étrangers, l’histoire le démontre,
s’en vont. Quel que soit le degré de justesse de cette
conclusion, elle renforce l’inflexibilité des Palestiniens face
aux plans de destructions que le gouvernement israélien projette en
Cisjordanie pour les besoins de la construction des colonies.
[Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys]
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