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Le parcours d’obstacles pour étudier
Amira Hass

 
"La faculté de médecine d’Abu Dis, la seule en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, fut ouverte en 1994, et a assuré cinq cycles de formation depuis. Le nombre d’étudiants de Gaza a baissé au fil des années à cause des tensions implacables sur ces étudiants en situation « illégale ». "

Aucun enfant ne doit être persécuté 

Il était en première classe avant même d’avoir 5 ans. En neuvième, il étudiait dans une école pour élèves surdoués. Il aimait la physique et pensait l’étudier au niveau universitaire, mais sa mère estimait qu’il ferait mieux de préparer une profession plus « sociale », dans laquelle il serait en contact avec les gens. En 1999, alors qu’il avait 17 ans, il a décidé de s’inscrire à la faculté de médecine de l’université Al Quds à Abu Dis, pour trois raisons dit-il : il avait reçu une bourse universitaire, les cours étaient en anglais et le campus est près de sa maison - une heure ou une heure et demie en voiture.

Ahmed al-Najjar, qui aura bientôt 24 ans et fait sa dernière année de fac de médecine, sourit timidement quand il dit, « près de sa maison ». Il ne donne pas de précisions, laissant son interlocuteur imaginer ce que peut vouloir dire « près de sa maison » pour quelqu’un qui depuis 5 ans n’a pas vu sa famille et ses amis. Al-Najjar, qui est né à Jabalya - un camp de réfugiés dans la Bande de Gaza - le laisse aussi imaginer ce que c’est que d’être arrêté un samedi matin, le 7 janvier, par un policier des frontières.

Il raconte son histoire : « Comme chaque jour, je sautais du mur sur le toit d’une maison, puis sur celui d’une seconde maison, et je descendais les ruelles pour rejoindre le bus qui m’emmène à Al-Hilal (l’hôpital des femmes géré par la société du Croissant-Rouge palestinien, sur le mont des Oliviers à Jérusalem). Mais ce jour-là, un soldat est monté dans le bus et a contrôlé les cartes d’identité. Par chance, il me connaissait : « C’est la seconde fois que je t’attrape » a-t-il dit. « Qu’est-ce que j’y peux ? » ai-je répondu. « Je vais travailler à l’hôpital. »

Aucun passage n’est sûr

Pendant sa première année de médecine, alors que le « passage sûr » entre Gaza et la Cisjordanie était toujours ouvert, il est allé trois ou quatre fois chez lui : ce n’était possible par ce passage que les lundis et mercredis, c’est-à-dire pas en week-end où il n’avait pas cours. Il fallait s’inscrire une semaine à l’avance, et le voyage - comprenant les longues attentes aux check points - prennait des heures.

En octobre 2000, même ce passage fut supprimé. Depuis, il n’a pu voir sa mère devenue veuve que deux fois. Elle a un cancer de la peau, et à deux occasions, après beaucoup d’efforts, elle pu obtenir un permis pour aller suivre un traitement en Cisjordanie.

Les autorités israéliennes considèrent Al-Najjar en séjour illégal en Cisjordanie : c’est-à-dire, quand il est en cours, quand il marche dans les rues, quand il lit à son bureau, dans son appartement en location à Abu Dis. Il a saisi deux fois le ministre de l’Intérieur palestinien pour que son adresse sur sa carte d’identité soit changée, afin de remplacer Jabalya par Abu Dis, mais sa demande a été refusée. Les responsables palestiniens soutiennent qu’il n’y a aucune raison de faire ce changement car Israël refuserait de modifier ses fichiers.

Il y a toujours beaucoup de soldats israéliens et de policiers à Abu Dis, chacun a le pouvoir de le renvoyer à Gaza - autrement dit, de lui faire arrêter ses études - à tout moment. Le problème s’est corsé en 2003, alors qu’Al-Najjar commençait ses études cliniques dans un hôpital de Cisjordanie. Chaque trajet en bus était un pari. En 2004, Al-Najjar a passé six semaines à l’hôpital psychiatrique de Bethléhem. Chaque jour, il devait passer par un check point, au bout de la route d’accès qui relie les parties nord et sud de la Cisjordanie.

Un jour, en mars ou avril - il ne se rappelle plus exactement - en rentrant de l’hôpital, les soldats au check point lui ont fait remarquer l’adresse compromettante de Gaza et lui ont ordonné de descendre du taxi et d’attendre sur le bas-côté de la route. Il a attendu quelques heures ; alors, ils lui ont rendu sa carte d’identité et l’ont laissé aller. Le jour suivant, il a, à nouveau, passé par le check point, ils lui ont redit de descendre de la voiture et un soldat lui a remis un téléphone cellulaire. Al-Najjar a compris que son correspondant était un agent du Shin Bet. La voix lui expliquait qu’il pouvait à tout moment être transféré à Gaza contre sa volonté. Il le gardait ici pendant deux ou trois heures, et il serait autorisé à poursuivre son chemin.

Depuis, il fait tout ce qu’il peut pour éviter les check points et restreindre ses déplacements en Cisjordanie.

Mais le moment est arrivé où il a dû travailler, comme le prévoyaient ses études, à l’hôpital Al-Muqassed à Jérusalem-Est. En novembre 2004, Al-Najjar a fait une demande pour une carte magnétique, une sorte de « certificat d’honnêteté », avec laquelle il pourrait aller à l’hôpital, à 15 minutes de voiture d’Abu Dis.

On lui a dit qu’il lui faudrait aller à Gaza faire une demande de là-bas. En janvier 2005, l’hôpital avait demandé à l’Administration civile de l’autoriser à rentrer dans Jérusalem. L’Administration a répondu qu’il ne serait pas autorisé à rentrer en Israël parce l’adresse indiquée était de la Bande de Gaza. En avril 2005, ce sont les Médecins pour les droits de l’homme qui ont essayé de lui procurer un permis d’entrer à Jérusalem. Les autorités militaires, une fois encore, ont répondu qu’il devait aller à Gaza demander un permis d’entrer de là-bas.

Arrêté, puis libéré, puis arrêté...

L’organisation a alors demandé l’engagement selon lequel il serait autorisé à revenir à Abu Dis. L’armée a refusé. Al-Najjar a donc continué à se cacher pour aller à l’hôpital.

Le 23 août 2005, Al-Najjar est arrêté sur son chemin pour l’hôpital. La police l’a emmené dans le complexe russe et l’y a gardé ; il fut relâché le jour suivant après qu’une caution de 5 000 shekels ait été déposée en son nom.

En octobre 2005, il s’est tourné vers des conseillers juridiques, Kenneth Mann et Sari Bashi de Gisha - un centre d’assistance juridique pour la protection des droits à la liberté de mouvement. Le 20 octobre, il est à nouveau arrêté, cette fois par les policiers des frontières. Ses conseillers interviennent, cherchant à empêcher son transfert. Al-Najjar est alors brièvement interrogé par le Shin Bet et relâché. Le 27 novembre, il est encore arrêté par la police des frontières et détenu pendant quelques heures tendues, avant d’être libéré.

Depuis le 20 octobre, ses avocats, Mann et Bashi, ont mené campagne, par écrit et verbalement, auprès des autorités des Forces de défense israéliennes pour permettre à Al-Najjar de poursuivre ses épreuves pratiques dans les hôpitaux de Jérusalem-Est. Par écrit, l’armée leur répond de faire une demande auprès du bureau de la coordination et de la liaison au DCO de Gaza. Verbalement, l’armée leur dit que la requête pour le permis est rejetée pour des « raisons de sécurité ». Les FDI leur suggèrent aussi qu’Al-Najjar intervienne auprès de l’Autorité palestinienne à Gaza afin d’exprimer ses réserves sur le rejet de l’autorité israélienne.

Mann et Bashi ont demandé plus de précisions sur ce qui constituait ces « raisons de sécurité ». L’armée à répondu aux avocats : « Tant que l’intéressé réside dans la région de Judée et Samarie sans le permis du commandement militaire, son installation dans la région est illégale, et il doit retourner dans la Bande de Gaza immédiatement. »

Par la suite, les avocats ont envoyé beaucoup d’autres notes, auxquelles ils n’obtenaient aucune réponse. Le 15 décembre, ils ont saisi la Haute cour de Justice, lui demandant d’exiger que les FDI expliquent pourquoi le demandeur ne pouvait obtenir un permis pour rentrer en Israël pour la poursuite de ses études, et pourquoi il ne pouvait être reconnu comme résident d’Abu Dis. Ils ont aussi demandé à la Cour de délivrer une ordonnance provisoire pour empêcher son renvoi à Gaza.

L’ordonnance provisoire a été rendue le lendemain, 16 décembre. Elle donnait l’ordre aux FDI et à la police de ne pas « transférer le demandeur à Gaza » jusqu’à la décision de la Cour sur le fond. Al-Najjar a gardé une copie de cette ordonnance dans son sac-à-dos tout le temps. Il lui est possible de descendre la rue sans crainte, et même d’aller à Ramallah ou Bethléhem. Mais il doit toujours se cacher à Jérusalem-Est car les hôpitaux affiliés à sa faculté de médecine sont là, et il n’a pas de permis pour entrer dans Jérusalem.

La faculté de médecine d’Abu Dis, la seule en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, fut ouverte en 1994, et a assuré cinq cycles de formation depuis. Le nombre d’étudiants de Gaza a baissé au fil des années à cause des tensions implacables sur ces étudiants en situation « illégale ».

Al-Najjar avait une camarade de classe qui était aussi de Jabalya. Comme lui, elle a passé par-dessus le mur pour aller travailler à l’hôpital de Jérusalem. Elle a été atteinte d’une faiblesse cardiaque. Plus tôt en 2004, alors qu’elle franchissait le mur (quand il était encore à faible hauteur), les soldats ont voulu disperser les gens avec des gaz lacrymogènes. Elle a été étouffée et elle est morte. Al-Najjar est maintenant le seul étudiant en médecine de Gaza à Abu Dis.

Amira Hass
Amira Hass écrit dans Ha’aretz. Elle est l’auteur notamment de Boire la mer à Gaza.
17 janvier 2006 - http://www.counterpunch.org/hass011...
Traduction : JPP


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2054


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