Palestine - Solidarité

   



La grenouille est épuisée

Amira Hass

 


Haaretz, 16 novembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=646177

Version anglaise : www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=hass&itemNo=645914 

Si vous jetez une grenouille dans une casserole remplie d’eau bouillante, elle va bondir hors de la casserole et sauver sa peau. Mais une grenouille qui nage dans une casserole d’eau tiède dont on augmente progressivement la température, s’habituera à sa chaleur. Quand l’eau atteindra le point d’ébullition, il sera trop tard. Elle mourra. Ce pourrait être encore une métaphore de la capacité de résistance des Palestiniens face à tout nouveau type d’arme avec lequel on les attaque, une nouvelle règle israélienne allant plus loin dans les limitations, une autre expropriation de terres. Au vrai, la grenouille n’est pas morte mais elle est épuisée.

Il y a un présent-absent qui veille soigneusement à ce que la température monte en permanence. Dans le développement du système de contrôle israélien sur le peuple palestinien et sa terre, l’occupant israélien a porté jusqu’au génie le recours à la gradation comme moyen d’habituation. Cette gradation est mise en œuvre sur un « axe du temps » mais elle s’étale aussi dans l’espace. L’offensive israélienne contre la perspective d’une vie normale pour le peuple palestinien revêt une multitude d’aspects. Ici c’est une famille qui est touchée, là tout un village. Ici c’est par des balles et autres munitions, là par des colons et là par une nouvelle ordonnance militaire. On en rend compte, pour une grande partie, en Israël, mais de manière diffuse. L’offensive se durcit graduellement mais, du fait de la gradation et de la dispersion, on ne perçoit pas cette aggravation ni l’ensemble de ce qui est atteint.

Gideon Lévy a livré un compte-rendu sur ces enfants du sud du mont Hébron dont l’un a été tué et les autres blessés par un obus au phosphore de l’armée de défense d’Israël. Gideon Lévy rappelait que selon le droit international, l’emploi d’obus au phosphore est interdit en zones habitées. Le porte-parole de l’armée de défense d’Israël a assuré que l’emploi d’obus au phosphore ne visait qu’à « marquer des cibles et les limites d’un secteur » et promis que l’armée israélienne ratisserait la zone et neutraliserait les obus et autres dangers semblables s’il s’en trouvait, afin d’assurer la paix et le bien-être des habitants. Autrement dit, c’est Gideon Lévy qui a révélé à l’armée de défense d’Israël qu’il y avait une population civile dans cette région et qu’il revenait à l’armée, au moment de quitter un terrain d’entraînement, de neutraliser les dangereux obus non explosés qui y seraient encore. La nouvelle* et l’article du supplément du week-end** sont passés dans l’indifférence médiatique : encore un enfant palestinien tué et encore un enfant palestinien blessé souffrant de violentes douleurs, cela ne constitue effectivement pas une nouvelle. La population est habituée.

L’article est passé dans l’indifférence et le silence comme des milliers d’autres articles semblables qui ont été publiés sans atteindre le public. Tous nous apprennent comment Israël viole, sans y être dérangé, le droit international et comment l’occupant israélien convoite la terre tandis que les gens qui y vivent ne sont pour lui qu’un excédent. Et pas seulement aux yeux de ceux qui portent l’uniforme. Mais aussi de l’armée d’urbanistes et d’architectes israéliens, cette armée qui « façonne l’espace » de Cisjordanie comme on dit, dans l’armée de défense d’Israël, pour parler des limitations mises aux déplacements des Palestiniens et des barrages intérieurs qui poussent comme des champignons. Dans quelle école d’architecture et d’urbanisme ont-ils appris à étouffer des villages et des maisons au moyen de colonies aérées et de routes au gabarit américain ? Givat Ze’ev, Rechalim et Adam, Beit Horon et Anatot : en planifiant l’expansion de ces colonies et d’autres, les architectes israéliens ne violent pas seulement le droit international ; ils veillent minutieusement à ce que les habitants palestiniens du village proche soient coupés de leurs terres, ou à ce qu’il n’y ait pas de route d’accès à telle maison palestinienne, ou encore à ce qu’une route pour Juifs seulement, comme la route de Modi’in à Givat Ze’ev, arrive juste dans la cour de l’école à laquelle l’administration civile a refusé la construction d’un nouvel étage.

Un autre excédent est constitué par ces milliers de prisonniers palestiniens. Là aussi en violation du droit international, Israël les détient sur son territoire et pas à l’intérieur du territoire occupé, adoptant par là des règles discriminant le détenu palestinien par rapport au détenu juif. L’administration des Services pénitentiaires a une règle qui veut que seuls les proches au premier degré soient autorisés à rendre visite aux prisonniers de sécurité. Il y a des prisons qui parfois renoncent à appliquer la règle aux prisonniers de sécurité israéliens ou habitants de Jérusalem-Est. Et qui parfois l’appliquent.

Mohand a cinq ans. Il a un oncle détenu en Israël. Jusqu’il y a un mois, lui et plusieurs de ses petits frères et sœurs étaient autorisés à rendre visite à leur oncle qui n’a plus ses parents et dont les frères ne peuvent lui rendre visite de façon régulière. Mais l’Etat d’Israël, sous la figure des Services pénitentiaires, s’est ravisé et a décidé qu’il était interdit à Mohand de rendre visite à son oncle. Cour suprême, juristes de l’université, écrivains et directeurs d’instituts pour la recherche sur l’antisémitisme et le racisme ne prêtent pas attention à des faits divers comme celui-là, dispersés. Ou peut-être s’y sont-ils habitués ou peut-être encore n’en sont-ils pas ébranlés, du fait de la gradation. Et ils s’en font les complices.

* « Un Palestinien a été tué et ses frères blessés par l’explosion d’un obus au phosphore », Gideon Lévy, Haaretz, 10 novembre 05 – En hébreu : www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=643872 La "version anglaise" de cet article (www.haaretz.com/hasen/spages/643690.html) n'en conservait que quelques bribes. (NdT)

** « Enfer », Gideon Lévy, Haaretz, 11 novembre 05 – En hébreu : www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=642999  En anglais : « 'A regrettable incident' » http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=Gideon&itemNo=644010 (NdT)

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

 


 Source : Michel Ghys


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