Haaretz, 16 janvier 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=670841
Le chien qui terrorise les gens qui attendent, des
soldats l’appellent « Mohamed » et rient. Des parents
avec un bébé sont retenus pendant des heures dans « l’enclos ».
Une après-midi au barrage de Hawara, au sud de Naplouse, d’après
un compte-rendu de « Machsom Watch ». Le général
commandant ordonne une enquête.
A 15h35, lorsque l’équipe de l’après-midi
de « Machsom Watch » est arrivée au barrage de Hawara,
au sud de Naplouse, elle a trouvé huit personnes retenues dans
« l’enclos ». L’enclos est formé de plaques de béton
d’une hauteur d’un mètre environ, d’un auvent par-dessus et
d’une porte métallique électrique. On y introduit les gens que
les soldats décident de retenir, pour divers motifs. La porte métallique
électrique est « bloquée ». Dès lors ceux qui sont
retenus doivent sauter par-dessus les plaques de béton. Ce jour-là,
8 janvier 2006, une des personnes retenues l’était depuis 11
heures du matin, selon son témoignage, et les autres, dont un médecin,
depuis 13h30. « Cinq ont
été libérés dès notre arrivée », ont signalé des
militantes de Machsom Watch dans leur rapport de cette journée.
Pour les autres : à suivre. Les détails ci-dessous sont cités
d’après leur rapport [i].
Une
autre personne retenue est un habitant de Naplouse, âgé de 34 ans,
et originaire de Gaza. Il vit à Naplouse depuis 1996 avec son épouse
et ses enfants. Ils étaient partis rendre visite à la famille de
l’épouse dans un des villages de la région. Le Bureau de
Coordination et de Liaison nous a fait savoir que la personne
retenue était « en séjour illégal » en Cisjordanie et
qu’il faut l’expulser à Gaza. Il a été détenu quatre heures.
Finalement il s’est vu interdire le passage du barrage et est
retourné à Naplouse.
Parmi
ceux qui attendent leur tour pour passer, un père portant un bébé
dans ses bras, son épouse qui en porte un autre et trois tout
petits enfants qui se réfugient entre leurs jambes. La femme et les
enfants pleurent. Un soldat accuse le père d’avoir touché à son
arme. La situation nous paraît à deux doigts d’en arriver aux
coups. Le commandant du barrage, N*, le repousse vers la sortie et
le met en garde qu’il ne s’avise plus de toucher un soldat.
« Comment aurais-je pu toucher un soldat avec tous les enfants dans les
bras et autour de moi ? », demande le père.
On a été insolent ? Dans l’enclos !
16h15.
Le barrage en direction de Naplouse est fermé. « Yalla, tout le monde arja lawara » (tout le monde en arrière).
Les soldats crient et repoussent tout le monde en arrière avec
leurs fusils. Parfois le canon du fusil heurte quelqu'un. Parmi ceux
qui attendent : des femmes avec des bébés, un invalide des
deux jambes s’appuyant sur des cannes, des adultes chargés de
paquets, des familles entières. Demain commencent les congés de la
Fête du Sacrifice.
16h25.
Le nombre de piétons qui attendent pour aller vers Naplouse se
situe entre 80 et 100, plus 21 véhicules dont une ambulance, un
autobus chargé de voyageurs et cinq taxis collectifs palestiniens.
Un Arabe israélien a été enlevé à Hawara, sur fond d’affaire
criminelle. Nous entendons quelqu'un dire à un soldat :
« Des gens meurent ici ».
Le soldat lui répond : « Va
mourir avec eux et prends tes sacs ».
16h42.
A quelques dizaines de mètres côté sud est installé un barrage
volant, de la police des frontières. Là, des gens sont retenus
tant et plus, sur leur chemin vers Naplouse. Parmi ceux qui
attendent, un enfant d’environ 6 ans. Ses parents, inquiets,
expliquent qu’il s’est introduit quelque chose dans le nez et
qu’ils se rendent à l’hôpital. Un des soldats leur explique :
« Si vous venez en
ambulance, vous passerez ». Mais à ce moment-là, même
les ambulances ne sont pas autorisées à entrer. Nous en avons
informé A*, un officier du Bureau de Coordination et de Liaison,
qui arrive sur place. Après une série de coups de téléphone, A*
annonce que l’enfant et ses parents peuvent passer. Il y avait là
une femme souffrant d’une hernie discale, qui avait toutes les
peines du monde à rester debout dans la pluie et le froid. Nous
avons vu des larmes dans ses yeux. Un des soldats nous a dit :
« Vous devriez peut-être
aussi épouser un Arabe si vous les aimez tant ».
Les
soldats ne cessaient de sourire, de rire.
17h.
Au barrage volant placé au sud, des centaines de personnes
attendent. Parmi ces gens, un homme qui a subi une opération à la
tête. L’heure de la prise des médicaments arrive et les médicaments
sont chez lui.
17h15.
Le passage en direction de Naplouse est ouvert et un flot de gens se
déverse vers le barrage. A l’entrée de Naplouse, il n’est pas
habituel de contrôler les papiers d’identité. Mais l’officier
et P*, un de ses soldats, sortent quelqu'un de la file, se
saisissent de lui, lui demandent sa carte d’identité. Le jeune
homme refuse. Les soldats le maintiennent et lui fouillent les
poches. Ils mettent la main sur son portefeuille et exigent la carte
d’identité en échange du portefeuille. Il finit pas la donner.
Ils lui ordonnent de sauter dans l’enclos des retenus. Il sera libéré
peu avant 19h.
17h40.
Quatre soldats se trouvent entre les carrousels. Les carrousels :
des portes métalliques pivotantes électriques. Quatre, côté nord
du barrage, quatre, côté sud. Dans l’intervalle, un détecteur
de métaux, dont on ne distinguait plus les sifflements ces derniers
temps, et une zone où s’opère la fouille manuelle des sacs. Au
dessus : un auvent. En fin de parcours, le poste de contrôle
des cartes d’identité. P* est seul à contrôler les sacs. Il
sort un ordinateur de son emballage, retourne le contenu des sacs,
ouvre des emballages. « Ils
avancent ! », crie-t-il régulièrement en visant les
jeunes gens pressés derrière les carrousels.
Parfois
il se glisse entre les gens et exige qu’ils se rangent en deux
files. Alors toute la file s’arrête. Il ordonne à chaque jeune
homme qui approche pour la fouille de relever son blouson. Ensuite
la chemise. Il prend aussi des photos. Quand il prend des photos, le
contrôle s’arrête. Une soldate prend elle aussi des photos.
Lorsque nous nous arrêtons à un endroit qui nous permet de voir ce
qui se passe pour ceux qui entrent, P* cesse les contrôles et dit
à ceux qui attendent qu’il ne continuera que si nous partons de là.
Les gens nous supplient de partir et nous nous plaignons auprès du
commandant du barrage. Il va faire une remarque à P* et ensuite,
lui fait même quitter le poste de la fouille. Une soldate prend sa
place. Les canons de fusils arrivent à deux centimètres des
personnes fouillées. Un des soldats ne se contente pas de pointer
son arme, il regarde dans la lunette de visée, le doigt près de la
détente.
La
soldate fourre ses mains dans les poches des personnes qu’elle
fouille, tâte leur ventre et leur dos tout en mâchant son shewing
gum. Un soldat demande à quelqu'un, tout en le fouillant :
« quel âge vous me donnez ? ». L’autre lui répond
quelque chose pour échapper à la situation et les soldats éclatent
de rire.
Les carrousels sont bloqués
18h.
La file des voitures en direction du sud ne cesse de s’allonger.
L’équipe de soldats du matin a reçu par haut-parleur l’ordre
de terminer. Sous l’auvent attend encore une centaine de
personnes. Avec des mouvements des mains, un soldat fait signe aux
gens de se ranger en deux files rectilignes. Un soldat, arrivé à
la fin de son poste, désarme son fusil en le pointant vers le
visage d’un jeune homme. La soldate mâche son shewing gum, tâte,
plaisante, pointe son arme, ordonne de soulever la chemise et le
gilet de corps, de faire un tour sur soi-même, de retrousser le
pantalon.
Dans
la première ligne de carrousels, deux fonctionnent. Dans la deuxième,
un seul est ouvert. Les gens essaient de passer, les carrousels se
bloquent, jusqu’à ce qu’ils arrivent à celui qui marche.
18h13.
A* prend le commandement du barrage. Celui qui « a été impertinent » et qui a été retenu attend toujours,
debout. A* nous explique que, ces derniers jours, le barrage ferme
à 18h (au lieu de 23h généralement). Aujourd’hui, dit-il, et
par indulgence, il fermera à 19h.
18h45.
Environ 25 personnes, dont des enfants, attendent depuis 20 minutes
d’être fouillés. La file de voitures à la sortie est plus
longue qu’elle n’était quand nous sommes arrivées.
18h49.
Sa carte d’identité est rendue à « l’insolent »
qui était retenu et il est libéré.
Un
chien errant rôde dans le barrage où il suscite la frayeur. Les
soldats l’appellent « Mohamed »,
« allez, Mohamed, suffit ! »,
et rigolent. Le chien saute sur les gens épouvantés. Nous
demandons aux soldats s’ils ne l’éloigneraient pas et ils répondent :
« Que voulez-vous ?
Qu’on lui tire dessus ? »
19h.
Le barrage est fermé au passage dans les deux sens. A* indique quel
est la dernière voiture qui pourra passer et qui la dernière
femme. A nouveau des cris : « Irja
lawara ! ». D*, du Bureau de Coordination et de
Liaison a expliqué que le barrage fermait à six heures parce
qu’il y a une semaine, on a tiré sur le barrage à six heures.
Des gens continuent d’arriver au barrage.
Par
le système des haut-parleurs, une annonce est lancée dans un arabe
écorché : « Le
barrage est fermé. Tout le monde s’en va ». Puis en hébreu :
« Et maintenant
souvenez-vous : ce pays appartient tout entier au peuple juif
et à personne d’autre ». Et « pour
tous ceux qui comprennent l’hébreu, le barrage est fermé parce
que, la semaine passée, vous avez tiré sur nous. Si vous voulez
que le barrage reste ouvert plus tard, mettez fin au terrorisme ».
Un
soldat de la police des frontières s’approche de A* et lui
propose de faire passer la poignée de gens qui attendent. A* lui répond :
« Chez moi, fermé c’est fermé. Si je les laisse passer, comment
apprendront-ils ? »
A
la sortie, une vingtaine de personnes attendaient, dont une femme et
sa fille en bas âge qu’elle avait emmenée consulter le médecin,
et ses deux fils de 10 et 12 ans, une femme de Ramallah qui explique
aux soldats qu’elle allaite son bébé qui est à la maison et
encore quelques hommes et femmes qui habitent tous à l’extérieur
de Naplouse.
20h19.
Nous avons téléphoné à G*, porte-parole du régiment, à Sh*
porte-parole du général, à D* du Bureau de Coordination et de
Liaison, et enfin à R*, chef du bureau du général. Tous nous ont
expliqué que fermé, c’est fermé, car on a tiré sur le barrage
il y a une semaine. Pendant tout ce temps, les soldats faisaient
reculer les gens avec des cris, parfois des hurlements, des poussées
avec les mains, des menaces avec leur arme.
20h29.
Un chauffeur de taxi qui a conduit un malade ayant subi une opération
à l’hôpital Ichilov (à Tel Aviv) demande à pouvoir le faire
passer jusqu’au taxi qui attend de l’autre côté du barrage. P*
explique qu’ « il n’y a qu’en ambulance qu’il peut passer ».
20h49.
Nous n’avons pas pu joindre le Bureau de Coordination et de
Liaison. Le chef du bureau du général a promis de s’occuper de
la situation.
Entre-temps,
au barrage sud, des centaines de personnes qui demandaient à entrer
à Naplouse sont retenues.
A
ceux qui tentent d’approcher en venant du nord, les soldats, P* en
tête, crient, l’arme au poing : « Irja
lawara, j’ai dit ! » La colère de la femme au bébé
malade éclate contre les soldats. Le commandant du barrage :
« Qui parle hébreu ici ? Venez, dites-lui que je ne comprends pas un
mot de ce qu’elle dit. Et même si je comprenais, ça ne m’intéresse
pas du tout ». P* a essayé de la repousser vers les
carrousels et lui dit : « Ne
me touche pas, espèce de folle, à cause toi aucune fille ne
passera ». A l’adresse de l’une d’entre nous, il dit :
« Va brûler en enfer ! »
A
21h11, après de nombreux coups de téléphone, l’ordre arrive
d’autoriser le passage à ceux qui attendent.
Le
porte-parole de l’armée israélienne a réagi en déclarant qu’
« étant donné la gravité de ce qui est allégué à propos du
comportement des soldats à la fouille, le commandant de la zone
centrale, le général Yaïr Noah, a donné instruction pour que
soit désigné un officier chargé d’enquêter sur l’incident ».
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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