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Sur la voie de Ze’evi
Amira Hass


Haaretz, 15 février 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=683152

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/682885.html


Quelqu'un d’humeur particulièrement sarcastique, semble-t-il, a décidé d’appeler officiellement la route de la Vallée du Jourdain – la route N°90 – la « voie de Gandhi ». Non pas à la mémoire du Mahatma Gandhi, mais de Rehavam Ze’evi[i] qui prêchait le transfert des Palestiniens hors de leurs terres. Peut-être a-t-il compris que ce nom convenait bien à la route Est. Car non seulement sur cette route, mais sur toute l’étendue formidable et magnifique de la Vallée du Jourdain et des versants orientaux de la chaîne montagneuse, on a une sensation déprimante d’absence, de déperdition, de vide en train de s’installer.

Les Palestiniens ont disparu de la Vallée, à part quelques milliers qui y habitent et ceux à qui Israël consent à octroyer, pour diverses raisons, des permis d’entrer pour la journée. Il est même impossible de compter au nombre des « gens présents » dans la Vallée les quelque 35.000 habitants de Jéricho, car l’armée israélienne leur interdit d’aller vers le nord et de voyager au-delà du territoire A dans lequel ils vivent. Ont ainsi disparu de la Vallée des milliers d’habitants des villes et villages voisins, du nord de la Cisjordanie, situés parfois à seulement quelques kilomètres, alors qu’ils ont de la famille dans la Vallée, des amis, des terres en propriété privée, des maisons, des liens commerciaux et du travail. En ont disparu les voitures palestiniennes qui, dans un passé proche, véhiculaient les absents d’aujourd’hui. En ont disparu ceux qui se rendaient en Jordanie, milliers de voyageurs potentiels – familles, étudiants et vacanciers sont absents, possibles clients des étals colorés placés aux carrefours.

Cette absence est orchestrée par des soldats israéliens au moyen de quatre barrages principaux qui séparent la Vallée des autres parties de la Cisjordanie. Ils appliquent les ordres de leurs commandants : il est interdit à tous les Palestiniens, soit environ deux millions de personnes (au million quatre cent mille Gazaouis, il est de toute façon déjà interdit de se rendre en Cisjordanie), d’entrer dans l’espace de la Vallée, excepté ceux dont l’adresse officielle inscrite sur la carte d’identité se trouve être dans la Vallée.

Mesures de sécurité – légitimes ou excessives – diront certains en rappelant les cinq dernières années écoulées et les attaques terroristes contre les colons de la région. Mais il s’agit essentiellement de la continuation directe d’une politique israélienne à long terme qui s’est aggravée durant la période d’Oslo. C’est cette politique qui fait de la Vallée palestinienne du Jourdain – soit un tiers environ de la Cisjordanie – l’histoire d’un gâchis du point de vue de son potentiel palestinien : un potentiel de développement agricole et touristique, de progrès et d’expansion des localités fixes existantes ou de construction de nouvelles localités, de diversification des styles de vie : urbain, villageois et semi-nomade. Modernes ou antiques, presque bibliques. Les architectes israéliens d’Oslo ont veillé avec le plus grand soin à ce que l’Autorité Palestinienne ne puisse pas développer la Vallée au cours de ces années cruciales où nombreux étaient ceux qui avaient la conviction qu’un rétablissement de l’économie constituait la base obligée d’une solution de paix et d’un soutien plus large en faveur de celle-ci.

Les architectes d’Oslo ont rangé la majeure partie du secteur Est en Territoire C, interdite au développement palestinien. Seules les colonies étaient autorisées à se développer, principalement grâce au vol et à l’exploitation des sources d’eau des Palestiniens. Dans la Vallée, les 475 km² de champs de tir où l’armée israélienne organise des entraînements depuis la conquête de la Cisjordanie portent atteinte au mode de vie, traditionnel dans la région, de milliers de pasteurs semi-nomades ou bédouins. Ceux-ci sont souvent chassés de leurs campements ou se voient interdire de mener paître leurs troupeaux dans ces espaces et de cultiver un peu de céréales et de légumes pour leur subsistance. Une fois, l’explication invoquée est qu’ils se trouvent dans un « champ de tir ». Une autre fois, que ce sont des constructions illégales. Pas plus tard que jeudi dernier, des gens de l’administration civile ont démoli des tentes, des huttes et des enclos d’une vingtaine de familles, en cinq endroits différents de la Vallée. Ce qui effraie les planificateurs israéliens est clair : une proportion importante des communautés palestiniennes de la Vallée se sont développées au milieu du siècle dernier pour constituer des localités fixes à partir des rejetons saisonniers de villages du Nord de la Cisjordanie. Les Juifs sont encouragés à venir s’installer dans la Vallée. A l’encontre des Palestiniens, toutes les méthodes possibles de dissuasion sont appliquées.

L’empêchement mis à tout développement et l’arrêt d’un processus naturel au long cours de construction et de peuplement, sont une façon de faire le vide. Au cours des derniers mois, cet effort visant à faire le vide a pris de l’ampleur pour se faire plus actif : de temps à autre, pendant la nuit, des soldats viennent et renvoient de l’autre côté du barrage ceux qui habitent dans leur maison de la Vallée ou ceux qui y travaillent, mais dont l’adresse n’est pas « la Vallée ». Le matin, ces gens reviennent en passant par les montagnes, échappant aux soldats, courant le risque de marcher sur un obus non explosé. En octobre s’est ajouté, pour les gens, un nouveau motif d’en avoir assez de leur vie dans la Vallée : on empêche maintenant les agriculteurs palestiniens de vendre leurs produits à des commerçants israéliens au point de passage tout proche, à la frontière entre la Vallée et Israël. Au lieu de 5 km, ils ont à en faire 50, jusqu’à un lointain terminal de marchandises (Jamaleh), ils doivent attendre interminablement aux barrages intérieurs, sachant qu’une grande partie des légumes s’abîmera au soleil et dans les heurts du transport. Sachant que leur labeur ne sera pas récompensé.

Du côté de l’armée, on jure qu’il n’y a pas de lien entre ces interdictions et les déclarations d’hommes politiques selon lesquelles la Vallée restera éternellement à nous. Mais dans les faits, elles contribuent à la vider des Palestiniens, en « préparation » à son annexion officielle à Israël.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


[i] Rehavam Ze'evi, dirigeant du parti « Moledet » dont il était le fondateur, Ministre du Tourisme israélien, assassiné le 17 octobre 2001 dans un hôtel de Jérusalem par un Palestinien du FPLP.


 Source : Michel Ghys


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