Palestine - Solidarité

   



Les personnes en séjour illégal en Cisjordanie
Amira Hass

 

Haaretz, 12 octobre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=634491

Imaginons une situation où il serait interdit aux habitants de Haïfa de circuler à Tel Aviv sans un permis (qu’il serait difficile d’obtenir) de la police d’Israël. Imaginons que le Ministère de l’Intérieur n’autorise pas sans sa permission de changer de lieu de résidence à l’intérieur d’Israël et que l’autorisation de changement d’adresse soit accordée à quelques uns, sans critères ni transparence.

Imaginons une situation où dix étudiants de Rosh Pinah s’inscriraient à l’Université de Beer Sheva pour des études de physiothérapie. Allez étudier à Tsefat, leur diraient les autorités, oubliant que nulle part on n’y enseigne la physiothérapie. Ou supposons encore qu’un beau jour, le Ministère de l’Intérieur bloque le processus de changement d’adresse d’une région à l’autre. Les autorités consentiraient à ce qu’une jeune femme du kibboutz Hazorea fasse le voyage de Jérusalem pour épouser l’élu de son cœur qui est jérusalémite, avec lequel elle vivrait dans la ville, mais les autorités refuseraient le changement d’adresse. Irait-elle aux funérailles de son père qu’elle ne serait pas autorisée à revenir à Jérusalem où elle serait considérée comme étant « en séjour illégal ».

Difficile à imaginer ? C’est une réalité quotidienne, étouffante, mais qui n’étouffe pas des Israéliens. Il suffit de changer les noms de lieux : au lieu de Hazorea et Haïfa, écrire Dir Al-Balah ou Gaza. Au lieu de Beer Sheva et Rosh Pinah, Ramallah, Bethléem et Jéricho. Tous ces exemples fictifs se sont produits dans la réalité pour des habitants de Gaza et de Cisjordanie. Et tous ne sont que quelques gouttes dans une mer d’interdits semblables. Ils découlent du contrôle absolu exercé par Israël sur le registre de la population palestinienne.

Le summum de ce pouvoir s’est manifesté dans la liberté que se sont octroyées les autorités israéliennes d’empêcher des habitants de Gaza de visiter, d’habiter, d’étudier et de travailler en Cisjordanie. Ces cinq dernières années, toute personne dont l’adresse inscrite sur la carte d’identité est « Gaza » mais qui se trouve en Cisjordanie sans permis valide de transit par Israël, est une personne « en séjour illégal » qui doit être renvoyée à Gaza. Il y a des milliers de personnes dans ce cas et certaines vivent depuis dix ou vingt ans en Cisjordanie. Ces personnes vivent dans la peur quotidienne d’être arrêtées à un barrage par un soldat qui les renverrait au passage d’Erez.

Selon les accords d’Oslo, l’Autorité Palestinienne est seulement tenue de communiquer au Ministère israélien de l’Intérieur tout changement d’adresse d’une personne : de Naplouse à Ramallah, de Gaza à Hébron ou Jéricho. Il n’est écrit nulle part que l’Autorité Palestinienne doive attendre une approbation israélienne pour un changement d’adresse. La logique est claire : selon les accords, Gaza et la Cisjordanie constituent une unité territoriale unique. Israël a pourtant violé ce paragraphe avec un esprit méthodique s’agissant d’habitants de Gaza. Israël s’est réservé le « droit » d’approuver ou de refuser le changement d’adresse, sans établir de critères transparents et sans motiver cette violation de l’accord d’Oslo. C’est Israël qui a la main sur le clavier de l’ordinateur, c’est donc lui qui décide : si l’employé israélien n’introduit pas le changement d’adresse dans l’ordinateur, le soldat et le policier des barrages ou des points de passage le sauront immédiatement et arrêteront le contrevenant.

C’est ce qui est arrivé à H, natif de Gaza, qui a commencé à étudier l’informatique à l’Université de Bir Zeit en 1991. Il a trouvé du travail à Ramallah, y a fondé une famille et a effectué son changement d’adresse au Ministère palestinien de l’Intérieur. Dans le cadre de son travail, il a cherché, en mars 2002, à se rendre en Jordanie. Arrivé au Pont Allenby, il a été arrêté et transféré à la prison d’Ashkelon. Là, les enquêteurs lui ont dit que son adresse était « Gaza », que c’était cela qui était enregistré dans l’ordinateur israélien et qu’il était dès lors en séjour illégal à Ramallah.

H a été expulsé vers Gaza. Les requêtes introduites par le Centre pour la Protection de l’Individu auprès de l’administration civile afin qu’on laisse un homme retrouver ses enfants, son épouse et son travail à Ramallah ont été infructueuses. En juin 2003, le Centre s’est adressé à la Cour suprême. En février 2004, près d’un an après l’expulsion, le cabinet du procureur général a fait savoir à la Cour suprême que « par indulgence, il a été décidé d’autoriser le requérant à entrer en Judée-Samarie et d’y demeurer ».

Cette immixtion dans ce qui est clairement du registre des décisions individuelles des habitants de Gaza, comme le choix du lieu d’études ou d’habitation, a commencé en 1991 quand Israël a modifié sa politique et s’est mis à exiger des Palestiniens de se munir d’une autorisation personnelle de déplacement – entre les Territoires et Israël, et également entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Cette immixtion n’a fait qu’empirer après la création de l’Autorité Palestinienne, et en opposition avec ce qui est stipulé dans les accords d’Oslo. Elle a atteint un sommet au cours de ces cinq dernières années, jusqu’au recours à l’expulsion. Dans de nombreux cas, une action en justice amène l’Etat à faire marche arrière « par indulgence », y compris lorsque le premier prétexte invoqué avait été des « mobiles sécuritaires » – ce qui témoigne de l’arbitraire habituel et présent d’emblée.

Le fait essentiel et historique demeure inchangé : Israël a commencé à couper de la Cisjordanie la population de la Bande de Gaza avant les accords d’Oslo, Israël a continué à le faire pendant la période d’Oslo sans être dérangé, sous le couvert de l’euphorie qui entourait l’accord de paix, et Israël parachève maintenant la coupure – sous le couvert, cette fois, de l’admiration suscitée par le plan de désengagement.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


Source : Michel Ghys


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