Palestine - Solidarité

   



Une route en cours d’asphaltage

Amira Hass

 


Haaretz, 9 novembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=643411

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/643181

L’asphaltage d’une route, la construction d’un terre-plein séparant les bandes de circulation, l’aplanissement d’un terrain et son nettoyage : il n’y a aucune raison que cela occupe une ligne dans un journal. L’asphaltage d’une route signifie logiquement l’utilisation de l’argent de la collectivité pour le bien de celle-ci, un service qui va de soi et qui fait partie du contrat permanent entre les citoyens et les autorités.

Mais lorsque cet asphaltage se fait sur une route au nord de Bir Zeit, que l’entrepreneur n’est autre que l’armée de défense d’Israël qui s’est aussi, par ordre du général commandant de la région, accaparée de dizaines de dounams de terres appartenant à plusieurs familles palestiniennes et qui a pris le contrôle de la maison d’une famille en l’absence de celle-ci, il s’agit alors d’un contrat permanent d’un autre genre : un contrat entre les autorités de l’Etat et les citoyens juifs d’Israël, les autorisant à utiliser la terre et la propriété palestiniennes au préjudice de la population palestinienne. L’asphaltage a lieu ces jours-ci et il mérite plus qu’une ligne dans le journal. Le problème étant que même 50 lignes, dussent-elles paraître en première page, n’arrêteraient pas ce pillage malfaisant.

A Kfar Saba, quand les autorités construisent un terre-plein et délimitent des bandes de circulation, elles le font au bénéfice de la collectivité et pour sa sécurité. Lorsque la chose se pratique au bout d’une route comme celle du carrefour Bir Zeit / Atara, le but est différent : établir encore un barrage permanent (une « aire de contrôle » pour employer l’euphémisme de l’armée israélienne) à la place du barrage improvisé qui était placé là par intermittence depuis cinq ans. Et un barrage permanent signifie une atteinte de plus à ajouter à la série interminable des atteintes à la liberté de mouvement des Palestiniens. Cela signifie une nouvelle étape, presque finale, dans l’achèvement de l’encerclement par l’armée et les colonies, de la région de Ramallah. Autrement dit : un nouveau pas vers la coupure du district de Ramallah du reste des enclaves palestiniennes de Cisjordanie, elles-mêmes coupées les unes des autres.

Cette information, en arrivant dans les pages du journal, prend d’emblée l’allure d’une même information sans cesse répétée : route asphaltée pour un barrage, dépeçage, coupure, enclave, étranglement. Mais c’est ce que l’armée de défense d’Israël réalise, jour après jour, avec une diligence exemplaire : non pas à l’abri des regards, pas en se cachant. Un gigantesque barrage au carrefour de Zaatara (Tapouah), qui éloignera de son centre le nord de la Cisjordanie ; un barrage et un mur de séparation à Abous Dis qui coupent le centre de la Cisjordanie de sa partie sud et filtrent les gens qui y passent ; des barrages et des colonies autour de Bethlehem, « dans le cadre du consensus », et qui en ont fait depuis longtemps une ville étranglée, isolée. Hébron paraît, pour qui vit dans le nord de la Cisjordanie, plus éloigné que l’Arabie Saoudite.

Ces deux dernières années, le district de Ramallah a bénéficié d’un encerclement relativement plus lâche que celui qui est imposé aux autres enclaves de Cisjordanie. Il est vrai que trois de ses cinq entrées/sorties naturelles sont totalement ou partiellement fermées : Bitounia au sud-ouest est ouvert seulement aux marchandises par transfert « dos à dos » [On décharge les marchandises du camion situé d’un côté du barrage pour les recharger dans un camion situé de l’autre côté – NdT] ; Qalandiya, au centre-sud, est fermé aux voitures palestiniennes et ceux qui y passent à pieds sont soumis à un contrôle fastidieux, énervant et humiliant ; et la sortie Est n’est ouverte qu’aux personnalités à bord de leurs voitures.

Mais la route de Bir Zeit, au nord de Ramallah, est une des deux seules routes qui permettaient aux Palestiniens de se rendre plus ou moins directement du district de Ramallah au reste du territoire de Cisjordanie. Cette voie « directe » est en réalité passablement tortueuse car il s’agit de deux routes secondaires, reliant des villages, étroites, sinueuses, longues et pas vraiment sûres. Elles s’affaissent sous la charge du trafic de voitures que barrages militaires et fermetures empêchent d’accéder aux routes principales, larges, de Cisjordanie. La route de Bir Zeit offre ainsi un très curieux parcours à ceux qui veulent se rendre au sud : elle leur impose d’aller vers le nord pour aller plein sud. Mais maintenant, les préparatifs à l’embranchement situé au nord de Bir Zeit, en vue de l’établissement d’un barrage militaire permanent va détruire aussi cette illusion partielle d’un « Ramallah ouvert » au trafic.

Dans chaque région de Cisjordanie, le régime de restriction des déplacements est caractérisé par des ordonnances militaires diverses et autres types de blocages. Les restrictions n’ont pas été imposées en un coup, les motifs et les incidents touchant à la sécurité permettent toujours de les présenter comme une « réponse ad hoc », temporaire, mais elles servent un but politique très cohérent de colonisation. Entre une aggravation des restrictions et la suivante, l’occasion est offerte aux Palestiniens de s’adapter, de trouver un détour, de croire que « pire que ça, ce ne pourra pas être ». C’est alors qu’arrive une nouvelle restriction qui fait apparaître que ça peut être pire que ça aussi.

Il ne s’agit pas seulement des dépenses élevées en essence, du temps perdu, des véhicules qui tombent fréquemment en panne sur des routes dégradées : le découpage qu’Israël réalise sabote des liens économiques naturels sans lesquels parler de développement est un leurre. Le découpage est contraire aux résolutions internationales sur la création d’un Etat palestinien viable et il se rit des espoirs exprimés par la Banque Mondiale et par Condoleezza Rice d’un rétablissement économique et d’une détente politique. Le bilan du découpage, c’est le confinement des Palestiniens à une vie restreinte, humiliée, asphyxiée, dans des enclaves de tiers-monde et des townships séparés les uns des autres, et à seulement cinq minutes de nos vies confortables.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

 


 Source : Michel Ghys


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