Palestine - Solidarité

   



De poussière à poussière 
Amira Hass

 

« Vous souvenez vous comment nous avons construit Netzer Hazani ? » rigole doucement Adli Yazuri sous sa moustache grisonnante ce jour d’évacuation des colonies. Yazuri, Mustafa et d’autres amis quarantenaires sirotent du café ou du thé, et se souviennent de leur rôle dans la construction des colonies.

Ils étaient jeunes, de 15 à 17 ans, et venaient des camps des réfugiés -Adli de Block O, Mustafa de Shabura, un autre de Yibneh - en vacances scolaires ou universitaires. Leur travail dans les colonies finançait leurs études et leurs livres.

A la fin des années 70, lorsque Yazuri et son frère entrepreneur montaient des maisons préfabriquées à Netzer Hazani, le premier était déjà habile ouvrier de la construction. Né en 1959, il avait déjà travaillé à Yamit, Netiv Ha’asara et Talmei Yosef. C’est eux qui ont monté les préfabriquées dans les colonies du Sinai, et puis, quelques années plus tard, les ont démontées et remontées à nouveau dans les colonies nouvelles de Pithat Shalom et au nord de la bande de Gaza. Il semble que toutes les maisons n’étaient pas démolies.

« Nous avons commencé à construire à Gaza pendant les accords de Camp David » avec l’Egypte, se souvient-il cette semaine dans son appartement de Gaza. Au cours des années, son frère a obtenu des contrats de construction partout en Israël et jusque dans le Golan . Mais quand ils construisaient à Netzer Hazani, ils travaillaient pour deux constructeurs juifs. L’un s’appelait Israel et l’autre Dudu, se souvient Yazuri avec un petit effort. « L’un d’eux nous a dit qu’il déménageait à Yamit car il n’avait rien à manger. L’autre avait un casier judiciaire. Lorsque Yamit a été évacué et que les colons ont reçu des compensations, ils sont devenus des entrepreneurs importants ».

Entre deux arrestations

Yazuri a étudié l’électronique dans une école de Gaza, et puis il a été condamné à une année de prison pour ses activités dans le Comité Populaire des Etudiants, qui était affilié au Front Populaire. A sa sortie de prison, il a commencé des études d’histoire à l’Université Islamique, où il avait des responsabilités dans le Comité Populaire des Etudiants. Il a été arrêté pour interrogatoire, relâché et mis en détention administrative. Quand il était en permission, et entre deux détentions, il a continué a travailler dans l’affaire de son frère entrepreneur en Israël.

Quand on lui demande ce qu’il ressent en voyant détruire les maisons qu’il avait construites, Yazuri cherche ses mots. « Je suis content qu’ils quittent ma chambre, mais ils sont toujours dans mon salon » dit-il. Est-il triste ? Il répond : « Je suis triste de les avoir construites, mais c’était un impératif économique. Nous aurions préféré construire pour des palestiniens ».

Il dit que dans les années 70 et au début des 80, il n’y avait pas de différence entre travailler en Israël ou dans les colonies. Les deux étaient légitimes et personne n’aurait songé à les mettre en question.

« A un certain moment, tous les travailleurs de l’usine d’emballage de tomates à Gush Katif étaient activistes -soit dans Fatah’s Shabiba (mouvement des jeunes) ou au Front Populaire. Le jour ils travaillaient dans les colonies, et la nuit ils étaient actifs dans les organisations » dit Yazuri.

Un des intervenants était membre du Front Populaire au Liban et est arrivé à Gaza après les accords de Oslo. Il s’étonne que des membres et partisans du Front aient travaillé dans les colonies.

« Ya salaam » répond Yazuri en colère devant l’étonnement de son ami. « Ils étaient fonctionnaires la-bas au Liban, nous étions les guerriers. Ils n’avaient pas l’expérience de ce que nous vivions sous l’occupation militaire, les armes pointées sur nous, les arrestations continuelles, les humiliations et l’activité clandestine sous le nez de l’occupant ».

Yazuri prit part à l’activité publique du Front Populaire dans les années 80. « Jusque là le Fatah et le Front et d’autres étaient basés à l’étranger, pendant qu’ici on avait des cellules secrètes et militaires. Mais au début des années 80 nous avons commencé à étendre notre activité à la rue, vers le public. Plus de secret, plus de cellules clandestines. Nous avons commencé à éveiller les consciences et à recruter des gens pour des activités populaires non-armées contre l’occupation. Le résultat fut la première intifada ».

Les neuf premiers mois de l’intifada, ils les a passés en prison, d’abord à Gaza, ensuite à Ketziot. Deux de ses frères furent tués pendant la première intifada. Basil, 22 ans, fut tué en décembre 87. Ahmad, 13 ans, l’année suivante.

Basil a été tué près de la maison de ses parents à Rafah, tout près de la frontière égyptienne et des avant-postes de l’IDF. Il y avait un défilé et les soldats ont tiré des gaz lacrymogènes sur les gens, entraînant commotion et panique. Les femmes et les enfants couraient en suffoquant et étouffant, d’autres sont venus les aider et certains on jeté des pierres sur les soldats. Les soldats ont tiré et tué Basil. Ahmad a été tué près de l’école. Un poste militaire avait été construit dans l’immeuble voisin. Les enfants ont jeté des pierres « comme si une pierre jetée par un enfant depuis la rue sur le poste en hauteur pouvait blesser quelqu’un ». Un soldat a tiré une balle en caoutchouc et a tué Ahmad. Son père, cardiaque, n’a pas été autorisé à quitter Gaza pour un traitement médical en Egypte, ceci pendant trois ans, parce que deux de ses enfants avaient été tués. Quand on lui a enfin permis de se déplacer il était trop tard et il est mort au poste frontière de Rafah.

Yazuri est marié avec Hanan, une dentiste qui a fait ses études à Bagdad et travaille dans une clinique de l’UNRWA. Leurs enfants s’appellent Ahmed et Basil.

Une solution pour les travailleurs

Adli Yazuri a arrêté de travailler dans les colonies au milieu des années 80. En décembre 86, il a été emprisonné avec quelques collègues pendant une semaine à Ansar 2, Gaza. Ils ont été maintenus menottés, exposés aux intempéries, avec très peu de nourriture et devaient utiliser des trous puants comme toilettes.

« Quand nous sommes sortis après une semaine, tous les journalistes israéliens nous attendaient dehors. L’arrestation arbitraire a reçu beaucoup de publicité » dit-il.

Un travailleur du PHRIC, le centre d’information palestinien sur les droits de l’homme, fondé par Faisal Husseini, lui a demandé de décrire dans le détail ses conditions de détention. Son témoignage a servi de base à un livre, et on lui a offert un poste de chercheur au PHRIC. Il a occupé son poste jusqu’en 1995, tout en poursuivant d’études d’économie.

Son frère Mohammed, mort il y a quelques années d’une crise cardiaque, a continué à travailler comme entrepreneur de construction en Israël, y compris pendant la première intifada. Il a arrêté de travailler dans les colonies en 1985, lorsqu’il n’y eut plus de travail de montage, qui était sa spécialité. Pendant la première intifada, les activistes essayaient d’empêcher les gens de travailler en Israël et dans les colonies. Ils se sont néanmoins rendu compte que, puisque les colonies étaient en dehors des frontières il était irréaliste d’interdire aux gens le travail en Israëfl aussi. Yazuri se souvient qu’un ouvrier devenu riche dans les colonies a soudoyé un des gros-bras de l’intifada pour qu’il lui permette de continuer à travailler là.

Yazuri, qui comme tant d’autres a quitté son organisation il y a plusieurs années, s’oppose aujourd’hui au travail dans les colonies. Il propose qu’on réduise de 10% le salaire des fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne pour créer des postes de travail pour les ouvriers qui sont obligés de travailler dans les colonies.

La famille Yazuri vient de Beit Daras (au sud de Ashdod, aujourd’hui Beit Ezra), mais possédait aussi des terres à Yazour (Azur). « Notre terre, enregistrée à notre nom au cadastre, est là où se situe la gare routière » dit Yazuri, qui n’est pas allé en Israël ni en Cisjordanie depuis 1992.

Quand on lui demande s’il voudrait retourner à Beit Daras ou à Yazour, il dit « oui, comme dans un songe, c’est mon droit, mais en réalité je ne pense pas que cela arrive ».

Comme dans un songe, voudrait-il retourner là où vivent les juifs maintenant ? « Non » dit-il avec emphase. « C’est mon droit d’y retourner, mon droit de vivre sur ma terre quand je choisirai, mais je ne ferai pas ce qu’il nous ont fait -ceux qui nous ont expulsé. Il y a de la place pour nous tous, il y a un mécanisme pour rendre effectif mon droit au retour ou pour obtenir une compensation. C’est un rêve, et même dans un rêve, ce n’est pas au dépens des autres ».

Que vouliez-vous dire quand vous avez dit que les colons ont quitté la chambre mais restent dans le salon, lui ai-je demandé. « Cela signifie que le salon c’est Israël ? »

« Non », dit-il. « Je veux dire la Cisjordanie. Je pensais à la clôture qui nous emprisonne à Gaza. J’accepte deux états comme une solution réaliste. Mais pourquoi pas un état pour deux nations ? C’est ça mon rêve. Mais il n’y a aucune chance pour que nous acceptions moins que la solution réaliste de deux états à l’intérieur des frontières de 1967. »

 

Amira Hass Haaretz, 07 septembre 05

Version anglaise : http://www.haaretzdaily.com/hasen/p...

Traduction de l’anglais : Losada/Afps


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2201.html


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