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Un peuple de mendiants
Amira Hass



Haaretz, 1er mars 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=688881

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/688642.html

Ce ne sont pas les Palestiniens qui doivent bénir la décision de l’Union Européenne de leur allouer encore 120 millions de dollars, rapidement, avant que le gouvernement Hamas ne soit constitué. C’est Israël qui doit se réjouir et saluer le fait que les pays occidentaux continueront à indemniser les Palestiniens pour la dégringolade économique qui est un produit de l’occupation israélienne. Car ce ne sont pas des catastrophes naturelles qui ont fait des Palestiniens un peuple qui recueille l’aumône du monde, mais le processus de colonisation qu’Israël accélère. Une des facettes en est la poursuite de la mainmise sur les terres palestiniennes (« privées » ou communes, c’est du pareil au même), extension des constructions pour Juifs uniquement, et annexion de facto à Israël de vastes territoires palestiniens, tout en morcelant la Cisjordanie en enclaves et en enclos pour Palestiniens. Une deuxième facette de la colonisation tient en un régime de restrictions extrêmes qu’Israël impose aux déplacements des Palestiniens entre leurs enclos et leurs enclaves, à l’intérieur de la Cisjordanie et entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza.

Ce don promis par l’Europe, et qui est en partie destiné à payer les salaires dans le secteur public palestinien, nous apprend que l’Europe éprouve même des difficultés à empêcher Israël de piller au grand jour l’argent palestinien des impôts et des droits de douane – 50 à 65 millions de dollars par mois. Il nous apprend aussi que l’Europe estime que les Etats-Unis ne feront pas pression sur Israël pour qu’il restitue cet argent pillé – contrairement aux pressions qu’ils avaient exercés au début de l’Intifada, quand Israël avait bloqué le transfert des impôts. Cet argent est en effet perçu en Israël et dans les ports israéliens, mais sur des transactions du secteur privé palestinien. Cet argent est palestinien et toutes les règles d’une gestion normale interdisent qu’il rapporte des intérêts dans les caisses du Trésor israélien au lieu de parvenir aux Ministères palestiniens de la Santé et de l’Enseignement. Cet argent représente environ les deux tiers des recettes entraînées par l’activité économique palestinienne. Un tiers, soit environ 35 millions de dollars par mois, est constitué des taxes prélevées directement sur l’activité économique en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.

Ces montants pourraient être beaucoup plus élevés et rendre superflus les dons et les aumônes faits au budget palestinien courant, n’étaient les mesures prises par Israël contre l’économie palestinienne et son potentiel de développement. Et ces mesures ne sont pas une nouveauté instaurée en l’honneur du Hamas. Israël a détruit et continue de détruire l’agriculture palestinienne, les deux jardins potagers nationaux palestiniens – à l’est et à l’ouest de la Cisjordanie – au moyen de la clôture de séparation et de l’annexion de facto de la Vallée du Jourdain. Dévastation des terres, empêchement mis à l’accès aux terres et aux plantations, entraves à la mise sur le marché, atteinte aux sources d’eau, tout cela a ruiné des dizaines de milliers d’agriculteurs fiers et a réduit leur contribution au revenu national.

Déjà avant l’actuelle Intifada, Israël a porté atteinte aux espoirs de développement de l’industrie palestinienne en la canalisant vers des « zones industrielles » contiguës à Israël. Grâce à son contrôle sur la majeure partie des territoires de Cisjordanie (les 60% de territoires C qu’Israël destinait à l’expansion des colonies), Israël maîtrisait – et maîtriser signifie restreindre au maximum – les permis de bâtir, les plans du développement palestinien, la possibilité de déplacer des bâtiments industriels hors des quartiers d’habitation et de les moderniser. Une deuxième méthode était basée sur des restrictions de déplacement de région à région, restrictions mises en œuvre depuis 1991, mais aggravées au cours des cinq dernières années. Il n’est pas besoin d’être économiste pour comprendre à quel point il est non rentable de produire, d’employer des travailleurs, de mettre sur le marché, de commercer, lorsque le transport par camion de matières premières ou de marchandises dure huit heures au lieu d’une.

Une autre méthode de sabotage du potentiel de développement palestinien consiste à fermer l’accès aux institutions d’enseignement supérieur. Israël n’autorise pas les Gazaouis à aller étudier en Cisjordanie où les établissements d’enseignement sont meilleurs, ni les Palestiniens de Jérusalem-Est. Les barrages et la création d’enclos obligent des étudiants de Cisjordanie à venir habiter près de l’université même quand celle-ci est à 20 km de chez eux. Cela représente une charge financière supplémentaire que beaucoup de familles ne peuvent supporter. La diminution des sources de revenus des universités influe sur leur niveau.

Les économistes ne manquent pas qui pourront démontrer le lien entre les méthodes israéliennes de contrôle et le déclin économique palestinien. Les études ne manquent pas qui montrent le lien direct reliant les restrictions draconiennes mises aux déplacements et la transformation du peuple palestinien en un peuple ayant besoin d’une assistance. Et nous ne devrions pas voir une diminution des initiatives visant à lui assurer encore le transfert d’aumônes en tous genres.

C’est pourquoi les Palestiniens devraient plutôt s’inquiéter, et non se réjouir, de l’annonce faite avant-hier par les ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne. Elle est le signe que les états européens continuent de renoncer à toute pression politique pour freiner la politique de colonisation israélienne qui sabote méthodiquement le potentiel économique des Palestiniens. Par le transfert de fonds, les états de l’Union Européenne ont couvert et couvrent encore leur impuissance politique et leur décision de ne pas entrer en conflit avec les Etats-Unis qui soutiennent la politique israélienne. Avec l’établissement d’un gouvernement dirigé par le Hamas, d’autres formules seront trouvées pour continuer à fournir aux Palestiniens un filet de sécurité fait de dons et d’aumônes. Le gouvernement israélien criera au « Soutien au Hamas ! » mais bénira secrètement le fait.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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