Haaretz, 1er février 2006
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Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/677195.html
Dans sa première interview depuis la victoire du
Hamas aux élections, le numéro 1 de la liste déclare qu’il se
peut que soient nommés dans le gouvernement du Hamas des experts
palestiniens résidant à l’étranger
Le
mouvement du Hamas s’opposera à une tentative visant à faire
passer les forces de sécurité palestiniennes de l’autorité du
gouvernement à celle du Président. Ainsi s’est exprimé, hier
mardi, dans une interview à « Haaretz », Ismail Haniya,
tête de la liste du Hamas, qui a insisté sur le fait que cette
opposition se fera dans « le
dialogue et la compréhension ». Samedi, Mahmoud Abbas (Abou
Mazen), Président de l’Autorité, avait notifié aux commandants
des services de sécurité qu’ils dépendaient directement de lui
– en tant que « commandant suprême des forces de sécurité » – et
du bureau de la présidence. Au Hamas, on considère cette situation
comme temporaire, jusqu’à l’établissement d’un gouvernement
à leur tête. Ismail Haniya a expliqué au cours de l’interview
que Mahmoud Abbas avait abandonné sa fonction de Premier Ministre,
il y a environ deux ans et demi, à la suite de désaccords avec
Yasser Arafat à propos du commandement des services de sécurité.
« Nous ne pensons pas que Abbas reviendra sur sa position qui voulait que
les services de sécurité soient placés sous l’autorité du
gouvernement et du Ministre de l’Intérieur. S’il devait le
faire, nous lui rappellerions la position qui était la sienne quand
il était Premier Ministre, mais le tout dans le dialogue, avec un
esprit de logique et de compréhension », dit Ismail
Haniya.
L’interview
d’Ismail Haniya s’est déroulée hier, dans le court moment que
lui avaient fixé son fils, ses accompagnateurs et ses amis, entre
la visite du représentant jordanien à Gaza et la prière du midi.
Dans la cour non dallée de sa maison, dans le camp de réfugiés de
A-Shati, les visiteurs continuaient d’arriver pour le féliciter
de la victoire du Hamas aux élections. Les chaises en plastique où
s’assoient les invités se couvrent régulièrement de sable alors
ses assistants veillent à les secouer. Dans la ruelle où habite
Ismail Haniya, comme dans les rues voisines, on ne voit pas
d’hommes armés, pas d’armes, en dehors de celles figurant sur
les grandes affiches du Hamas. « Nous
sommes des militants politiques », dit Ismail Haniya,
« et nous vivons parmi
les gens de notre peuple. Nous n’avons pas peur et nos relations
avec notre peuple sont des relations de confiance ».
Ismail
Haniya a dit à « Haaretz » qu’il se peut que dans le
gouvernement du Hamas soient nommés des Palestiniens résidant à
l’étranger. « Des
gens experts dans leur domaine et des hommes d’affaires qui
habitent à l’extérieur ont pris contact avec nous pour nous
faire savoir qu’ils étaient disposés à apporter leur aide »,
a-t-il dit. Les débats internes au Hamas se poursuivent à propos
de la formation du gouvernement. Quand ils s’achèveront, les représentants
du groupe vainqueur rencontreront Mahmoud Abbas et les chefs de
factions. Ismail Haniya prévoit « plusieurs
jours » pour ce processus.
Les agents des différents services ne perdront pas
leur traitement
Ismail
Haniya – comme d’autres à s’être exprimés au nom du Hamas
– assure que les membres des services de sécurité, y compris
ceux identifiés avec le Fatah, ne perdront pas leur traitement avec
le changement de pouvoir. « Ce qui nous importe, c’est le fonctionnement des services de sécurité
et non les gens eux-mêmes. Nous sommes intéressés à ce que les
services de sécurité agissent dans une perspective palestinienne
et non pas à ce qu’ils interviennent dans les affaires des gens
et la vie quotidienne des citoyens. Nous projetons de lancer une réforme
de ces services mais personne ne perdra son traitement ni son poste.
Celui qui remplit une fonction restera à son poste et tout ce qui
sera dommageable, nous nous en occuperons de la manière que nous
avons dite (avec logique et compréhension – Note d’A. Hass).
Peut-être le succès du Hamas a-t-il irrité certains membres du
Fatah », a dit Ismail Haniya à propos des manifestations
de protestation des gens des services de sécurité à l’égard de
la victoire du Hamas. « Nous ne sommes pas arrivés au pouvoir avec des chars et des armes, mais
par la voie démocratique ».
Ismail
Haniya n’a pas répondu à la question de savoir quelles seront
les premières dispositions concrètes que prendra un gouvernement
Hamas, mais il a souligné que cela concernerait « les
affaires intérieures, car de nombreux problèmes exigent une
solution : la pauvreté, le chômage, le bouclage, la sécurité
intérieure ». A la question de savoir ce qu’ils feront
effectivement contre le bouclage, par exemple, il a préféré répondre
par des formules générales : « Notre peuple n’a pas peur du bouclage, mais nous placerons tous nos
efforts au niveau intérieur et arabe, afin de soulager les
souffrances du peuple ».
-
Néanmoins, plus concrètement, qu’est-ce qu’il est en votre
pouvoir de faire ?
« Nous
avons la volonté d’organiser une conférence nationale large afin
d’établir des programmes détaillés et de mobiliser les fonds nécessaires ».
-
Quelle influence aura un arrêt de l’aide financière à une
Autorité Palestinienne placée sous votre direction ?
« La
cessation de cette aide compliquera la situation et pourrait aussi
conduire à une instabilité dans la région. Nous ne laisserons pas
notre peuple mourir de faim. Nous avons des alternatives. Une
gestion adéquate des fonds permettra de répondre à nos besoins ».
-
Ce ne sera pas une catastrophe, de votre point de vue ?
« Non,
nous avons des alternatives. Il y a des forces dans le monde arabe
et musulman, des hommes d’affaires et des partis qui ont pris
contact avec nous pour dire qu’ils étaient prêts à apporter
leur soutien ».
-
Autrement dit, si l’arrêt de l’aide est destiné à faire
pression sur vous afin que vous changiez, par exemple, votre
position sur la question de la non reconnaissance de l’Etat d’Israël…
« On
ne réussira pas à faire pression sur nous. Nous voulons les droits
du peuple palestinien et ne sommes pas intéressés par un chaos
dans la région ».
-
Qui prend les décisions au Hamas ? Vous ou les Frères
Musulmans ?
« Le
Hamas est un mouvement palestinien et c’est lui qui décide, par
le biais de ses institutions ».
-
Vous avez promis à votre peuple d’agir dans la transparence.
N’y a-t-il pas contradiction entre cette promesse et le fait que
votre organisation, avec ses institutions élues, est secrète ?
« Nous
sommes une organisation secrète à cause de l’occupation, mais
sur le plan politique, nous agissons ouvertement. Tous nos contacts
sont connus et il n’y a là rien de secret ».
-
Que veut le peuple ? La moukawma (résistance
armée – note d’A. Hass) ?
« Le
peuple veut améliorer sa situation, il veut un Etat indépendant,
il veut ses droits ».
-
Et comment réaliserez-vous ces objectifs ?
« Avec
toutes les options existantes. Nous mobiliserons un soutien panarabe,
international ».
-
Ça a l’air tout simple.
« Nous
sommes très optimistes. L’occupation a quitté Gaza et ils
parlent aujourd’hui d’un départ d’une grande partie de la
Cisjordanie. Ce sont des pas vers la concrétisation des droits du
peuple palestinien ».
-
Gaza est plus que jamais coupé de la Cisjordanie. La Cisjordanie
est divisée en unités séparées, coupées, les colonies s’étendent,
la situation diplomatique d’Israël dans le monde est meilleure
que jamais. Où est l’amélioration ?
« Nous
ne sommes pas impuissants. Le peuple veut connaître un soulagement.
Nous resterons attachés aux droits de notre peuple et au lien entre
la Cisjordanie et Gaza ».
-
Quelles démarches s’offrent à vous pour réussir là où
d’autres ont échoué ?
« Nous
avons dit que nous ne nous soumettrions pas à cette situation. Nous
avons fait l’Intifada qui a duré cinq ans, vers l’obtention de
nos droits ».
-
Mais la situation a empiré.
« Ce
n’est pas vrai. Et même si c’est vrai, la situation en Israël
est difficile aussi : au niveau économique, au niveau de la
crise au Likoud avec le départ de Sharon du parti, l’insécurité.
Tout ça, grâce à la résistance du peuple palestinien et au coût
de l’occupation ».
-
En fait, les Etats du monde acceptent les blocs de colonies, et
acceptent la position israélienne selon laquelle les territoires C
– 60% du territoire de la Cisjordanie – sont un territoire
« disputé »
par les deux parties, donc pas un territoire occupé.
« Depuis
quand les Israéliens reconnaissent-ils nos droits ? Depuis
quand reconnaissent-ils que la Cisjordanie est un territoire occupé ?
Nous savons qu’il y a occupation, qu’il y a un mur de séparation
et nous n’acceptons pas cette situation ».
-
Autrement dit, vous ferez partir l’occupation de la Cisjordanie
avec des Qassams ?
« Je
ne parle pas de Qassams, mais des droits des Palestiniens. Si
l’accalmie nous fait obtenir nos droits, nous serons d’accord ».
-
Depuis la victoire, une plaisanterie circule dans les rues de l’Autorité
à propos des brigades de Mohamed Dahlan – l’ancien chef des
services de sécurité qui a essuyé un revers à Gaza et qui est
actuellement représentant du Fatah au nouveau Conseil législatif :
les brigades ont lancé un missile vers Israël et le chef du
gouvernement, Ismail Haniya, condamne l’opération. Cette
plaisanterie suggère la possibilité que le Hamas fasse arrêter
ceux qui agiraient en violation de sa politique, mais Ismail Haniya
insiste : « cela
restera une plaisanterie ».
-
Arrêterez-vous des gens et des groupes s’ils lancent des opérations
armées contre Israël ?
« Nos
relations avec tous les gens de notre peuple seront faites de
dialogue et de compréhension ».
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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