Il y a quatre ans, les troupes de l'occupation israélienne
commettaient un massacre : celui du camp de Jénine. En direct,
la communauté internationale a pu suivre, cette fois-ci, la
sauvagerie de l'occupation, la répétition de ce qui fut commis
des centaines de fois, sur la terre de Palestine, depuis 1947. A
cette époque, les troupes sionistes encadrées et armées par
l'armée britannique ont commis des massacres dans les
villages pour "vider" la terre de ses habitants et
installer les colons sionistes. Depuis, les massacres sont
commis dans les villes, les villages et les camps de réfugiés,
pour "vider" encore plus cette terre et prétendre
qu'il s'agit d'une terre biblique consacrée aux Juifs, depuis
les temps les plus anciens.
En hommage aux martyrs et prisonniers du camp de Jénine, et à
tous les martyrs et prisonniers de la révolution palestinienne,
en hommage aux résistants, ces combattants valeureux qui ont pu
défendre le camp, pendant plus d'une semaine, malgré leur
nombre et leurs équipements dérisoires, CIREPAL consacre
pour cette commémoration plusieurs articles traduits.. Les résistants
du camp, animés par leur foi et leur détermination, savaient
qu'ils écrivaient, avec leur sang, une des pages les plus
glorieuses de la résistance palestinienne.
1 - Le mois d'avril dans le camp
de Jénine : des blessures non cicatrisées
par Ali Samoudi, Jénine
Quatre ans sont passés depuis le massacre du camp de Jénine.
Umm Khaled al-Fayed, réfugiée, vit toujours dans la souffrance
et la douleur, n'ayant pas réussi à retrouver les restes de la
dépouille de son fils, handicapé, que les bulldozers israéliens
ont ensevelis en avril 2002. Les forces de l'occupation ne
l'avaient pas autorisé à le sortir de sa maison, lorsqu'elles
ont détruit 455 maisons au cours de leur destruction du camp.
Les forces de l'occupation avaient pour objectif de tuer la résistance
héroïque du camp, qu'Israël avait nommé "nid de guêpes"
mais que la population du camp appelle "capitale des
martyrs".
Bien qu'elle vive actuellement dans une nouvelle maison,
construite comme d'autres sur les ruines des maisons détruites
par les Emirats arabes unis, elle ne pourra retrouver le goût
du bonheur car tout mur de sa nouvelle maison, construite sur
l'autre, lui rappelle son fils, Jamal Mahmoud Rafiq al-Fayed
qui, malade et handicapé, était la lueur de sa vie. Elle dit :
"Que je vive dans l'errance, sans toit, mais que Jamal soit
vivant ! Que signifie une maison s'il n'est plus là ! Son frère
est mort en martyr une semaine plus tôt. Je ne peux ressentir
la même amertume, parce que Jamal a été tué de sang-froid.
Les soldats n'ont pas tenu compte de son handicap, de ses cris
au secours, que j'entends jour et nuit, qui ne cesseront de me
hanter tant que je n'ai pas réussi à rassembler ses restes,
pour les enterrer en toute dignité".
Au mois d'avril, les blessures sont à nouveau ouvertes, pour se
souvenir de ces moments les plus durs de sa vie. Elle a vécu la
Nakba (48), la Naksa (67), l'exil, le refuge, les souffrances et
la privation, avec son mari, dans le camp. "Tout cela reste
minime comparé à la perte de Jamal. Après avoir échoué à
liquider la résistance héroïque des habitants et combattants
du camp, bien qu'ils aient utilisé tous les moyens de combat,
bombardements aériens, obus de chars, malgré nos pertes
humaines, les habitants du camp ont refusé de baisser les
armes. Les rues sont devenues des scènes de combat, les soldats
de l'occupation n'ont pas réussi à faire taire nos armes.
C'est pourquoi ils ont intensifié leurs bombardements, les obus
tombaient sur nos têtes. Les habitants durent quitter
finalement leurs maisons, pour pouvoir rester en vie. L'odeur de
la mort avait tout envahi."
L'attaque israélienne sur le camp de Jénine avait commencé à
l'aube du 3 avril 2002. Les forces de l'occupation avaient
encerclé le camp, bombardé les centrales électriques, les
poteaux téléphoniques, détruit les circuits d'alimentation en
eau. Malgré cela, les affrontements violents se sont produits
entre les combattants et les forces de l'occupation. Celles-ci
ont dû renouveler leurs troupes à plusieurs reprises,
utilisant les chars pour envahir le camp, les avions pour
bombarder les maisons, les mosquées, les écoles, les
quartiers. De nombreux martyrs sont tombés, mais du côté israélien,
il y avait de nombreuses pertes et des blessés. Finalement, les
soldats de l'occupation ont utilisé les bulldozers pour raser
les maisons, sans savoir si elles abritaient encore des êtres
humains.
L'attaque fut la plus terrible dans la place et le quartier
Joura al-Dhahab, où les combattants ont mené une bataille
grandiose. Umm Khaled raconte : "Pendant que les avions
bombardaient, les bulldozers avançaient, commençant à détruire
tout sur leur passage. Ils sont arrivés jusqu'à notre maison.
Nous y étions abrités, avec les voisins. Nous avons réussi à
fuir vers une maison avoisinante, puis je suis retournée pour
prendre mon fils Jamal. Je n'oublierai jamais cette scène :
j'ai vu le bulldozer énorme en train de détruire la maison, en
une seconde. J'ai crié, ma fille se trouvait près de moi, les
soldats ont pointé leur armes sur nous et nous ont demandé de
nous en aller. J'ai refusé, j'ai mis un ruban blanc, et je
l'agitais, leur criant : Allahu Akbar, arrêtez ! Mon fils est
à l'intérieur, il est handicapé. Laissez-moi le faire
sortir..."
Umm Khaled est effondrée. Elle poursuit, tout en pleurant, son
récit de ces instants : "J'ai vu le conducteur du
bulldozer, il était réjoui en détruisant la maison". Les
journaux hébreux avaient plus tard expliqué que le conducteur
était ivre, pendant qu'il détruisait le quartier, il avait
refusé plusieurs interviews à la presse, et refusait
d'exprimer son regret pour les crimes qu'il avait commis.
"Je lui a crié : mon fils est handicapé, il est à l'intérieur.
Laissez moi le sortir, mais ils m'ont chassée. Les soldats
m'ont chassée, sous la menace des armes. Ils m'ont empêché de
sauver mon fils. Ils nous ont poursuivi jusqu'à ce qu'on soit
hors de la zone. J'ai essayé à plusieurs reprises de revenir,
les voisins me retenaient. Je leur criais : laissez-moi, je veux
aller mourir avec Jamal!".
Les larmes et les cris de cette mère palestinienne n'ont pas
remué les soldats de l'occupation qui ont poursuivi leur opération
de destruction. Umm Khaled et des centaines d'habitants du camp
furent contraints à s'en aller. "Le bulldozer détruisait
et les soldats nous ont obligés à quitter le camp. Ils nous
ont emmenés, alors que nous étions pieds nus, dans les rues du
camp, dans une scène qui m'a rappelé la catastrophe de la
Nakba. J'avais encore l'espoir de retrouver mon fils. Je priais,
j'invoquais Dieu. Mais quand je suis retournée, après le
massacre, je l'ai cherché dans les décombres. J'ai fouillé,
avec les mains, sous les décombres, je me suis rendue à toutes
les institutions, mais les décombres ont été enlevés, et je
ne sais pas ce qu'il est devenu. Son nom n'est nulle part, ni
parmi la liste des martyrs, ni parmi la liste des blessés, ni
parmi les détenus. Ma vie est depuis un réel enfer.
En cette occasion les blessures saignent à nouveau.
"Quatre ans après, nous n'avons pas trouvé ses restes.
Malgré notre foi, mon coeur n'est pas tranquille, il ne le sera
pas avant je n'enterre mon fils avec les autres martyrs. Tant
que le monde est incapable de juger ceux qui ont planifié et
commis ce massacre, ceux qui n'ont pas hésité à tuer de
sang-froid mon fils handicapé, je vivrai le restant de mes
jours à le pleurer".