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Ha¹aretz, 2 juin 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Dimanche dernier, un long convoi s¹arrête devant l¹entrée du
magasin de robes de mariée sur la rue Manara, dans le centre de
Ramallah. Y entre le président Mahmoud Abbas, accompagné d¹une
brigade de gardes du corps et d¹une meute de journalistes. Le
distingué visiteur exprime son intérêt pour le business du
mariage dans la grande ville. "Très calme", dit le
propriétaire. Les journalistes prennent des notes. "Les gens
ne se marient plus. Ils n¹ont même pas de quoi s¹acheter à
manger".
Abbas n¹a pas eu besoin qu¹on lui explique pourquoi on n¹entend
plus de bruits de mariage dans les rues de Ramallah. N¹importe
quel enfant palestinien sait pourquoi les donateurs ont divorcé
de l¹Autorité palestinienne en emportant l¹argent de papa. Les
collaborateurs et les porte-parole s¹en retournèrent à la
Mouqata satisfaits. Pour la première fois depuis que le Hamas les
a chassés de leurs beaux bureaux et pris les clés des limousines
officielles, les joues des apparatchiks du Fatah ont retrouvé
quelques couleurs.
Ils sentent les élections. Le patron, qui déteste les médias,
commence à coopérer, et va même dans la rue serrer les mains
des passants. En général, il ne perd pas son temps en relations
publiques, en discussions stratégiques ni en plans sur le long
terme. La plupart du temps, il opère au jour le jour, à résoudre
une crise en attendant la suivante. Mais le "document des
prisonniers" et le projet de référendum ont été comme une
piqûre d¹adrénaline pour l¹homme qui a été bien plus le n°
2 de Yasser Arafat que le n° 1 d¹Ismail Haniyeh. En général,
Abbas arrive à son bureau à 10h, rentre chez lui vers 14h pour
faire une sieste, et retourne pour travailler 4 ou 5 heures. Mais
depuis quelques jours, les lumières de la Mouqata restent allumées
bien plus tard. Après des mois de deuil, quelque chose semble en
train de se produire.
Mahmoud Abbas avait 13 ans quand ses parents ont fui Tsfat (Safed)
vers le Nord, en Syrie, où il finit une licence à l¹université
de Damas. Dans les années 80, il fut doctorant en Russie. En
Russie comme en Syrie, il n¹a pas appris grand-chose sur la manière
de bâtir une démocratie ou d¹introduire des réformes
politiques. Mais, d¹un autre côté, il a appris des bolcheviks
comment éliminer des rivaux ou des jeunes aux ambitions
suspectes, et comment éviter tout changement. Même après le
vote massif des Palestiniens contre les ministres corrompus et la
vieille garde hédoniste du Fatah, Abbas continue à leur payer
leurs salaires, et il préfère leur compagnie à celle de la
jeune garde. Ainsi, au lieu de réhabiliter l¹image du Fatah, il
se concentre sur une stratégie qui consiste à détruire le Hamas
et à le traîner dans la boue.
Yasser Abed Rabbo, de l¹Initiative de Genève, a passé des
semaines à la Mouqata à essayer de convaincre Mahmoud Abbas de
prendre l¹initiative au détriment du premier ministre israélien
Ehoud Olmert et du Hamas. Ses conseillers en communication ont
repris l¹idée, et lui ont conseillé de faire savoir au monde
que l¹Autorité palestinienne voulait entamer des négociations
sur la base des paramètres Clinton ou de l¹Initiative de Genève.
Tout le monde est d¹accord pour dire que les accusations
mutuelles avec le leader du Hamas (en Syrie) Khaled Meshal, le
conflit autour du contrôle des points de passage frontaliers et
des forces de sécurité, et le boycott économique conduisent inévitablement
au clash. Les conseillers affirment qu¹une initiative politique
qui forcerait les Américains à faire pression sur Israël pour
qu¹il renonce à son "plan de convergence" permettrait
aux Palestiniens de mener le conflit sur leur terrain.
Abbas marque des points
Mahmoud Abbas, comme à son habitude, a hésité, pesé le pour et
le contre, et s¹est montré évasif, bloqué qu¹il était sur la
proposition de paix de la Ligue arabe. Cette décision de mars
2002 est devenue sa marque de fabrique, et il a du mal à changer
de formule. Israël continuait à l¹ignorer, les Etats-Unis se
taisaient et l¹Europe était fuyante. Mais cette fois, l¹hésitation
d¹Abbas que certains appellent faiblesse a payé. Marwan
Barghouti et ses camarades prisonniers ont fait le travail pour
lui. Et Abou Mazen n¹aurait pu trouver meilleurs alliés que les
héros de la lutte contre l¹occupation. Tous les sondages
indiquent que pour l¹opinion, la libération des prisonniers détenus
en Israël est la question la plus importante.
De fait, le jour même de la publication du Document de réconciliation
nationale (appelé "document des prisonniers"), une
cassure s¹est opérée entre les membres du Hamas de l¹intérieur
et ceux de l¹étranger. Si ce document n¹avait été signé que
par Ababs et le Fatah, le Hamas l¹aurait voué aux gémonies.
Mais il est difficile d¹accuser de défaitisme des prisonniers
condamnés à perpétuité. Un bon nombre d¹entre eux
appartiennent au Hamas, des jeunes gens qui ont donné les
meilleures années de leur vie pour la liberté de leur peuple.
Les différences d¹appréciation autour de la formulation de ce
document ont approfondi le fossé entre le Hamas dans les
territoires et le Hamas à Damas, ainsi qu¹entre le Hamas en
Cisjordanie et le Hamas à Gaza. Le document transcende les lignes
partisanes et annonce la possibilité d¹un big bang : la création
d¹un "Kadima" palestinien, qui au lieu de proposer des
mesures unilatérales, présenterait une perspective de négociations
en vue d¹un règlement définitif du conflit. Une victoire éclatante
lors d¹un référendum sur le soutien à ce document, initiative
annoncée de manière spectaculaire par Abbas dans le cadre des réunions
de "dialogue national", pourrait lui fournir l¹occasion
de créer une infrastructure politique en vue de constituer un
gouvernement d¹union nationale sur une base pragmatique.
D¹après un sondage téléphonique réalisé par un institut de
recherche américain en coopération avec un institut suisse, si
le référendum avait eu lieu cette semaine, la victoire d¹Abou
Mazen aurait été assurée. Les résultats de ce sondage, publiés
dans le quotidien de Jérusalem Est Al-Quds, indiquent que 85% des
personnes interrogées soutiennent cette initiative.
Résultat : le soutien au Fatah a bondi à 45%, soit 11% de plus
qu¹au sondage précédent, et le soutien au Hamas a baissé de
42% à 29%. Il existe des signes que, comme c¹était le cas pour
le parti des retraités en Israël, de nombreux électeurs du
Hamas ceux qui ont voulu protester contre le pouvoir du Fatah
n¹ont pas imaginé que leur vote puisse porter ce parti au
pouvoir.
Toujours d¹après le même sondage, l¹initiative du référendum
a déjà amélioré le statut de Mahmoud Abbas. Le président
jouit du soutien de 62%, contre 38% à Ismail Haniyeh (avant l¹initiative,
les chiffres étaient de 49% pour Haniyeh contre 51% pour Abbas).
Autre chiffre non moins important : la proposition de soumettre le
document à référendum recueille l¹adhésion de 81% de l¹opinion
chiffe avec lequel le groupe parlementaire du Hamas aurait du
mal à faire échouer la Loi du référendum national. Chez les
partisans du Fatah, le soutient approche les 95%, mais des 72% des
électeurs du Hamas et 71% des électeurs sans préférence
partisane se disent eux aussi intéressés par le référendum.
L¹idée de deux Etats sur la base des lignes de 1967 est soutenue
par 71% des personnes interrogées, et le soutien est plus
important dans la bande de Gaza qu¹en Cisjordanie. Ce qui semble
indiquer une corrélation directe entre la profondeur du désarroi
économique et le soutien à un accord politique.
Cela dit, le camp Abbas se garde de triompher prématurément. Le
Hamas n¹est pas encore tombé, et le Fatah ne s¹est pas encore
relevé de sa chute. A la Mouqata, on estime que la victoire au référendum,
inch¹ Allah, ne sera pas par KO, mais aux points. La grande
question est par quelle marge. On sait qu¹une faible
participation et une faible marge, sans même parler d¹une défaite,
feront le jeu du Hamas et hâteront la fin de Mahmoud Abbas.
D¹après la constitution, le jour où Mahmoud Abbas s¹en va, le
président du parlement, un homme du Hamas, assumera la fonction
pendant 60 jours, puis des élections seront organisées. Il est
peu probable que le Fatah, qui en 4 mois n¹a pas même commencé
à se remettre de sa défaite, aura le temps de se reprendre en 2
mois. L¹appareil de sécurité israélien, en tout cas, tient
compte de l¹éventualité que la présidence (dernier pont avec l¹Autorité
palestinienne) tombe elle aussi entre les mains du Hamas.
Cette crainte n¹a pas empêché quelqu¹un, au sein de l¹appareil
israélien de sécurité, de laisser filtrer une information sur
la décision de permettre aux forces de Mahmoud Abbas de s¹équiper
en armes et en munitions, et de le dépeindre en partenaire d¹Israël.
A Ramallah, les membres de la précédente administration se sont
frotté les yeux en voyant Amos Gilad, haut fonctionnaire du
ministère de la défense, expliquer à la télévision pourquoi
cette décision était essentielle pour la sécurité d¹Israël.
Car ils se souviennent qu¹à la veille du désengagement, quand l¹ancien
ministre de la défense Shaul Mofaz, dans un moment de
"faiblesse", avait envisagé la même chose, ce fut le même
Amos Gilad qui le renvoya sur les roses. Par ailleurs, les réserves
exprimées par Israël à propos du "Document", en le présentant
comme "extrémiste", servent en fait Mahmoud Abbas.
Les Américains étaient au parfum
Mahmoud Abbas peut être certain que le lendemain du référendum
; Olmert ne ratera pas l¹occasion de lui jeter à la figure les
paragraphes qui appellent à "s¹opposer à l¹occupation"
(principalement en Cisjordanie), ou d¹agiter les mots magiques
"droit au retour". Même Yossi Beilin (Meretz) a eu du
mal à avaler ces paragraphes. Mais vu sa situation, et vu surtout
la situation du Fatah, Abbas n¹ose pas toucher à l¹¦uvre délicate
tissée par le leader du Tanzim Marwan Barghouti et par Abdel
Khaleq al-Natshe, l¹important prisonnier du Hamas. En fait, ce
que dira Olmert ou la réaction de Bush ne compteront pas beaucoup
pour lui. Il n¹attend rien non plus de Javier Solana, de l¹Union
européenne. Le "Document des prisonniers" est
essentiellement à usage interne, et destiné à prendre le Hamas
à revers.
Si Ariel Sharon avait su que les prisonniers palestiniens allaient
un jour devenir ceux qui menaceraient de détruire le statut de
"pas de partenaire" qu¹il avait tant travaillé à
concevoir pour Mahmoud Abbas, il n¹aurait jamais donné l¹ordre
de permettre à Barghouti de tirer les ficelles politiques depuis
sa cellule de la prison de Hadarim. Et cela continue sous le
gouvernement Olmert, peut-être par simple inertie. Mais si le
nouveau ministre de la sécurité intérieure, Avi Dichter, avait
voulu empêcher l¹initiative des prisonniers, en tant qu¹ancien
chef du Shin Bet, il aurait su comment s¹y prendre.
On peut donc supposer que les amis de Dichter au Shin Bet ont
rapporté à Olmert que le président palestinien s¹est assuré
de mettre les Américains dans le secret. 24 heures avant de présenter
son ultimatum au Hamas concernant le référendum, Abbas
rencontrait le consul général américain à Jérusalem, Jack
Wallace. Il a informé le diplomate américain, qui a probablement
rendu compte immédiatement à Washington. Ses collègues du
Département d¹Etat ont recommandé aux journalistes américains
de ne pas se laisser emporter par la joie de leurs confrères israéliens
autour du "plan de convergence", ni par l¹accueil
enthousiaste du Congrès. Ils savent que l¹étiquette "il n¹y
a pas de partenaire" pour laquelle Sharon a travaillé si dur
pour en affubler Mahmoud Abbas est en danger.