Communiqué
Halte à l'instrumentalisation de
l'émotion :
Refusons la mascarade de l'unité
nationale
Front Uni des Immigrations et des
Quartiers Populaires
Samedi 10 janvier 2015
Le FUIQP a condamné immédiatement les
attentats de cette semaine. L’assassinat
n’est pas pour notre organisation une
forme d’action politique souhaitable,
légitime ou justifiable. Nous condamnons
tout aussi fermement la multiplication
des actes islamophobes (plus de 20
actions contre des lieux de cultes ou
des personnes ces trois derniers jours)
et l’instrumentalisation de l’émotion en
cours, qui prend comme nom « appel à
l’unité nationale » et comme slogan
« nous sommes tous Charlie ».
Nous ne pouvons pas et ne voulons pas
être Charlie
L’instrumentalisation de l’émotion
conduit à « mettre de l’huile sur le
feu », à multiplier les victimes d’actes
islamophobes, à soutenir ceux qui par
leurs politiques internationales
(participation à des guerres
impérialistes d’agression), leurs
politiques économiques (fragilisation
sans précédent des classes populaires)
et leurs politiques sociales (depuis la
loi sur le foulard de 2004, les mesures
islamophobes d’Etat se sont succédées).
L’unité nationale, pour sa part, vise à
offrir une caution aux choix politiques
qui se prendront en « notre nom » au
prétexte de nous protéger. Des appels à
un Patriot Act à la française se
font déjà entendre. Il s’agit ni plus ni
moins que d’obtenir un consentement à la
restriction de nos libertés
démocratiques, d’une part, et à rendre
légitime une répression ouverte contre
les récalcitrants. L’interdiction de
manifester son soutien au peuple
palestinien que le gouvernement
socialiste a prise cet été doit nous
servir d’avertissement. Les lourdes
condamnations qui ont suivi, dans un
silence médiatique assourdissant et sans
réaction importante des grandes
formations politiques, sont un autre
signal d’alerte que nous devons
entendre.
Enfin, au nom de l’unité
nationale, on voudrait nous faire
défiler avec des dirigeants israéliens
d’extrême droite coupables de crimes de
masses en Palestine.
Malgré l’atrocité de
l’attentat à Charlie Hebdo, nous
ne pouvons pas oublier tout ce qui nous
sépare de ce journal. Le faire serait
autoriser le déploiement encore plus
fort des idées de l’hebdomadaire que
nous payons déjà chèrement
quotidiennement.
Le slogan « nous sommes Charlie »
exige de nous, en effet, de nous
solidariser avec des propos qui ont
contribué à créer la situation
dangereuse actuelle. Nous ne voulons pas
être Charlie parce que nous combattons
et continuerons de combattre
l’islamophobie qu’a véhiculée cet
hebdomadaire. Nous ne voulons pas être
Charlie parce que nous nous sommes
toujours opposés, et nous continuerons à
le faire, aux guerres impérialistes,
alors que cet hebdomadaire a soutenu
toutes les guerres de l’OTAN. Nous ne
voulons pas être Charlie parce que nous
apprécions l’œuvre salutaire de Noam
Chomsky sur la contribution des grands
médias aux dominations contemporaines et
que l’ancien directeur de l’hebdomadaire
pense lui que « Chomsky et Ben Laden :
même combat ».
Sans parler des propos sexistes,
homophobes et de mépris des classes
populaires réduites à l’image du
« beauf », que véhicule l’hebdomadaire.
Nous refusons les politiques de la peur
La violence qui a tué aujourd’hui est le
résultat de plusieurs causes cumulées
qui ont déjà fait des millions de
victimes, victimes des guerres pour le
pétrole et le minerai, de l’islamophobie
d’Etat, de la précarisation et la
paupérisation des classes populaires,
des discriminations racistes, etc. C’est
pourquoi nous condamnons toutes celles
et ceux (classes dominantes en tête,
médias, politiques, « experts ») qui,
plutôt que de pousser à la réflexion sur
les causes, suscitent une « politique
de la peur » en amplifiant la
panique émotionnelle qui a suivi
l’attentat. Refusons ces logiques qui
(volontairement pour certains pyromanes
et inconsciemment pour d’autres)
conduisent à une « stratégie du choc »
par les classes dominantes qui ont
appris à tirer profit de tous les
drames. Tant de commentaires, de
directs, de discours et de réactions,
sans contribuer à augmenter notre
compréhension de la situation, des
causes et des effets. La condamnation
d’un acte barbare ne nous contraint pas
à nous soumettre à des idéologies qui
nous détruisent.
Refuser la politique de la peur, c’est
aujourd’hui refuser l’unanimisme
national que l’on nous propose/impose
politiquement et médiatiquement. Il n’y
a pas de « communauté nationale » qui
réunirait toutes les classes, pas plus
avant l’assassinat à Charlie Hebdo
qu’après (pas plus qu’il n’existe de
« communauté musulmane » unie et
homogène d’ailleurs). L’unité nationale
est un mythe visant à unir ceux qui
devraient être divisés (les classes
sociales aux intérêts divergents) et à
diviser ceux qui devraient être unis
(les classes populaires quelles que
soient leurs croyances ou non croyance).
On ne peut pas faire communauté
nationale lorsque la nation est divisée,
fracturée par des rapports inégalitaires
et des rapports de domination. La
société française ne créera jamais
d’appartenance ou de sentiment à la
nation à marche forcée sans poser la
question de la justice sociale et des
inégalités racistes, sexistes et de
classe.
Serrons-nous les coudes
Nous adressons enfin notre
soutien à celles et ceux qui, de toutes
origines et de toutes religions, tout en
condamnant l’acte terroriste, « ne sont
pas Charlie », n’ont pas participé à
la minute de silence, ni aux défilés, et
qui ont une boule au ventre depuis
l’attentat, extrêmement inquiets pour
eux ou leurs enfants, ou en colère, à la
fois contre les auteurs de l’attentat et
contre une mobilisation nationale
impulsée par en haut qui ne peut avoir
pour résultat que d’initier encore plus
une logique de « guerre civile » dont
les premiers résultats sont la vingtaine
d’agressions contre des lieux de culte
ou des concitoyens musulmans réels ou
supposés.
Nous appelons ceux qui ont sincèrement
été défiler pour défendre la « liberté
d’expression » ou pour refuser la
violence meurtrière, à prendre
rapidement du recul et à réfléchir aux
causes, conséquences et enjeux du
contexte actuel.
Nous les appelons à s’interroger
sur les bénéficiaires de la stratégie de
la tension qui se met en place et sur
ses conséquences : banaliser
l’islamophobie, produire une tension
permanente entre deux composantes de
notre société, limiter nos droits et nos
libertés « pour nous protéger »,
pénaliser l’antisionisme en le
présentant comme antisémitisme, empêcher
le développement de la contestation
sociale qu’appelle la fragilisation
sociale et économique des classes
populaires (et même des couches
moyennes).
N’ayons pas peur. Regroupons-nous. Organisons-nous.
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