Amnesty International
L'enquête de l'armée israélienne n'est pas crédible et ne peut
se substituer à des investigations indépendantes
Jeudi 23 avril 2009
L’armée israélienne doit rendre publics tous les éléments de
son enquête sur certaines des opérations militaires de
l’offensive menée durant vingt-deux jours dans la bande de
Gaza, a déclaré Amnesty International ce jeudi 23 avril, en
réaction aux conclusions de l’armée selon lesquelles les
militaires n’avaient pas commis de violations, mais
seulement quelques erreurs dont certaines pourraient avoir
entraîné la mort de civils palestiniens.
Aucune donnée précise ne figure dans le document distribué
aux journalistes par les Forces de défense d’Israël (FDI) le
22 avril, dans lequel il est indiqué que « toutes les
conclusions doivent être utilisées comme des éléments
d’information générale ne devant être attribués qu'au seul
journaliste ». Pour l’essentiel, ce document ne fait que
reprendre les thèses mises en avant à de multiples reprises
depuis le début de l’opération Plomb durci par l’armée et
les autorités israéliennes, qui n’ont pas fourni d’éléments
factuels à l’appui de celles-ci. Vous trouverez ci-après les
premières réactions d’Amnesty International concernant les
quelques cas spécifiques évoqués dans la synthèse produite
par l’armée.
Il y a une différence de taille entre le « très petit
nombre » d’erreurs mentionné dans le document des FDI et les
centaines de civils palestiniens non armés – dont
300 enfants environ – tués par l’armée israélienne. On ne
trouve dans la synthèse aucune tentative d'explication
concernant l'écrasante proportion de civils parmi les
victimes ou les destructions massives de bâtiments civils à
Gaza.
En l’absence de preuves permettant d’étayer les affirmations
qu'elle contient, l'enquête apparaît davantage comme une
tentative par laquelle l’armée cherche à se dérober à ses
responsabilités plutôt qu’un véritable mécanisme visant à
établir la vérité. Une telle approche n’est pas crédible.
Fondamentalement, ce n’est pas aux victimes de démontrer
qu’elles n’étaient pas impliquées dans des actions
combattantes, mais à ceux qui ont perpétré les
bombardements, les tirs d’artillerie et les autres attaques
de fournir la preuve que leurs frappes visaient
effectivement des cibles militaires légitimes. L’armée n’a
jusqu’à présent apporté aucune information de la sorte.
Il faut conduire une enquête exhaustive, indépendante et
impartiale sur les attaques, menées bien souvent en
violation du droit international humanitaire, qui ont fait
tant de morts et de blessés parmi la population civile et
provoqué des destructions massives. Pour que l’on sache
vraiment si les FDI ont agi, comme elles l'affirment, dans
le plein respect du droit international humanitaire, l’armée
israélienne doit fournir des informations précises et
détaillées sur les raisons qui l’ont conduite à choisir
telle ou telle cible et sur les moyens et les méthodes
employés lors des offensives. Les informations du document
de l’armée sont insuffisantes et contredisent en partie les
éléments recueillis, entre autres, par Amnesty
International.
L’organisation a demandé à plusieurs reprises depuis le
début de février à rencontrer des représentants de l'armée
israélienne afin d'évoquer avec eux ses préoccupations
concernant de possibles violations du droit international
humanitaire durant l’opération Plomb durci. Elle a également
transmis aux FDI une liste de questions et de cas sur
lesquels elle a sollicité des informations. Les FDI n’ont
pas à ce jour répondu à ces requêtes.
L’enquête menée par l'armée israélienne ne saurait remplacer
des investigations complètes, indépendantes et impartiales.
Amnesty International demande par conséquent aux autorités
israéliennes de revenir sur leur refus de coopérer avec la
mission d’établissement des faits créée par le Conseil des
droits de l’homme de l’ONU et dirigée par le magistrat
Richard Goldstone, qui entend bien enquêter sur les
violations du droit international commises à Gaza et dans le
sud d’Israël par toutes les parties au conflit.
Par ailleurs, Amnesty International appelle de nouveau le
Conseil de sécurité des Nations unies à mettre en place une
enquête internationale indépendante sur les crimes de guerre
et les autres atteintes aux droits humains qui auraient été
commis par toutes les parties.
Premières réactions d’Amnesty International concernant les
cas mentionnés dans le document de synthèse distribué par
l’armée israélienne
Évoquant l’incident qui s’est produit le 6 janvier près de
l’école de Fakhoura, gérée par l’Office de secours et de
travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine
dans le Proche-Orient (UNRWA) à Jabalia, le document de
l’armée indique que « les soldats ont riposté de façon
minimale et proportionnée, faisant usage des armes les plus
précises qu'ils avaient à leur disposition ». Les militaires
ont en réalité tiré au moins quatre obus de mortier dans une
rue très fréquentée. Les mortiers sont des armes pour
superficie étendue, qui ne peuvent être dirigées contre une
cible spécifique et ont une grande marge d’erreur. Dans une
zone à forte densité de population civile, il était
pratiquement certain que l’utilisation d’un dispositif dont
l'imprécision est notoire ferait des morts et des blessés
parmi celle-ci. Des telles armes n’auraient jamais dû être
utilisées. Alors que l’armée affirme que ces frappes ont tué
12 personnes au total – cinq combattants et sept civils –,
le nombre des victimes atteint en fait la trentaine – pour
la plupart des civils.
En ce qui concerne les tirs d’artillerie et l’utilisation de
phosphore blanc contre les bâtiments de l’UNRWA dans le
centre de la ville de Gaza le 15 janvier 2009, l’armée
affirme : « Des fragments de projectiles fumigènes ont
touché un entrepôt situé dans les locaux [de l’UNRWA]. » En
vérité, ce ne sont pas uniquement des fragments qui ont
atteint l’enceinte de l’organisation. Les chercheurs
d’Amnesty International ont vu plusieurs obus d'artillerie
au phosphore blanc qui avaient explosé là, de même qu’au
moins un engin hautement explosif. Amnesty International ne
met pas en doute les affirmations de l’armée selon
lesquelles les locaux de l'UNRWA n’étaient pas visés. Les
dispositifs d’artillerie sont en effet trop imprécis pour
être utilisés dans des tirs nécessitant un ciblage
rigoureux. Le problème qui se pose est celui de
l’utilisation illégale dans des zones très densément
peuplées d’un dispositif aussi imprécis, en particulier
d’obus contenant une substance aussi dangereuse que le
phosphore blanc.
Les militaires connaissant parfaitement la différence entre
armes de précision et armes pour superficie étendue, on ne
peut accorder une quelconque crédibilité aux affirmations
selon lesquelles « de telles conséquences ne pouvaient être
prévues ». L’artillerie n’est pas faite pour cibler des
objectifs précis, mais pour être utilisée sur des zones
étendues.
Cette partie du document de l’armée mentionne également la
« réserve pharmaceutique de la Croix-Rouge » du quartier Tal
al Hawa de la ville de Gaza (qui, en réalité, n’appartenait
pas à la Croix-Rouge mais à la Société palestinienne du
Croissant-Rouge), mais ne précise pas le type de munitions
utilisées par les forces israéliennes. Le bâtiment a en fait
été réduit en cendres, selon toute apparence après avoir été
touché par des munitions au phosphore blanc.
Le document de l’armée israélienne omet de signaler que, non
loin de là, des obus au phosphore blanc ont frappé, le
15 janvier 2009, l'hôpital al Quds géré par la Société du
Croissant-Rouge palestinien. La structure a dû être évacuée
en raison des incendies déclenchés par les bombardements.
Les chercheurs d’Amnesty International ont trouvé là encore
des éléments matériels attestant l'utilisation de telles
armes : un obus d’artillerie ayant servi à disperser le
phosphore blanc et des morceaux calcinés de cette substance.
En ce qui concerne l’utilisation du phosphore blanc dans les
zones densément peuplées, l’armée a affirmé que « les
munitions au phosphore n'ont pas été utilisées dans des
zones construites » et que les « morceaux de feutre
imprégnés de phosphore ne sont pas des éléments
incendiaires ». Rien ne saurait être davantage éloigné de la
réalité. Sur le terrain, les chercheurs de l’organisation
ont trouvé dans des zones habitées des centaines de morceaux
de feutre imprégnés de phosphore blanc, encore incandescents
des semaines après les attaques. Ils ont également découvert
partout dans Gaza des dizaines d’obus d'artillerie qui
avaient répandu le phosphore blanc. De nombreux documents
visuels (photos et films) montrent en outre des obus au
phosphore explosant au-dessus de zones d’habitation
densément peuplées et répandant une véritable pluie de cette
substance.
L’armée israélienne connaît parfaitement les dangers du
phosphore blanc pour les être humains. Des documents rédigés
durant l’opération Plomb durci par les services du
médecin-chef de l’armée et par l’état-major des opérations
médicales mentionnent certains de ses effets. Dans un
document signé par le colonel Gil Hirschorn, directeur du
département de traumatologie dans les services du
médecin-chef, on peut lire que « lorsque le phosphore entre
en contact avec les tissus cellulaires, il occasionne des
dommages par combustion des tissus. Les caractéristiques
d’une atteinte au phosphore sont : des brûlures chimiques
accompagnées d’une douleur vive, une destruction tissulaire
[…]. Le phosphore est susceptible de pénétrer dans le corps
et de causer des lésions à des organes internes. À terme,
une insuffisance rénale et des infections sont
caractéristiques. […]. En conclusion, les munitions
contenant du phosphore explosif impliquent forcément un
risque potentiel d’une importante destruction de
tissus[1]. »
Préparé par l’état-major des opérations médicales et envoyé
par le ministère de la Santé, un autre document, intitulé
Exposition au phosphore blanc, relève que « la plupart des
informations sur les atteintes provoquées par le phosphore
sont fondées sur des expériences effectuées sur des animaux
et sur des descriptions de cas d’accidents. […] De
nombreuses recherches effectuées en laboratoire montrent que
l’exposition au phosphore blanc est hautement toxique. Des
brûlures sur une surface du corps relativement petite – 12 à
15 % chez l’animal de laboratoire et moins de 10 % chez
l’homme – peuvent être mortelles du fait de ses incidences,
essentiellement sur le foie, le cœur et les reins[2] ».
Évoquant les « cas de tirs contre des centres, des
bâtiments, des véhicules ou des personnels médicaux », le
document de l’armée soutient que « le Hamas a
systématiquement utilisé des centres, des véhicules et des
uniformes médicaux pour couvrir des opérations
terroristes », mais n’avance pas le moindre élément de
preuve, ne serait-ce que pour un cas. Amnesty International
n’exclue pas que de telles pratiques aient pu exister, mais
n’a pas trouvé lors de ses recherches sur le terrain de
données indiquant que, si tel est le cas, elles aient eu un
caractère généralisé. On note en particulier que l'armée n’a
fourni ni information ni explication concernant plusieurs
incidents sur lesquels on dispose de nombreuses données,
dans lesquels des membres du personnel médical ou
paramédical ont été tués ou blessés par les FDI, notamment
par des frappes aériennes de précision et aussi lors d'une
attaque de blindé tirant des fléchettes. Aucune explication
n’a non plus été fournie concernant les nombreux cas dans
lesquels des soldats israéliens ont délibérément empêché les
services médicaux d'accéder aux blessés.
La partie du document de l’armée concernant les « cas dans
lesquels un grand nombre de civils non combattants ont été
touchés » manque cruellement d’informations précises. Il
mentionne uniquement quatre incidents dans lesquels une
cinquantaine de civils non armés au total ont été tués, mais
ne dit rien de la mort de centaines d’autres personnes,
parmi lesquelles quelque 300 enfants.
En ce qui concerne l’attaque de blindé perpétrée le
17 janvier 2009 à Jabalia (nord de Gaza) contre la maison
d’Abu al Eish, l’armée affirme que « les FDI ont repéré des
silhouettes suspectes au troisième étage, ce qui laissait
penser que des individus observaient les membres des FDI
afin d’orienter les tirs de combattants embusqués dans un
autre bâtiment. […] Le commandant régional a pris une série
de mesures pour s’assurer que les silhouettes suspectes
étaient des hommes armés », poursuit le document, qui
précise que « quatre femmes présentes dans la maison où se
trouvaient les guetteurs ont été touchées ». Il s’agissait
de trois des filles d’Abu al Eish et de l’une de ses nièces.
Trois étaient des enfants, la quatrième avait vingt et un
ans. On relève que l’armée ne donne pas la moindre preuve du
fait qu'il y avait effectivement des hommes armés ou des
guetteurs dans la maison d'Abu al Eish, pas plus qu'elle ne
fournit d'éléments attestant qu’elle avait « demandé au
docteur Abu al Eish de sortir de chez lui ».
En ce qui concerne le tir de missile contre un camion
transportant des bombonnes d’oxygène le 29 décembre 2008,
l’armée reconnaît avoir présumé à tort que le véhicule était
chargé de missiles Grad, mais affirme que, outre quatre
civils non combattants, « quatre agents du Hamas ont été
tués lors de l’attaque » et que « les bombonnes d’oxygène
que transportait le camion allaient probablement être
utilisées par le Hamas pour fabriquer des roquettes ».
L’armée ne fournit toutefois aucune preuve du fait que les
quatre morts étaient des combattants du Hamas, ni aucun
élément étayant ses affirmations sur l’usage supposé des
bombonnes d’oxygène.
De même, pour le cas du missile qui a frappé une école de
l’UNRWA du camp de réfugié d’Al Shati dans la nuit du 5 au
6 janvier 2009, tuant trois jeunes hommes présents près des
toilettes de l’établissement, l’armée indique que l’attaque
a été lancée « sur la base de soupçons et d’informations
précises recueillies par les services du renseignement ayant
permis de conclure que [ces jeunes] participaient à des
opérations terroristes ». L’armée ne donne toutefois aucune
preuve ni aucun autre élément à l’appui de ses allégations,
ni aucune information sur la façon dont les soupçons ayant
motivé l’attaque ont été vérifiés.
Enfin, la partie du document de l’armée relative aux
dommages causés aux infrastructures et à la destruction de
bâtiments par les forces terrestres ne contient que des
propos d’ordre général et ne détaille même pas l’unique cas
sur lequel elle dit avoir mené une enquête. L’armée affirme
que « dans l'ensemble, l'ampleur des dommages causés aux
bâtiments est le résultat direct de l'utilisation par le
Hamas de ces édifices, à des fins terroristes et pour
attaquer les FDI », mais ne propose là encore aucune preuve
de ses dires. Amnesty International ne conteste pas que
certains des bâtiments détruits aient pu contenir des armes
et des explosifs ou être piégés par des groupes armés
palestiniens. De tels cas – de même que les attaques ciblées
contre des objectifs militaires légitimes et les dommages
causés incidemment par ces attaques ou lors d’affrontements
armés – ne représentent toutefois qu'une petite proportion
des destructions massives.
Les seules traces d’explosifs trouvées par les chercheurs
d’Amnesty International dans des bâtiments détruits sont des
restes de mines israéliennes, présentant des inscriptions et
des mots en hébreu qui les identifient clairement comme
telles. Dans certains cas, en outre, les soldats israéliens
ont détruit les maisons dont ils avaient pris le contrôle et
qu’ils avaient utilisées pour leurs opérations militaires.
Les cas de vandalisme ont été fréquents : murs couverts de
graffitis injurieux et menaçants, meubles et autres biens
délibérément brisés et souillés. Au moment de quitter les
lieux, les soldats israéliens ont souvent laissé des
excréments partout, de même que d’autres traces de leur
passage : boîtes de munitions, munitions utilisées, rations
alimentaires, trousses médicales, équipements divers,
exemplaires du magazine de l’armée Bmakhane et feuillets de
prière en hébreu.
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