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mars 2006
Index AI : MDE 15/025/2006
DÉCLARATION PUBLIQUE
Amnesty International craint que les résidents palestiniens de la
bande de Gaza ne risquent de subir une crise humanitaire, en
raison de la fermeture prolongée par les autorités israéliennes
du seul point de passage de marchandises de la bande de Gaza.
Cette situation a déjà entraîné des pénuries de nourriture et
autres produits de première nécessité, provoquant notamment un
rationnement du pain sans précédent, et risque d’avoir des
conséquences catastrophiques pour les 1 300 000 Palestiniens qui
vivent dans la bande de Gaza, et pour leur accès aux droits
fondamentaux.
La farine et autres réserves de nourriture diminuent
progressivement, car les autorités israéliennes maintiennent la
plupart du temps la fermeture du point de passage de Karni/Muntar
entre la bande de Gaza et Israël, et ce depuis le début de
l’année. Le blocage prolongé de ce point de passage par
l’armée israélienne a également mis un terme à
l’exportation de produits palestiniens, pour la plupart des denrées
périssables qui se gâtent, privant les Palestiniens d’une
source essentielle de revenus et accroissant le taux de pauvreté
déjà élevé de la bande de Gaza.
Selon des responsables de l’aide des Nations unies, la réouverture
limitée du passage de Karni/Muntar et l’ouverture du point de
Kerem Shalom ces deux derniers jours n’ont pour l’instant pas
suffi à atténuer la crise, et il faut prendre d’urgence des
mesures plus importantes pour réagir à cette situation.
L’économie de la bande de Gaza est touchée à une période
particulièrement sensible, ayant été grandement affaiblie au
cours des cinq dernières années et demi : l’armée israélienne
a détruit des milliers de domiciles, de vastes zones agricoles,
d’infrastructures et d’équipements publics palestiniens.
Parallèlement, l’aide internationale à l’Autorité
palestinienne diminue à présent, après la récente victoire électorale
du Hamas.
Pour justifier la fermeture prolongée du point de transit, les
autorités israéliennes font état de problèmes de sécurité,
notamment le risque d’attentats par des groupes armés
palestiniens. Ces groupes ont fréquemment mené des attentats et
autres attaques contre des Israéliens, comme un attentat au point
de transit de Karni/Muntar le 13 janvier 2005, qui a tué six Israéliens
et blessé cinq autres.
Selon l’armée israélienne, les groupes armés palestiniens
auraient peut-être creusé des tunnels sous Karni/Muntar. Il y a
quelques semaines, l’armée israélienne a demandé à l’Autorité
palestinienne de creuser plusieurs tranchées autour du point de
transit pour trouver des tunnels. Cependant, à ce jour, les
tranchées creusées par les forces de sécurité de l’Autorité
palestinienne n’ont révélé aucun tunnel.
Aux termes du droit international, Israël, en tant que puissance
occupante exerçant un contrôle de fait sur la bande de Gaza,
demeure responsable du bien-être de la population palestinienne
vivant dans cette zone. Israël a le droit de prendre des mesures
pour protéger la vie de ses citoyens. Cependant, ce pays ne doit
pas imposer de restrictions générales et de mesures draconiennes
qui ne seraient pas proportionnées, ciblées et strictement nécessaires.
De telles mesures ont de graves conséquences sur la vie de
centaines de milliers de Palestiniens qui n’ont commis aucune
infraction, et peuvent constituer une forme de châtiment
collectif, en violation de l’article 33 de la Quatrième
Convention de Genève et d’un principe fondamental des droits
humains.
Après la victoire électorale du Hamas en janvier, les autorités
israéliennes ont indiqué qu’elles avaient l’intention de
durcir les restrictions imposées aux Palestiniens. À la mi-février,
le gouvernement israélien a annoncé qu’il cesserait de
reverser les droits de douane qu’il perçoit au nom de l’Autorité
palestinienne. Dov Weisglass, conseiller du Premier ministre israélien,
a été cité par les médias israéliens comme comparant le siège
économique planifié de l’autorité palestinienne à un régime
« qui fera beaucoup maigrir les Palestiniens, mais sans
les tuer. »
Amnesty International demande aux autorités israéliennes :
- De
faire en sorte que les mesures prises pour organiser l’entrée
et la sortie des marchandises de la bande de Gaza respectent les
droits humains de la population palestinienne.
- De lever toutes les restrictions à la circulation
des personnes et des biens qui constituent un châtiment
collectif, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour
que les Palestiniens de la bande de Gaza et du reste des
Territoires occupés puissent mener une vie aussi normale que
possible.
- De n’imposer aucune restriction à la circulation
des Palestiniens et des biens sauf pour répondre à une menace
sécuritaire spécifique, de manière ciblée, proportionnée et
pour une durée limitée.
- De faire en sorte que les éventuelles restrictions
imposées ne nuisent pas à la liberté de circulation, et ne
violent pas le droit à un niveau de vie adéquat - notamment à
un accès correct à la nourriture, au logement et à
l’habillement. Les restrictions ne doivent pas non plus violer
d’autres droits humains des Palestiniens, notamment leur droit
au travail, à l’éducation et au meilleur niveau de santé
possible.
Amnesty International demande à toutes les Hautes parties
contractantes aux Conventions de Genève de demander à Israël de
respecter ses obligations de puissance occupante, et de prendre
des mesures immédiates pour répondre à la crise humanitaire
dans la bande de Gaza.
Amnesty International renouvelle sa demande aux groupes armés
palestiniens de cesser immédiatement les attaques non ciblées et
délibérées contre les civils israéliens. Ces attaques sont
interdites en tous temps et toutes circonstances.
Amnesty International renouvelle sa demande à l’Autorité
palestinienne pour qu’elle fasse tout son possible pour prévenir
et empêcher de telles attaques par des groupes armés
palestiniens, et qu’elle enquête sur toutes les attaques ou
tentatives d’attaques, et en traduise les responsables en
justice, y compris les responsables d’attaques passées.
Contexte
Les autorités israéliennes soutiennent que l’occupation de
la bande de Gaza par Israël a cessé en septembre 2005, lorsque
les troupes israéliennes se sont retirées de cette zone, et
qu’en conséquence, Israël n’est plus lié par ses
obligations de puissance occupante définies par le droit
international, en ce qui concerne la bande de Gaza.
Cependant, Israël continue de contrôler tous les points d’entrée
et de sortie de la bande de Gaza ainsi que ses eaux territoriales
et son espace aérien. Israël ne permet pas à la bande de Gaza
d’avoir un port maritime, a détruit l’aéroport de Gaza en
2001 et ne permet aux marchandises d’entrer ou de quitter Gaza
que par Israël. Les résidents palestiniens de la bande de Gaza
ont la permission de franchir à pied la frontière entre la bande
de Gaza et l’Égypte via le point de transit de Rafah, administré
par la Mission d’assistance frontalière de l’Union européenne
à Rafah, mais les étrangers doivent passer par Israël pour
entrer ou sortir de la bande de Gaza.
Israël, qui maintient donc un contrôle de fait sur la bande de
Gaza, reste lié à ses obligations de puissance occupante, comme
le stipule la Quatrième Convention de Genève. Cette Convention
(article 33) interdit le châtiment collectif des personnes protégées :
« Aucune personne protégée ne peut être punie pour une
infraction qu’elle n’a pas commise personnellement. Les peines
collectives, de même que toute mesure d’intimidation ou de
terrorisme, sont interdites. Le pillage est interdit. Les mesures
de représailles à l’égard des personnes protégées et de
leurs biens sont interdites. » Selon l’article 55 de
la Quatrième Convention de Genève :
« Dans toute
la mesure de ses moyens, la Puissance occupante a le devoir
d’assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en
produits médicaux ; elle devra notamment importer les
vivres, les fournitures médicales et tout autre article nécessaire
lorsque les ressources du territoire occupé seront insuffisantes. »
En outre, l’article 59 précise :
« Lorsque la
population d’un territoire occupé ou une partie de celle-ci est
insuffisamment approvisionnée, la Puissance occupante acceptera
les actions de secours faites en faveur de cette population et les
facilitera dans toute la mesure de ses moyens. »
Israël est également contraint par ses obligations d’État
partie au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels - notamment l’article 11, qui affirme le
droit de tous à un niveau de vie adéquat, notamment un niveau de
vie suffisant, y compris une nourriture, un habillement et un
logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante des
conditions d’existence, et l’article 12, qui affirme le droit
qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé
physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.
Les procédures et délais très longs du point de passage de
Karni/Muntar ont accru de manière importante le coût de
l’import/export et les fermetures fréquentes ont encore aggravé
la situation : certains produits s’abîment ou se gâtent,
et les négociants palestiniens perdent des parts du marché à
l’exportation, parce qu’ils ne peuvent garantir l’expédition
de leurs marchandises à leurs clients.
La communauté internationale, notamment les Nations unies et l’Union
européenne, exprime depuis des années son inquiétude devant les
conséquences désastreuses pour l’économie palestinienne de la
politique israélienne de fermetures imposées et de restrictions
strictes des déplacements dans les Territoires occupés. En 2003,
la Banque mondiale remarquait que la cause prochaine de la crise
économique palestinienne était la fermeture [
1].
La libre circulation des personnes et des biens est un élément
essentiel d’une économie efficace, en particulier une économie
jeune qui tente de se développer et de s’établir dans un
contexte de dépendance lié à quatre décennies d’occupation.
Dans la bande de Gaza, le chômage frappe la moitié de la
population active, et les deux tiers environ de la population
vivent dans la pauvreté et dépendent de l’aide internationale.
Tant qu’Israël continuera à imposer des restrictions à la
circulation des personnes et des biens, les Palestiniens
n’auront guère l’espoir d’un avenir meilleur.
Ces dernières semaines, Israël a voulu imposer de nouvelles
dispositions, selon lesquelles les marchandises à destination ou
provenant de la bande de Gaza doivent passer par le point de Kerem
Shalom, près de la pointe sud-est de la bande de Gaza. Selon le
Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires
humanitaires (OCHA), ce point de transit ne possède qu’une
partie de la capacité de Karni/Muntar, et n’est pas équipé
pour les tonnages importants nécessaires à la bande de Gaza [
2].
En outre, l’utilisation de Kerem Shalom entraînerait un détour
de plusieurs kilomètres tant du côté israélien que
palestinien, augmentant encore le coût du transport pour les
Palestiniens.
[
1]
Twenty-seven months - Intifada, Closures and Palestinian
Economic Crisis : An assessment, Banque mondiale, mai
2003
[
2]
Gaza Strip Situation Report ;
The Humanitarian Impact of the Karni Crossing Closure : Bread
running out in Gaza, OCHA, 19 mars 2006