Bulletin
Au fil des jours et des lectures
n° 213
COMAGUER
Jeudi 8 mars 2018
http://comaguer.over-blog.com
L’arrivée à la
présidence de l’Afrique du Sud du
milliardaire et ancien syndicaliste
Cyril Raphamosa vient de rappeler assez
cruellement que la direction politique
du pays par l’ANC depuis 1994 n’a pas
modifié profondément les rapports de
classe dans ce pays et que les
revendications de transformation sociale
portées par les combattants de la lutte
anti-apartheid sont restées lettre morte
.
Il nous a paru, à
cette occasion, intéressant de traduire
le texte d’un discours du
grand journaliste australien JOHN
PILGER prononcé en 2014 en Afrique du
Sud. Il a prononcé en Novembre 2017 un
discours très semblable avec les mêmes
précisions sur l’histoire interne de
l’ANC mais dont le texte n’a pas été
transcrit (pour les anglophones la vidéo
de la conférence de 2017
est disponible sur
-
https://cdnapisec.kaltura.com/index.php/extwidget/preview/partner_id/
1054541/uiconf_id/28132631/entry_id/1_ssfvxw4t/embed/dynamic
- JOHN PILGER s’y
exprime très clairement et très
posément).
PILGER décrit bien
le moment historique précis – les années
85 - où l’apartheid devient un obstacle
au développement du capitalisme
sud-africain qui a été protégé sans
relâche par le grand capital étasunien
et à son insertion dans le mouvement
général de néo libéralisation de
l’économie mondiale (années REAGAN
THATCHER) qui sera matérialisé par la
chute de l’URSS.
Le Parti communiste
sud-africain allié historique de l’ANC
ne s’opposera pas à l’évolution de
l’ANC. Il est vrai qu’à l’époque le
mouvement communiste international est
dans un très grand état de faiblesse.
Malgré ce, à l’inverse de Mandela et de
Ramaphosa, Chris Hani le dirigeant du PC
sud africain sera assassiné dés sa
sortie de prison.
George Soros plus
tard affirmera que l’ANC au pouvoir a
fait rentrer l’Afrique du Sud dans
l’économie de marché, « elle est
maintenant entre les mains du capital
international ».
Afrique du
Sud : 20 ans d'apartheid sous un autre
nom - 13 avril 2014
Sur mon mur à
Londres est ma photo préférée de
l'Afrique du Sud. Toujours fascinant à
voir, cette image de Paul Weinberg où
une femme seule debout entre deux
véhicules blindés, les infâmes "hippos",
qui roulaient dans Soweto. Ses bras sont
levés, poings serrés, son corps mince
attirant à la fois l’attention et
défiant l'ennemi.
C'était le premier
mai 1985, le dernier grand soulèvement
contre l'apartheid avait
commencé. Douze ans plus tard,
mes trente ans d'interdiction d’Afrique
du Sud enfin levés, j’eus un pincement
de cœur au moment de débarquer à
l’aéroport Jan Smuts quand je tendis mon
passeport à l'agent de l'immigration
noire. "Bienvenue dans notre pays",
dit-elle.
J'ai rapidement
découvert qu'une grande partie de
l'esprit de la résistance incarné
dans cette femme courageuse de
Soweto avait survécu, avec un ubuntu*
qui a appelé l'ensemble de l'humanité
africaine, la générosité et
l'ingéniosité politique - par exemple,
dans la résolution digne de ceux que je
regardais former un mur humain autour de
la maison d'une veuve menacée d’être
privée d’électricité, et leur refus des
"maisons RDP" qu'ils ont appelées
"cages" ; et dans les manifestations de
masse palpitantes des mouvements sociaux
qui sont parmi les plus sophistiqués et
dynamiques dans le monde.
Au vingtième
anniversaire du premier vote
démocratique le 27 avril 1994, c'est
cette résistance, cette force de la
justice et du vrai progrès démocratique,
qui devrait être célébrée, alors que sa
trahison et son gaspillage devraient
être compris et susciter une réaction.
Le 11 février 1990,
Nelson Mandela est sorti sur le balcon
de l'Hôtel de Ville du Cap avec le
leader des mineurs Cyril Ramaphosa qui
le soutenait. Enfin libre, il a parlé à
des millions de personnes en Afrique du
Sud et dans le monde. C'était le moment,
une fraction de seconde aussi rare et
puissante que n'importe quelle autre
dans le combat universel pour la
liberté. Il semblait que la Puissance
morale et la puissance de la justice
pouvaient triompher de tout, de toute
orthodoxie. "C'est le moment
d'intensifier la lutte", a déclaré
Mandela dans un discours fier et
mordant, peut-être son meilleur, ou le
dernier de ses meilleurs discours.
Le jour suivant, il
apparut comme se corrigeant
lui-même. La règle de la majorité ne
ferait pas des noirs des "dominants". Le
recul s'est accéléré. Il n'y aurait pas
de propriété publique ni des mines ni
des banques ni des monopoles industriels
rapaces, pas de démocratie économique,
comme il l'avait promis avec les mots :
"un changement ou modification de notre
point de vue à cet égard est
inconcevable".
Rassurant
l'establishment blanc et ses alliés
étrangers dans les affaires, la
véritable orthodoxie et le copinage qui
avaient construit, entretenu et renforcé
l'apartheid fasciste, sont devenus le
programme politique
de la "nouvelle" Afrique du Sud.
Des accords secrets
ont facilité cette évolution. En 1985,
l'apartheid avait subi deux catastrophes
: la bourse de Johannesburg s'était
effondrée et le régime ne pouvait plus
rembourser sa
dette étrangère. En septembre de
la même année, un groupe dirigé par
Gavin Relly, président de l'Anglo-American
Corporation, a rencontré Oliver Tambo,
président de l'ANC, et d'autres agents
de la guerre de
libération dans la région de Mfuwe en
Zambie.
Le message de Relly
était qu'une "transition" de l'apartheid
à une démocratie électorale noire
n'était possible que si "l’ordre " et
"la stabilité" étaient garantis. C'était
le code libéral pour un État capitaliste
dans lequel la démocratie sociale et
économique ne serait jamais une
priorité. L'objectif était de diviser
l'ANC entre les "modérés" avec qui ils
pouvaient "faire affaire " (Tambo,
Mandela et Thabo Mbeki) et la majorité
qui composait l'United Democratic Front
(Front Uni Démocratique-FUD) et se
battait dans les rues.
La trahison du FUD
et de ses composantes les plus
efficaces, telles que l'Organisation
Civique Nationale, est aujourd'hui une
histoire secrète poignante.
Entre 1987 et 1990,
l'ANC dirigé par Mbeki a rencontré une
vingtaine de membres éminents de l'élite
afrikaner à un château près de Bath, en
Angleterre. Autour de la cheminée à
Mells Park House, ils buvaient du vin
millésimé et du whisky de malt. Ils
blaguaient en mangeant du raisin
"illégal", d'Afrique du Sud, alors
soumis à un boycott mondial, "c'est un
monde civilisé », se rappelle
Terreblanche Mof agent de change, et ami
de F.W. De Klerk. "Si vous prenez un
verre avec quelqu'un... et encore un
autre… cela apporte de la compréhension.
Vraiment, nous sommes devenus amis."
Ces réunions
conviviales ont été si secrètes que
personne à l’exception d’un petit nombre
de dirigeants de l'ANC n’en connaissait
l'existence. Les premiers à évoluer
furent ceux qui ont profité de
l’apartheid, comme le géant minier
britannique Consolidated Goldfields, qui
régla l’addition à Mells Park House. Le
point le plus important discuté autour
de la cheminée était de savoir qui
contrôlerait le système économique
derrière la façade de la "démocratie".
Dans le même temps,
Mandela menait ses propres négociations
secrètes dans la prison de Pollsmoor.
Son principal contact était Neil
Barnard, un vrai apôtre de
l'apartheid qui a dirigé le
Service national de renseignement. Des
confidences furent échangées,
des garanties recherchées. Mandela a
téléphoné à P.W. Botha pour son
anniversaire ; le Groot Krokodil l’a
invité à prendre le thé et, comme
Mandela l’a noté, il a lui même servi le
thé à son prisonnier. "Je suis sorti » a
déclaré Mandela, « avec le sentiment que
j'avais rencontré un créatif, un chef
d’état chaleureux qui m'a traité avec
tout le respect et la dignité que je
pouvais attendre."
C'était cet homme
qui, comme Verwoerd et Vorster avant
lui, avait envoyé toute une nation
africaine dans un goulag vicieux qui
était caché du reste du monde. La
plupart des victimes ont été privées de
justice et de reconnaissance pour cet
énorme crime d'apartheid. Presque tous
les verkramptes - comme les extrémistes,
« créatifs et chaleureux » comme Botha –
ont échappé à la justice.
Quelle ironie que
ce soit Botha dans les années 80 -bien
avant l'ANC une décennie plus tard- qui
ait démantelé l'échafaudage de
l’apartheid racial et, surtout, ait
organisé la promotion d'un classe de
noirs riches qui jouent le rôle sur
lequel Frantz Fanon
avait mis en garde comme une "ligne de
transmission entre la nation et un
capitalisme rampant bien camouflé ".
Dans les années
1980, des magazines comme EBONY, TRIBUTE
et ENTERPRISE ont célébré les
"aspirations" d'une bourgeoisie noire
dont les deux maisons de Soweto ont été
incluses dans les visites pour les
étrangers que le régime visait à
impressionner. "C'est notre classe
moyenne noire," disaient les guides ;
mais il n'y a pas de classe moyenne :
simplement une classe tampon en cours de
préparation, comme Fanon a écrit, pour
"sa mission historique". C'est la même
aujourd'hui.
Le régime Botha a
même offert aux hommes d'affaires noirs
de généreux prêts de la Société de
développement industriel. Ceci leur a
permis de créer des sociétés en dehors
des "bantoustans". De cette façon, une
société noire, tels que NEW AFRICA
INVESTMENTS a pu acheter une partie de
METROPOLITAN LIFE. En une décennie,
Cyril Ramaphosa a été vice-président de
ce qui était en fait une création de
l'apartheid. Il est aujourd'hui un des
hommes les plus riches du monde.
La transition a
été, en un sens, sans couture. "Vous
pouvez mettre là-dessus l’étiquette qui
vous plait," m’a dit le président
Mandela à Groote Schur. "Vous pouvez
appeler ça thatchérisme, mais pour ce
pays, la privatisation est la politique
fondamentale."
"C'est le contraire
de ce que vous avez dit avant les
premières élections, en 1994," dis-je.
"Il y a un
processus," fut sa réponse incertaine "
et chaque processus intègre du
changement."
Mandela reflétait
simplement l’opinion de l'ANC -qui
ressemblait à un culte obsessionnel. Il
y avait tous ces pèlerinages de l'ANC à
la Banque mondiale et au FMI à
Washington, toutes les "présentations" à
Davos, toutes ces invitations au G-8,
tous les conseillers et consultants
étrangers qui vont et viennent, tous ces
pseudo-rapports universitaires avec leur
jargon "néolibéral" et leurs acronymes.
Pour reprendre l’expression de
l'écrivain comique Larry David, "un flot
de babillage
trompeur" a englouti les premiers
gouvernements de l'ANC, et en
particulier ses ministères des finances.
En mettant de côté
pour un moment l'enrichissement bien
connu des notables de l'ANC et les
profits des trafics d'armes, l'analyste
de l'Afrique Peter Robbins avait un
point de vue intéressant sur ce sujet.
"Je pense que la direction de l'ANC
avait honte que la plupart des membres
de leur peuple vivent dans le
tiers-monde, écrit-il. "Ils n'aiment pas
se penser eux-mêmes comme étant
essentiellement une économie de style
africain. Ainsi l'apartheid économique a
remplacé l'apartheid juridique avec les
mêmes conséquences pour les mêmes
personnes, mais il est accueilli comme
l'une des plus grandes réussites de
l'histoire du monde."
La Commission
Vérité et Réconciliation de Desmond Tutu
a masqué cette réalité, en un temps très
court lorsque les sociétés par actions
ont été appelées au confessionnal. Ces
audiences des «institutions» ont été
parmi les plus importantes, mais aucune
ne fut condamnée. Représentant les
membres les plus voraces, les plus
impitoyables, les plus rentables et les
plus meurtriers de l'industrie mondiale,
la Chambre de commerce des mines
sud-africaines (South African Chamber of
Mines) a résumé un siècle d'exploitation
en six pages et demi dérisoires. Il n'y
eut pas d'excuses
pour les territoires de l'Afrique du Sud
transformés en l'équivalent de
Tchernobyl. Il n'y eut aucune promesse
de compensation pour les innombrables
hommes et leurs familles touchés par les
maladies professionnelles comme la
silicose et le mésothéliome. Beaucoup ne
pouvaient pas se payer une bouteille
d'oxygène ; beaucoup de familles ne
pouvaient pas payer un enterrement.
Dans un accent
digne de l'époque du casque à pointe,
Julien Ogilvie-Thompson, l'ancien
président de l’ANGLO AMERICAN a déclaré
: "Bien sûr, personne ne veut pénaliser
le succès." Ceux qui l'écoutaient
étaient d'anciens mineurs qui pouvaient
à peine respirer.
Les gouvernements
de la libération peuvent montrer des
réalisations vraies et durables depuis
1994. Mais la plus élémentaire liberté,
celle de survivre et de survivre
décemment, n’a pas été accordée à la
majorité des Sud-Africains, qui sont
conscients que si l'ANC avait investi en
eux et dans leur "économie informelle",
ils auraient pu effectivement
transformer la vie de millions d’entre
eux. La terre pourrait avoir été achetée
et remise en état par des dépossédés
pour une agriculture à petite échelle,
exécutée dans l'esprit de collaboration
de l'agriculture africaine. Des millions
de logements auraient pu être
construits, un meilleur système de santé
et une meilleure éducation auraient été
possibles. Un système de crédit à petite
échelle aurait pu ouvrir la voie à des
biens et services abordables pour la
majorité. Rien de cela n'aurait
nécessité l'importation d'équipements ou
de matières premières, et
l'investissement aurait créé des
millions d'emplois. En devenant plus
prospères, les collectivités auraient
développé leurs propres industries et
une économie nationale indépendante.
Un rêve ?
L'inégalité brutale qui aujourd’hui
caractérise l'Afrique du Sud n'est pas
un rêve. C'est Mandela, après tout, qui
a dit, "si l’ANC ne fournit pas les
biens, le peuple doit faire ce qu'il a
fait au régime de l'apartheid."
* Le mot
ubuntu, issu de
langues bantoues du
sud de l’Afrique, désigne
une notion proche des concepts d’humanité
et de
fraternité. En
Afrique du Sud, ce terme a
été employé, notamment par les prix
Nobel de la paix
Nelson Mandela et
Desmond Tutu, pour
dépeindre un idéal de société opposé à
la ségrégation durant l’Apartheid,
puis pour promouvoir la
réconciliation nationale.
Source wikipedia.
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