Un appel
lancé par d'anciens hauts fonctionnaires
de l'ONU
"Plaidoyer pour la
paix en Syrie"
Lundi 2 septembre 2013
Les bruits de bottes se font
entendre une nouvelle fois au Moyen
Orient, avec la possibilité d’une
attaque imminente sur la Syrie,
suite aux allégations d’usage
d’armes chimiques par son
gouvernement. C’est précisément dans
des temps de crise comme ceux-ci que
les arguments en faveur de la paix
sont les plus clairs et les plus
évidents.
Tout d’abord, nous n’avons pas de
véritables preuves de l’usage des
armes chimiques par le gouvernement
syrien. Et même si des preuves
étaient fournies par des
gouvernements occidentaux, il y a
lieu de rester sceptiques, en se
souvenant de tous les prétextes
discutables ou fabriqués utilisés
pour justifier les guerres
antérieures ; l’incident du Golfe du
Tonkin et la guerre du Vietnam, les
couveuses koweitiennes et la
première guerre du Golfe, le
massacre de Racak et la guerre du
Kosovo, les armes de destruction
massive irakiennes et la deuxième
guerre du Golfe, les menaces sur
Benghazi et la guerre de Libye.
Notons aussi que certaines preuves
de l’usage d’armes chimiques sont
fournies aux Etats-Unis par les
services de renseignement
israéliens, qui ne sont pas une
source tout-à-fait neutre.
Même si, cette fois-ci, les preuves
sont authentiques, cela ne
légitimerait en aucune façon une
quelconque action unilatérale. Toute
action militaire nécessite l’aval du
Conseil de sécurité de l’ONU. Ceux
qui se plaignent de « l’inaction »
de ce Conseil devraient se rappeler
que l’opposition de la Chine et de
la Russie à une intervention en
Syrie est en partie motivée par
l’abus par les puissances
occidentales des résolutions sur la
Libye, de façon à opérer un
« changement de régime » dans ce
pays. Ce qu’on appelle en Occident
la « communauté internationale »,
prête à attaquer la Syrie, est
réduite à essentiellement à deux
pays importants (Etats-Unis et
France), sur les presque deux cents
pays au monde. Aucun respect du
droit international n’est possible
sans un minimum de respect pour ce
qu’il y a de décent dans les
opinions du reste du monde.
Même si une action militaire était
autorisée et menée, que
pourrait-elle accomplir ? Personne
ne peut sérieusement contrôler des
armes chimiques sans troupes au sol,
option que nul ne considère comme
réaliste après les désastres en Irak
et en Afghanistan. L’Occident n’a
pas réellement d’allié fiable en
Syrie. Les jihadistes qui combattent
le gouvernement n’ont pas plus
d’amour pour l’Occident que ceux qui
ont assassiné l’ambassadeur
américain en Libye. C’est une chose
d’accepter de l’argent et des armes
venant d’un pays donné, une toute
autre d’être son véritable allié.
Les gouvernements syriens, iraniens
et russes ont fait des offres de
négociations qui ont été traitées
par le mépris en Occident. Ceux qui
disent « nous ne pouvons pas parler
ou négocier avec Assad » oublient
qu’on a dit la même chose du FLN
algérien, d’Ho chi Minh, de Mao, de
l’URSS, de l’OLP, de l’IRA, de
l’ETA, de Mandela et de l’ANC, ainsi
que de plusieurs guérillas en
Amérique Latine. La question n’est
pas de savoir si on va parler à
l’adversaire, mais après combien de
morts inutiles on va accepter de le
faire. L’époque où les Etats-Unis et
les quelques alliés qui leur restent
agissaient comme gendarme du monde
est révolue. Le monde devient plus
multipolaire, et les peuples du
monde veulent plus de souveraineté,
pas moins.
La plus grande transformation
sociale du vingtième siècle a été la
décolonisation et l’Occident doit
s’adapter face au fait qu’il n’a ni
le droit ni les compétences ni les
moyens pour gouverner le monde.
Il n’y a pas d’endroit où la
stratégie de guerre permanente a
échoué plus misérablement qu’au
Moyen-Orient. A long terme, le
renversement de Mossadegh en Iran,
l’aventure du canal de Suez, les
nombreuses guerres israéliennes, les
deux guerres du Golfe, les menaces
et sanctions d’abord contre l’Irak,
ensuite contre l’Iran, n’ont rien
accompli d’autre qu’augmenter le
sang versé, la haine et le chaos. La
Syrie ne peut être qu’un nouvel
échec occidental sans un changement
radical de politique.
Le véritable courage ne consiste pas
à envoyer des missiles de croisière
pour exhiber une puissance militaire
qui devient de plus en plus
inefficace. Le véritable courage
consiste à rompre radicalement avec
cette logique mortifère : obliger
Israel à négocier de bonne foi avec
les Palestiniens, convoquer la
conférence Genève II sur la Syrie,
et discuter avec les Iraniens de
leur programme nucléaire, en prenant
honnêtement en compte les intérêts
légitimes de l’Iran en matière de
sécurité et d’économie.
Le vote récent contre la guerre au
parlement britannique, ainsi que les
réactions sur les médias sociaux,
reflètent un changement massif de
l’opinion publique. Nous,
Occidentaux, sommes fatigués des
guerres et nous sommes prêts à
rejoindre la véritable communauté
internationale, en exigeant un monde
fondé sur la Charte de l’ONU, la
démilitarisation, le respect de la
souveraineté nationale et l’égalité
de toutes les nations.
Les peuples en Occident veulent
aussi exercer leur droit à
l’auto-détermination : si des
guerres doivent être menées, elles
doivent l’être après un débat ouvert
et en tenant compte de
préoccupations affectant directement
notre sécurité, et non sur une
notion mal définie de « droit
d’ingérence », qui peut être
aisément manipulée et qui est
ouverte à tous les abus.
Il nous reste à forcer nos hommes et
femmes politiques à respecter ce
droit.
Signataires :
Hans-Christof
von Sponeck, Secrétaire
général adjoint de l’ONU,
coordinateur humanitaire des Nations
Unies en Irak, 1998-200.
Denis J.
Halliday, Secrétaire
général adjoint de l’ONU, 1994-1998.
Saïd Zulficar,
Fonctionnaire de l’UNESCO,
1967-1996. Directeur des Activités
opérationnelles, Division du
Patrimoine Culturel, 1992-1996.
Samir Radwan,
Fonctionnaire OIT, 1979-2003.
Conseiller du Directeur général de
l’OIT sur les politiques de
développement, 2001-2003. Ministre
égyptien des Finances,
janvier-juillet 2011.
Samir Basta,
directeur du bureau régional pour
l’Europe de l’UNICEF, 1990-1995.
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