En direct de Gaza
Récit des voyages manqués
d’un professeur de français bloqué à
Gaza
Ziad Medoukh
Dimanche 17 avril 2016
Depuis plus de trois ans, j’essaie de
voyager en France et dans des pays
francophones pour de courtes périodes
afin de participer à des conférences et
colloques universitaires. J’essaie de
sortir de Gaza, ma prison à ciel ouvert,
soit via le passage de Rafah, situé au
sud de la bande de Gaza, à la frontière
avec l’Egypte, soit via le passage d’Eretz
au nord de la bande de Gaza, passage
contrôlé par l’armée israélienne, pour
passer par la Jordanie par
l’intermédiaire du Consulat de France à
Jérusalem. Neuf tentatives en trois ans,
j’essaie depuis 2014, mais en vain. Je
n’arrive pas à sortir de Gaza, je suis
toujours bloqué dans ma prison.
Ma dernière
tentative de voyager a été mi-avril
2016, où j’étais invité en France en
tant que professeur-chercheur à
l’université du Havre, et conférencier
dans un colloque international sur la
Francophonie à Orléans. Malgré
l’obtention du visa français et du
permis jordanien, et malgré les efforts
du Consulat de France à Jérusalem pour
m’obtenir une autorisation israélienne
de sortir via le passage d’Eretz, les
autorités israéliennes n’ont pas donné
suite. Comme d’habitude, soit ils ne
répondent pas, soit ils disent que mon
dossier est en cours.
Comme directeur du
département de français à mon
université, professeur, chercheur
universitaire, coordinateur du Centre de
la paix, poète, écrivain d’expression
française ; je reçois de cinq à six
invitations chaque année pour participer
à des conférences, colloques, séminaires
universitaires, ou des projets de
recherche dans des universités
francophones et des laboratoires de
recherche, signer des jumelages et
parler de coopération scientifique
universitaire, assister à la sortie de
mes différents livres et recueils de
poésie, en France et dans des pays
francophones, ou pour recevoir des prix
poétiques, littéraires et diplômes de
mérite.
Comme il est
difficile pour moi de répondre à toutes
ces invitations, vu mon travail et mes
différentes responsabilités
administratives et pédagogiques à Gaza,
je sélectionne deux ou trois rencontres
par an, pour y participer, notamment
dans de nouvelles villes ou nouvelles
universités, afin de rencontrer des
collègues et des personnes et faire
passer le message de Gaza la vie au
monde francophone.
Chaque fois, je
commence des démarches très longues pour
pouvoir sortir de Gaza, et malgré
l’obtention de toutes les autorisations
nécessaires côtés palestinien, égyptien
ou jordanien, je n’arrive pas à quitter
Gaza pour une ou deux semaines, et je
suis toujours bloqué comme toute la
population civile de cette prison sous
blocus israélien depuis plus de neuf
ans.
Comme le passage de
Rafah est souvent fermé, même quand il
s’ouvre, et vu le nombre considérable de
voyageurs étudiants et malades, qui ont
priorité, j’essaie de passer via le
passage israélien avec une intervention
du Consulat de France qui tente
d’obtenir une coordination israélienne
pour moi, mais les Israéliens ne donnent
pas de réponse favorable.
Cette situation
montre que nous sommes toujours occupés,
et que l’armée israélienne domine et
contrôle le ciel, les frontières et la
mer de Gaza.
Les autorités
israéliennes parlent souvent de
facilités pour Gaza et pour ses
habitants, mais sur place, ils
interdisent la sortie de Gazaouis de
leur prison à ciel ouvert.
Je tiens ici à
saluer les efforts considérables du
Consulat de France à Jérusalem, qui non
seulement m’accorde à temps le visa pour
la France, mais essaie à plusieurs
reprises de m’obtenir un permis
israélien pour sortir via le passage d’Eretz,
se heurtant aux décisions arbitraires
des autorités israéliennes, qui souvent
ne répondent même pas. Je remercie aussi
les collègues universitaires, en
particulier mon ami et collègue Stéphane
Valter de l’université du Havre, qui
depuis trois années, insiste pour
m’inviter à son université, et les
associations qui, malgré la perte de
billets d’avion, insistent pour
m’inviter. Car pour eux, inviter un
professeur de Gaza représente un
investissement en réservation de billets
d’avion et en hébergement, et tout cela
risque d’être perdu en cas d’annulation.
Quand je suis
interdit de voyager, j’essaye de garder
le contact avec les collègues et les
associations qui m’invitent, qui se
montrent très attentifs à mon cas et au
sort de tous les Palestiniens de Gaza
qui vivent cette situation épouvantable
qui dure et dure.
Quand je suis
lauréat d’un prix littéraire, je charge
un ami de recevoir la médaille et le
diplôme et de lire mes poèmes ou mes
mots, des mots qui traversent les
frontières et s’élève au-dessus du
blocus de la honte imposé par les forces
de l’occupation israélienne sur plus de
1,9 millions de Palestiniens de
Gaza, sous le regard d’un monde
officiel qui se dit libre, mais qui se
tait.
Mes interventions
dans les conférences et les colloques,
je les fais via Skype ou
visioconférence, ce n’est pas toujours
évident avec les problèmes techniques
comme les coupures d’électricité
(actuellement, les foyers de Gaza ont
de 4 à 6 heures d’électricité par jour).
même avec des batteries rechargeables ça
ne marche pas toujours car ces batteries
ont besoin du courant électrique, et les
mauvaises connexions internet, qui sont
le quotidien des universitaires de Gaza,
rendent souvent problématique le recours
à cette technique de travail. Mais
l’aspect dramatique dans tout cela est
la rupture des contacts vivants avec les
collègues, les universitaires et le
monde associatif.
Le voyage pour moi
est très important, même pour une ou
deux semaines, pas seulement pour
souffler un peu et retrouver un air de
liberté, mais surtout parce que je suis
convaincu de l’importance des contacts
vivants et humains, et cela malgré les
difficultés pour un Palestinien de Gaza
de voyager, et traverser les frontières
et les passages, à l’aller comme au
retour.
Voyager de Gaza
signifie la fatigue, la souffrance dans
les déplacements, les jours et les
heures d’attentes devant les passages,
les longues démarches à effectuer et les
différentes autorisations à obtenir.
Personnellement,
toutes mes rencontres à l’étranger sont
intéressantes, même si quand je
m’éloigne de Gaza, ma prison me manque
beaucoup, et ma ville natale ne
s’absente pas de ma tête et de mes
pensées, et je compte les jours et les
heures pour retourner à Gaza. Cet
éloignement de Gaza me cause beaucoup de
peine et de chagrin, à moi, le grand
voyageur ; même si je vais retrouver à
nouveau l'isolement, l'enfermement, le
blocus et les difficultés quotidiennes,
car le plus important pour moi c'est de
retourner dans ma prison pour continuer
le combat via l'éducation, la culture et
l'attachement à la terre, aux côtés de
toute une population qui a choisi comme
moi de rester sur place afin d'affronter
la dure réalité de l'occupation, mais
surtout afin de résister, d'exister.
A l’étranger, et en
France en particulier, j’ai toujours un
accueil très chaleureux, je suis très
entouré et très soutenu par des amis,
des solidaires, des personnes de bonne
volonté, et je reçois toujours un
accueil formidable des universitaires,
et des associations. Je n’ai même pas le
temps de souffler entre deux rencontres
très enrichissantes, je suis reçu par de
dizaines de personnalités : élus,
maires, militants et membres
d’associations, d’organisations,
universités, comités, mouvements, partis
politiques, médias, et citoyens.
Mais le
sentiment qui m'habite, c'est qu’avec
chaque voyage et projet de voyage, je
suis plus que jamais attaché à ma ville,
un attachement qui dépasse toutes les
difficultés, toutes les souffrances et
toutes les injustices subies par la
population sous occupation israélienne.
J'existe au travers
de ma résistance au quotidien dans cette
ville enfermée, isolée. En dépit de
toute cette souffrance subie avec mes
concitoyens, le plus important est que
je sois à Gaza et que je lutte avec
toute la population pour que Gaza vive
libre et digne.
Les trois forces
qui m’aident à résister et patienter
dans ma prison sont :
-
Mon attachement
à ma ville natale Gaza, je ne peux
vivre en dehors de Gaza, c’est ici
ma ville, c’est ici ma terre, je
suis comme le poisson qui ne peut
pas vivre en dehors de l’eau.
-
Les jeunes,
notamment les étudiants de français
qui, malgré la situation actuelle
dans cette région sous blocus,
s’adaptent et gardent espoir pour
l’avenir. Je sens que j’ai la
responsabilité morale de rester aux
côtés de cette jeunesse.
-
Les amis et les
solidaires partout dans le monde. Je
reçois de 30 à 40 messages par
jour, via internet et les réseaux
sociaux, de personnes formidables,
messages de solidarité, de
compassion, d’encouragements et de
soutien, suite aux différents
événements sur Gaza ou après la
publication de nos activités au
département et à Gaza. Ce sont eux,
ces amis et solidaires qui calment
ma colère et ma frustration.
Ma frustration
d’être toujours bloqué et cet
enfermement que subissent les
universitaires de Gaza sont encore plus
durs à vivre si l’on compare la
situation qui nous est imposée avec les
conditions dont bénéficient les
universitaires israéliens, qui ont
toutes les facilités pour participer
pleinement dans leurs différentes
disciplines, aux activités de la
communauté scientifique internationale.
Mon cas, ce n’est
rien en comparaison des patients qui
risquent leur vie et des étudiants qui
perdent leur bourse d’études, même si ma
sortie est importante pour rencontrer le
maximum de personnes, témoigner sur la
vie quotidienne sous blocus et passer un
message sur la vie continue à Gaza. Et
aussi apporter des projets éducatifs et
culturels pour les jeunes de Gaza.
Les malades et les
patients de Gaza meurent tous les jours
car ils ne peuvent être transférés
rapidement dans les hôpitaux égyptiens
ou israéliens, à cause de la fermeture
des frontières. Ils souffrent du manque
de médicaments et de beaucoup de
matériel médical à cause de ce blocus
inhumain.
Les difficultés de
ma sortie montrent la dure réalité vécue
par toute une population enfermée, qui
subit ce blocus, et qui vit dans des
conditions insupportables. La bande de
Gaza est toujours occupée par l’armée
israélienne qui contrôle le ciel, les
frontières et la mer de cette région.
Cette région sous
blocus et considérée comme une prison à
ciel ouvert, subit une punition
collective par une armée qui déteste la
vie et la lumière.
Des centaines
d’étudiants ont perdu leur bourse et
inscription aux universités étrangères
et des dizaines d’universitaires ne
peuvent participer à des conférences et
rencontres scientifiques à l’étranger à
cause de ce blocus, qui viole le droit
international, dans le silence complice
d’une communauté internationale
officielle qui ferme les yeux.
L’armée israélienne
a détruit en 2001 le seul aéroport
international de Gaza, un aéroport
construit avec l’argent de l’Europe qui
n’a jamais condamné sa destruction, ni
demandé des comptes à cet état
d’apartheid qui continue chaque jour à
démolir des constructions
palestiniennes, en Cisjordanie et dans
la bande de Gaza.
Il est très
difficile d’imaginer qu’en 2016, il y
ait toujours un peuple, tout un peuple
enfermé, encerclé, interdit de sortir de
son pays et occupé. Quelle injustice !
C’est horrible, ce
sentiment d’enfermement, pour les
Gazaouis.
Oui, l’enfermement
est un sentiment épouvantable, non
seulement pour les jeunes et les
universitaires qui ont besoin de ce
contact avec leurs collègues de
l’étranger, mais aussi pour toute une
population qui a envie de respirer.
L’enfermement
limite la réflexion et la création, il
participe à l’absence de perspective
pour l’avenir, notamment pour les jeunes
de Gaza qui, en majorité, n’ont jamais
quitté leur pays.
Combien de temps ce
non-respect des lois internationales
sans indignation des gouvernements et
organismes internationaux va-t-il durer.
Malgré cet
enfermement, les Gazaouis résistent,
existent et persistent. Ils espèrent
sortir de leur isolement, de leur cage,
de leur prison et, grâce à cette
espérance, ils voient s'approcher la
lumière de la liberté.
Je tiens
à remercier de leur soutien tous les
amis et solidaires, partout dans le
monde, qui, chaque fois que je suis
bloqué, m’envoient des centaines de
messages de soutien. Je poursuivrai mon
combat avec mes mots, ma poésie, mon
travail et ma plume, pour la levée du
blocus israélien, pour la liberté de la
Palestine, et pour une paix durable qui
passera avant tout par la justice.
Malgré mon
impossibilité de sortir, je suis
convaincu que les idées et les paroles
ont toujours des ailes pour circuler
librement, et que les forces de
l’occupation ne pourront jamais
m’enfermer moi et ma population
longtemps.
En attendant une
sortie, un voyage, une ouverture, il ne
me reste qu’à attendre, patienter et
espérer, dans Gaza la vie ! Car la vie
à Gaza est une résistance !
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