Palestine
Israël veut rendre « légal » le meurtre
de Palestiniens
Yara Hawari
Samedi 19 janvier 2018
Des
proches se rassemblent
autour de la dépouille de Yousif Shaaban Abu Athra,
âgé de 15 ans, lors de ses
funérailles au camp de
réfugiés de Rafah, dans le
sud de la bande de Gaza, le
22 mars 2018. Abou Athra a
été assassiné dans un
bombardement israélien à
l'est de Rafah près de la
clôture entre Israël et Gaza
(Photo : Ezz Zanoun/ActiveStills)
Il y a
cinquante-sept ans, Adolf
Eichmann, le célèbre
dirigeant nazi et «
architecte » de
l’Holocauste, avait été
condamné à mort par le
tribunal de district de
Jérusalem. Il a été reconnu
coupable de 15 chefs de
crimes contre l’humanité, de
crimes de guerre et de
crimes contre le peuple
juif. Quelque six mois plus
tard, le 1er juin 1962, il
fut pendu après avoir épuisé
toutes toutes les voies de
recours.
Israël envisage maintenant
de rétablir la peine
capitale pour écraser
définitivement ceux qui
résistent à son occupation
illégale.
Bien que l’État israélien
ait hérité du code pénal du
mandat britannique – qui
prévoyait la peine de mort
pour plusieurs infractions –
en 1954, la Knesset a voté
en faveur de son abolition
dans tous les cas, à
l’exception des crimes de
guerre, des crimes contre
l’humanité et des crimes
contre le peuple juif. À la
suite de cette décision, les
tribunaux civils israéliens
réservent à ce jour
l’application de la peine de
mort aux nazis et aux
collaborateurs nazis
reconnus coupables du
meurtre commis au cours de
l’Holocauste, tandis que les
tribunaux militaires ne
prononcent la peine que si
un collège de trois juges
accepte à l’unanimité
d’émettre la condamnation.
Eichmann a donc été la seule
personne à avoir été
condamnée à mort en Israël –
une sanction largement
soutenue dans l’opinion en
raison du rôle odieux joué
par le dirigeant SS dans
l’Holocauste. En effet,
l’écrivaine et philosophe
Hannah Arendt, qui a assisté
au procès, a décrit Eichmann
comme l’incarnation de la «
banalité du mal ».
Pendant longtemps en Israël,
le régime actuel, qui
permettait d’invoquer la
peine de mort uniquement
dans des circonstances
extrêmes et avec
l’approbation unanime d’un
groupe de trois juges, était
accepté par la plupart.
Pourtant, plus récemment, un
camp favorable à la peine
capitale a vu le jour,
appelant à son application
contre les prisonniers
palestiniens.
La force politique derrière
ce mouvement en faveur de la
peine de mort est Yisrael
Beitenu – l’organisation de
l’ancien ministre de la
Défense, Avigdor Lieberman –
une petite mais influente
formation d’extrême-droite
qui a amené le gouvernement
de coalition fragile du
Premier ministre Benjamin
Netanyahu au bord de
l’effondrement après lui
avoir retiré son soutien
suite au récent
cessez-le-feu à Gaza. Cette
formation a présenté un
projet de loi qui ferait de
la peine de mort une peine
commune pour les
ainsi-nommés « terroristes
palestiniens ».
Plus tôt cette année,
Netanyahu a déclaré qu’il
soutiendrait le projet de
loi, affirmant qu’ « il
existe des cas extrêmes de
personnes qui commettent des
crimes horribles, qui ne
méritent pas de vivre. Elles
devraient ressentir le poids
de la loi ».
Le projet de loi, un
amendement à la législation
existante, a été présenté
une première fois plus tôt
cette année en janvier. Il
fait actuellement l’objet
d’un contrôle juridictionnel
à la Knesset et devra
ensuite faire l’objet d’une
deuxième et d’une troisième
audience avant d’être
adopté. Alors que la
décision de Yisrael Beitenu
de quitter la coalition au
pouvoir en novembre semble
avoir ralenti la progression
du projet de loi, grâce au
soutien du Premier ministre
Netanyahu lui-même, le
projet de loi a encore de
bonnes chances d’être
adopté.
Si ce projet de loi devenait
loi, il permettrait au
tribunal militaire israélien
de Cisjordanie occupée (y
compris Jérusalem-Est) de
condamner à mort les
personnes reconnues
coupables d’actes de «
terrorisme » [résistance],
avec l’approbation de la
majorité simple des membres
du jury. En d’autres termes,
cet amendement donnera non
seulement le feu vert au
parquet militaire pour
exiger le recours à la peine
de mort, mais il normalisera
également son utilisation en
dehors de circonstances
exceptionnelles.
Liberman et d’autres
partisans du projet de loi
le décrivent comme un moyen
de dissuasion contre ceux
qui veulent commettre des
attentats « terroristes ».
Pourtant, en réalité, ce
projet de loi est une
attaque contre les
prisonniers politiques
palestiniens et une
tentative d’écraser ceux qui
résistent à l’occupation.
Ce qui est particulièrement
troublant, c’est qu’il
compare essentiellement les
crimes des nazis aux
Palestiniens arrêtés et
accusés de terrorisme par le
système judiciaire militaire
israélien illégal. Il s’agit
d’un système judiciaire
illégal qui ne devrait
absolument pas fonctionner
en Cisjordanie conformément
au droit international.
Sahar Francis, directeur de
l’Association pour le
soutien des prisonniers et
des droits de l’homme
palestiniens (Addameer),
explique que la puissance
occupante n’est pas censée
s’immiscer dans les
problèmes juridiques au sein
des territoires occupés et
que la Knesset n’est
certainement pas autorisée à
adopter de nouvelles lois
dans les territoires
occupés. En plus d’être
illégal, le système
judiciaire militaire est
souvent cité comme une
parodie de justice qui ne
permet pas une procédure
judiciaire régulière avec un
taux de condamnation de
99,9%. En outre, il tente et
condamne fréquemment les
enfants – au moins 8000
depuis l’an 2000.
Dans ce contexte, il est
alarmant qu’Israël envisage
actuellement de donner à ses
tribunaux militaires le
pouvoir de condamner à mort
des prisonniers
palestiniens, mais ce n’est
pas surprenant. Le régime
colonial israélien utilise
la montée de la politique de
droite et du fascisme dans
le monde, où de telles
politiques draconiennes sont
justifiées et encouragées.
En effet, auparavant, Israël
avait déjà condamné des
Palestiniens à la peine de
mort de plusieurs façons, à
la suite d’exécutions
sommaires, de siège, de
famine et de bombardements.
Il ne s’agit que d’une
initiative de plus, mais qui
devrait être rejetée par
tous ceux qui adhèrent aux
principes fondamentaux des
droits de l’homme.
Yara Hawari
analyste politique à Al-Shabaka,
le groupe de réflexion
palestinien.
|