Palestine
L'affaire Elor Azaria
Yannis Arab
Samedi 25 mars 2017
Le 4 janvier 2017, le sergent Elor
Azaria a été reconnu coupable d’homicide
volontaire par un tribunal militaire
israélien sur un assaillant palestinien,
à Hébron, en mars 2016. Le 21 février
2017 ce même soldat a été condamné à une
peine de 18 mois d’emprisonnement.
Avant tout début d’analyse
revenons brièvement sur les faits. Le 24
mars 2016 à Hébron, ville palestinienne
occupée située au sud-ouest de la
Cisjordanie haut-lieu saint pour le
Judaïsme et l’Islam, une patrouille
israélienne est la cible d’attaques aux
couteaux orchestrée par deux
Palestiniens. Un soldat israélien est
blessé tandis que les deux Palestiniens
sont vite neutralisés. L’un d’entre eux
est décédé sur place, le second gisant
sur le sol semble comme l’indiquera plus
tard la vidéo de l’exaction toujours en
vie. Gisant sur le sol, étendu sur le
dos, ce jeune Palestinien ne
représentait alors aucune menace. Un
membre de la soldatesque israélienne
pensa autrement : il s’approcha du jeune
Palestinien et l’abattu froidement d’une
balle dans la tête. Cet acte
tragique aurait pu passer inaperçu et
s’étouffer dans une centaine d’exactions
commises par Tsahal impunis et
quotidiennement dénoncées par de
nombreuses organisations
internationales. Mais hélas… pour le
plus grand dam des autorités militaires
israéliennes l’assassinat a été filmé
par un militant palestinien membre de
l’organisation israélienne des droits de
l’homme B’Tselem créée à la fin
des années 80 et particulièrement active
dans les Territoires Occupés. Diffusée
sur le net, la vidéo de l’assassinat
avait en quelques heures fait l’effet
d’une tâche d’huile et a été visionnée
des centaines de milliers de fois.
L’auteur de l’assassinat est sitôt
révélé par un militant israélien Richard
Silverstein créateur d’un blog Tikun
Olam (en hébreu littéralement « la
réparation du monde ») commentant
régulièrement l’actualité
israélo-palestinienne. Il s’agit d’Elor
Azaria, un jeune caporal
franco-israélien membre d’une unité
paramédicale âgé de 20 ans durant les
faits. Proche des milieux d’extrême
droite en Israël, adhérant aux idées du
mouvement religieux extrémiste et
raciste Kach ( pourtant interdit en
Israël) supporter du club ultra-raciste
« Beitar Jerusalem » comme l’indique son
compte Facebook, le jeune
franco-israélien aurait maintes fois
dans ses publications appelé à « tuer
tous les Palestiniens ».[1]
Il aura l’occasion de mettre ses
souhaits en action le 24 mars 2016 à
Hébron.
Sitôt la vidéo publiée et
visionnée, les hautes personnalités
militaires au premier rang desquels
Moshé Yaalon l’ancien Ministre de la
Défense ainsi que Gadi Eizenkot chef
d’état-major se sont désavoués de l’acte
trahissant selon eux les codes moraux de
Tsahal. Benyamin Netanyahu a dans un
premier temps condamné l’acte puis a
jugé préférable de soutenir le soldat au
vue de son soutien considérable dans la
société israélienne. Avis analogue pour
Avigdor Lieberman estimant que le jeune
soldat avait agi en état de légitime
défense. L’actuel Ministre de la Défense
avait même récemment dénoncé
l’hypocrisie du haut-commissariat de
l’ONU qui avait jugé vendredi 24 février
2017, insuffisante et « inacceptable »
la condamnation à dix-huit mois de
prison d’un soldat israélien, estimant
qu’il s’agissait d’une « apparente
exécution extrajudiciaire ». Pour
Lieberman « Une balle qu’a tirée
Azaria sur un terroriste est plus grave
que les millions de balles qui tuent des
innocents en Syrie, en Libye, en Irak et
au Yémen, a-t-il écrit sur sa page
Facebook. « Comme d’habitude il
s’agit du Haut-Commissariat pour la
haine d’Israël et pas du
Haut-Commissariat aux droits humains. »[2]
Ainsi entre
le 24 mars 2016 et aujourd’hui l’affaire
Elor Azaria a fait couler beaucoup
d’encre. Dans le cadre de cet article,
il ne s’agira pas de revenir sur les
multiples réactions et indignations qu’à
suscité l’affaire Azaria déjà commentées
par de nombreux médias…mais plutôt sur
ce qu’elle ne dit pas. Si bon nombre de
médias mainstreams en France et
ailleurs se font fait écho de l’affaire,
peu pour ne pas dire aucun n’a remis en
cause ou simplement questionner de
manière légitime la présence de soldats
franco-israéliens (donc français) dans
les rangs d’une armée d’occupation
étrangère : Tsahal. De plus il
semble intéressant de noter que même si
la condamnation d’Elor Azaria a provoqué
l’ire d’une grande partie de la société
israélienne, elle a permis aux tenants
de la hasbara[3]
en Israël et à l’étranger d’exalter le
caractère « démocratique » et « juste »
de l’Etat d’Israël prétextant que
seule une société « éclairée » « la plus
grande du Moyen-Orient » peut permettre
en son sein l’émergence de voix
plurielles et dissidentes et l’ouverture
d’une enquête contre ses propres soldats
et voire même les condamner. Or si
enquête il y a eu c’est pour la simple
et bonne raison que l’assassinat a été
filmé et a suscité l’émoi et
l’indignation chez les Palestiniens et à
l’international. Entre septembre 2015 et
24 mars 2016 date à laquelle Elor Azaria
a abattu froidement ce jeune Palestinien
c’est plus de 200 Palestiniens qui ont
été tué par les autorités israéliennes.
Parmi ces 200 victimes Palestiniens
nombreuses ont été victimes de
flagrantes exactions extrajudiciaires
comme le confirme des organisations des
droits de l’homme. Et pourtant au vue de
ces preuves flagrantes aucune enquête
n’avait au préalable été ouverte par les
autorités militaires israéliennes.
La condamnation de ce jeune soldat
franco-israélien aussi minime
soit-t-elle aura permis et de façon
hypocrite aux institutions militaires
israéliennes d’envoyer ce message au
monde : « Nous ne sommes pas ce que vous
pensez : des institutions insensibles à
la Justice et cruels. Nous condamnons
même les actes de nos soldats ».
Mais qu’en est-t-il des autres soldats
ayant abattu des centaines de
Palestiniens et cela en toute impunité ?
En réalité la condamnation d’Azaria
n’est qu’une mascarade d’Etat voulant
nous présenter l’assassinat de ce jeune
Palestinien par ce franco-israélien
comme un « acte isolé » aux antipodes «
des codes moraux de Tsahal » et par
conséquent visant à procurer à ce
dernier une virginité éthique, à
oblitérer sa longue liste d’exactions
extrajudiciaires commises
quotidiennement dans les Territoires
Occupés et jusque-là restées…. impunies.
Ce que l’affaire
Azria ne dit pas.
Entre le
moment de la publication de la vidéo le
24 mars 2016 avec son lot de réactions
et jusqu’au moment de la condamnation du
soldat le 21 février 2016, le cas Azaria
n’a eu de cesse de susciter les
passions. L’affaire a fait couler
beaucoup d’encre et a joué le rôle de
révélateur et de catalyseur de la
société israélienne: celle-ci de plus en
plus radicalisée a dans sa grande
majorité soutenue le soldat israélien
prétextant qu’il avait agi en tout état
de « légitime défense » contre un
« terroriste Palestinien muni d’une
ceinture d’explosifs » reprenant alors à
son compte la version tronquée du soldat
et démentie par le tribunal militaire
israélien. Si la plupart des médias
mainstreams en France se sont fait
l’écho de cette affaire qui selon eux a
pu révéler les fractures de la société
israélienne, jamais dans leurs tribunes
ceux-ci n’ont questionné de manière
légitime la présence de soldats français
et en nombre dans les rangs de Tsahal.
Et pourtant, le jeune soldat ayant
abattu de sang-froid ce jeune
Palestinien désarmé et hors état de
nuire à Hébron ville occupé depuis 1967
n’est pas un sabra (un sioniste né en
Palestine-Israël), un colon né dans une
colonie à Jérusalem ou un israélien né
dans un quartier à Tel-Aviv, mais il est
français. Cette oblitération consciente
de cette question cruciale semble
d’autant plus grave dans la mesure où la
plupart des médias ont précisé dans
leurs tribunes que le soldat était
franco-israélien. Ainsi les médias ont
inconsciemment (ou sciemment ?) voulu
normaliser un fait qui en réalité ne
l’est pas. Car le fait qu’il soit
français, au-delà du caractère meurtrier
de son acte dont tout le monde devrait
se sentir concerné, aurait dû entrainer
des réactions vives au sein de la classe
politique française et une remise en
question de ses politiques étrangères :
comment se fait-il que de jeunes
français puissent intégrer les rangs
d’une armée d’occupation étrangère et
participer activement à ses crimes à
l’égard des Palestiniens comme
l’illustre l’affaire Azarya ? Cette
question légitime n’a pourtant jamais
été mise en avant par les médias. Cette
question et plus particulièrement son
oblitération consciente par les médias
mainstreams et les autorités
françaises illustre parfaitement
l’hypocrisie et le « deux poids deux
mesures » du gouvernement Hollande et
sans doute du prochain en matière de
politique extérieure au Moyen-Orient.
Pourtant si prompt à condamner et à
juste titre l’émigration de jeunes
français en Syrie dans les rangs de
Daesh ou autres groupes terroristes
prétendument islamiques, la classe
politique française par la voix de ses
hauts dirigeants, ne s’est jamais
indigné de la « montée » l’aliyah de
jeunes français en « Terre d’Israël » au
détriment de sa population autochtone et
plus particulièrement leur présence en
nombre dans une armée d’occupation
commettant comme l’illustre « l’affaire
Elor Azria » des crimes de guerre à
l’égard des Palestiniens. Par ailleurs
notons ici que cette double
oblitération, médiatique et politique,
prouve encore une fois la connivence et
les liens étroits qu’entretiennent les
deux institutions.
Au lendemain
des attentats de Paris de novembre 2015
qui ont bouleversé la France, le
gouvernement français par la voix de son
Président François Hollande a émis
l’idée controversée - finalement
abandonné - que les bi-nationaux
responsables d’attentats terroristes ou
de retour de leur « djihad » en Syrie
seraient destitués de leur nationalité
française. Cette proposition avait alors
provoqué la joie du Front National et de
nombreux partis à droite sur l’échiquier
politique français tandis que d’autres
estimaient que cette proposition
n’allait en rien démotiver les
terroristes. Le 16 novembre 2016,
François Hollande sous l’émotion des
Attentats de Paris et de Saint-Denis,
devant le Parlement réuni à Versailles
déclara : « Nous devons pouvoir déchoir
de sa nationalité française un individu
condamné pour une atteinte aux intérêts
fondamentaux de la Nation ou un acte de
terrorisme, même s'il est né Français »
avant de préciser : « Je dis bien même
s'il est né Français, dès lors qu'il
bénéficie d'une autre nationalité", car,
a ajouté le président, cette déchéance
ne doit "pas avoir pour résultat de
rendre quelqu'un apatride ». Pour
Meyer Habib lui-même franco-israélien,
ayant servi dans Tsahal et grand ami de
Netanyahu depuis 1992 “ Des individus
qui vomissent la France ne peuvent
rester français. » Des individus qui
commettent des crimes dans les
territoires occupés peuvent-ils rester
français Mr Habib ?
[4]
Cette
question est d’autant plus légitime qu’Elor
Azaria n’est pas le seul binational à
servir dans Tsahal. Loin de là. Selon un
article du Nouvel Observateur
publié fin novembre 2014 c’est plus de
500 franco-israéliens qui servent
actuellement dans Tsahal[5].
Sur ces 500 soldats et soldates plus de
400 ont acquis la nationalité
israélienne dans le cadre de leur aliyah
et sont ainsi devenus binationaux : le
reste sont des volontaires
français non-israéliens qui ont
toutefois la possibilité de servir
Tsahal à travers divers programmes de
volontariat (Mahal) mais à la condition
expresse qu’ils soient Juifs
(descendants de grands-parents Juifs) et
qu’ils aient entre 18 et 23 ans.
Toujours selon le Nouvel Observateur
le nombre de Juifs français ayant
intégré les rangs de Tsahal n’a fait
qu’augmenter ces dernières années même
s’il est « difficile de vérifier les
chiffres ». Cette augmentation
coïncidant avec la montée de l’aliyah
juive française en Israël
s’explique principalement par le
sentiment de peur et de crainte au sein
de la communauté juive française qui
s’est installé suite aux attentats de
Toulouse en mars 2012 par Mohamed Merah,
et qui a atteint son triste paroxysme au
lendemain des attentats de Paris en
janvier 2015. Elle s’explique
aussi par les nombreux coups de
marketing des autorités militaires
israéliennes et ses relais en France.
Ainsi le 26 mai 2014 quelques semaines
avant l’Opération Bordure Protectrice
ayant couté la vie à plus de 2200
Palestiniens dont plus de 500 enfants,
un officier de Tsahal invité par
l’Ambassade d’Israël en France a donné
une conférence sur la politique de
recrutement de l’armée israélienne à la
grande synagogue de la Victoire, dans le
9ième arrondissement de Paris[6].
Notons que l’ambassade d’Israël en
France a organisé cette conférence non
pas en son sein, mais dans une
synagogue. Par conséquent dans un lieu
de culte français. Cette initiative est
en soi pas étrangère à la stratégie
israélienne visant à prendre en otage
toute une communauté juive résidant en
France, à l’associer à ses politiques et
en l’assimilant à ses crimes à l’égard
des Palestiniens. Cette ingérence
d’Israël en France est d’autant
plus hypocrite que ses fervents
partisans ici et ailleurs s’insurgent
contre les événements et conférences en
soutien à la cause palestinienne en
France prétextant qu’il serait alors
dangereux d’y « importer le conflit
israélo-palestinien ». Or il y a une
grande différence entre des
manifestations pacifiques de divers
organisations pro-palestiniennes
appelant à une solution juste et
durable du conflit selon les termes du
consensus international et des
conférences officielles de Tsahal
organisées par l’Ambassade d’Israël
dans des lieux de cultes en France
visant à alimenter les rangs d’une armée
d’occupation étrangère et par conséquent
pérenniser une occupation illégale qui
apparait pour de nombreuses
organisations - israéliennes d’ailleurs
- comme un obstacle à la paix entre
israéliens et palestiniens. Cette
ingérence israélienne en France illustre
aussi l’hypocrisie de la classe
politique française si réactive à
condamner les prêches d’imams étrangers
dans certaines mosquées en France en vue
d’inciter les jeunes à accomplir le
« djihad saint contre les mécréants »
mais faisant silence de ces conférences
officielles de Tsahal fraichement
organisées par l’Ambassade d’Israël en
France, au su et au vu de tout le monde,
dans des synagogues françaises.
Pouvons-nous imaginer une seule seconde
le scandale si un officiel algérien
venait recruter à Paris de jeunes
franco-algériens en vue d’alimenter les
rangs de l’armée algérienne ? Certains
hommes et femmes politiques - on imagine
bien lesquels- criaient à la double
allégeance, à la trahison….ces jeunes
franco-algériens inspirés par
l’antipatriote ‘Karim Benzema”
“haïssant” leur pays d’accueil - alors
que la plupart sont nés en France - au
profit de leur pays d’origine ! Et
pourtant même dans le cadre de cette
improbable hypothèse, il est important
de noter que l’armée algérienne
contrairement à Tsahal ne soumet pas un
peuple à un régime institutionnalisé de
domination considéré comme apartheid en
vertu du droit international, elle n’a
pas expulsée 800 000 personnes
manu-militari entre 1947 et 1949 et plus
de 14 000 entre 1967 et aujourd’hui à
Jérusalem-Est (selon l’organisation
juridique israélienne Hamoked), démolie
plus de 48 000 maisons palestiniennes
durant la même période selon le comité
israélien contre les démolitions de
maisons[7],
elle ne s’est pas engagée ces dix
dernières années dans quatre grandes
opérations d’envergures au Liban et à
Gaza ayant conduit à la mort de milliers
d’innocents ; elle n’est pas non plus le
bras répressif d’un pouvoir ayant
procédé ces 50 dernières années à la
déportation de plus de 600 000 de ses
citoyens sur des territoires qu’il
occupe au détriment de sa population
autochtone et à l’emprisonnement de plus
de 800 000 Palestiniens dans les geôles
israéliennes durant cette même période;
elle n’est pas non plus responsable
d’assassinat ciblés et d’exactions
extra-judiciaires commis
quotidiennement, documentés et dénoncés
par divers organisations israéliennes et
internationales. Le cas Elor Azaria en
est la preuve. Qu’attendent donc
les autorités françaises au premier rang
desquels François Hollande pour
s’indigner contre une telle ingérence et
à fortiori contre des crimes de
ressortissants français dans un pays
étranger ? Silence Silence….au nom de
quoi ? De la Justice ? De la « morale
républicaine » ? De la « lutte contre
l’antisémitisme » ? Ou au nom de leurs
hypocrisies ?
L’affaire Elor
Azaria : du pain béni pour les tenants
de la Hasbara
Au lendemain
de la publication de la vidéo de
l’assassinat, la majorité de la société
israélienne a pris fait et cause pour le
jeune soldat israélien. Selon un sondage
réalisé par Haaretz un quotidien
israélien, 57 °/° du public israélien
estimait que le soldat n’aurait pas dû
être placé en détention et 68 °/°
jugeait que l’Etat-major a eu tort de
condamner publiquement son geste.[8]
Selon un autre sondage réalise au
lendemain de sa condamnation 70 °/° de
la société israélienne estimait, au
lendemain de la condamnation du soldat,
que ce dernier devait être gracié.[9]
Cette affaire
a joué le rôle de révélateur de la
société israélienne : celle-ci
majoritairement soutient de manière
inconditionnelle son armée et son
gouvernement. Même si la condamnation de
18 mois du jeune soldat - jugée trop
clémente par la porte-parole du
Haut-Commissariat, Ravina Shamdasani - a
provoqué l’ire de la société israélienne
et des hautes personnalités israéliennes
au premier rang desquels Naftali Benett
ministre de l’Education ou encore
Benyamin Netanyahu l’actuel Premier
Ministre etc..qui ont durant des mois
défendu le jeune soldat affirmant qu’il
avait agi en « état de légitime
défense » contre un « terroriste
palestinien », elle a paradoxalement
permit aux défenseurs d’Israël et de son
image à l’étranger d’exalter son
caractère prétendument “démocratique” et
“juste” prétextant que seule une
« société éclairée » la plus « éclairée
du Moyen-Orient » aurait pu voir émerger
en son sein des voix « critiques » et
« plurielles ».
Répondant à
un article de Libération intitulé « En
Israël, un soldat meurtrier s’en tire
avec les honneurs » publié le 21
février 2017 et écrit par Nissim Behar
correspondant à Tel-Aviv, Sacha
Ghozlan président de l’Union des
Etudiants Juifs de France dans une
lettre ouverte adressée à Laurent
Joffrin directeur de la rédaction de
Libération le 28 février 2017[10]
estimait que l’affaire Elor Azaria puis
sa condamnation est la preuve qu’Israël
est une « démocratie » puisqu’on y
« respecte scrupuleusement la séparation
des pouvoirs » [...] « ses juges –
et d'un tribunal militaire de surcroît -
sont capables d'exercer leur autorité en
toute indépendance et ce, malgré des
pressions politiques explicites et une
opinion publique majoritairement
défavorable à la décision prise ». Elle
illustre aussi selon Sacha Ghozlan
« l’honneur » de la société israélienne
« capable de s’interroger et de se
mobiliser sur une question éthique,
morale et juridique : un soldat qui tire
une balle dans la tête d’un terroriste
alors qu’il est au sol peut-il invoquer
l’excuse de légitime défense ? »
L’honneur revient aussi selon le
président de l’Union des Etudiants Juifs
de France...à « une justice
indépendante, preuve supplémentaire
qu’Israël est bien la seule démocratie
du Proche-Orient ». Pour Ghozlan
l’affaire Azria a « secoué et divisé la
société israélienne ». Tout d’abord à
cette dernière allégation notons que
l’affaire Elor Azria n’a pas « divisé »
la société israélienne : elle a au
contraire, comme mentionné précédemment,
joué le rôle de révélateur et de
catalyseur d’une société prenant fait et
cause pour le soldat et dans une large
mesure pour son armée. Selon un sondage
israélien réalisé au lendemain de sa
condamnation plus de deux tiers (70 %)
des Israéliens étaient favorables à ce
qu’Elor Azaria soit gracié. 5 °/° de la
société israélienne estimait que l’acte
du soldat était un « meurtre »[11].
70 pourcent contre 5 pourcent : peut-on
parler de “division” ? Ou plutôt d’un
troublant consensus de la société
israélienne à l’égard des méfaits de son
armée ? De plus Sacha Ghozlan
affirme que l’affaire Elor Azaria, ses
péripéties et son aboutissement (la
condamnation) a montré encore une fois
le caractère éthique et juste des
institutions militaires d’Israël.
L’auteur oublie sciemment de mentionner
qu’Elor Azaria est le seule soldat à
avoir été condamné par les tribunaux
militaires israéliens depuis 2005. Or
entre 2005 et aujourd’hui le nombre
d’assassinats de Tsahal au Liban en
2006, à Gaza à trois reprises ces 10
dernières années et les divers
opérations de Tsahal en Cisjordanie
considérés comme « crimes de guerres »
par divers organisations internationales
n’ont jamais conduit à de sérieuses
enquêtes internes et à fortiori des
condamnations. Entre le 1er octobre 2015
et le 24 mars 2016 date à laquelle le
soldat Elor Azaria a abattu ce jeune
Palestinien, c’est plus de 200
Palestiniens qui sont tombés sous les
balles de Tsahal selon l’organisation
des droits de l’homme Al Haq.
L’organisation - preuves à l’appui -
affirme que l’exécution extra-judiciaire
de ce jeune Palestinien n’est pas un cas
isolé mais semble chose courante dans
Tsahal. Al Haq dresse une liste
exhaustive d’exécutions sommaires
commises par l’armée israélienne dans
les Territoires Palestiniens occupés les
mois précédant le meurtre d’Azaria. Par
exemple le 22 septembre 2015, Hadeel al-Hashlamoun
une jeune Palestinienne elle aussi
originaire d’Hébron a été froidement
abattu par une patrouille de l’armée
israélienne. Munie d’un couteau, elle ne
représentait devant l’armada militaire
de Tsahal aucune menace. Neutralisée, la
jeune Palestinienne couchée sur le sol à
continuer à recevoir un flot incessant
de balles sur le torse. Scénario
analogue le 4 octobre 2015 : Fadi Alloun
originaire d’Isawiyah, était également
couché sur le sol, après avoir poignardé
un israélien dans le quartier Musrara de
Jérusalem. Un policier israélien l’a
alors criblé de balles après que de
nombreux passant l’y aient encouragé. De
nombreux témoins ont filmé la scène mais
les autorités israéliennes ont jugé que
ce n’était « pas assez pour que de
quelconques mesures soient prises »
contre le policier. Même chose le 2 juin
2016 Ansar Hirsheh alors qu’elle tenta
de traverser le poste de contrôle d’Anabta
- située à l’est de Tulkarem au sud-est
de la Cisjordanie - elle fut froidement
abattu par quatre soldats de Tsahal.
Ceux-ci ont affirmé après coup que la
jeune Palestinienne avait un couteau
dans son sac.
[12] Etait-ce une
raison valable pour la tuer ?
Notons aussi
que l’impunité dont jouissent les
soldats israéliens semble aussi la même
pour les colons israéliens. Selon un
récent rapport publié par l’organisation
israélienne Yesh Din (en hébreu
“il y a une loi) 85 °/° des plaintes
déposées par des Palestiniens - ou
organisations israéliennes - suite à des
actes violents de colons, sont classés
sans suite, faute d’enquête policière
sérieuse. L’ONG israélienne estime
qu’une plainte déposée par un
Palestinien en Cisjordanie a 1,9 °/° de
chance d’aboutir à une enquête effective
avec des suspects identifiés, poursuivis
et condamnées. Est-ce dont cela la
« justice indépendante et exemplaire »
dont parlait Sacha Ghozlan ? Etrange
« justice ». Cette hypocrisie est
d’autant plus grave que la violence des
colons sous l’œil complice de Tsahal a
considérablement augmenté ces dernières
années. Selon les Nations Unies, les
attaques de colons ont pratiquement
quadruplé entre 2006 et 2014. Le Bureau
des Nations Unies pour la coordination
des affaires humanitaires (OCHA) a
enregistré plus de 2300 attaques de
colons israéliens sur des Palestiniens
ou leurs biens durant cette même
période.[13]
Pour Zehava
Galon, célèbre politique israélienne
présidente du parti Meretz l’assassinat
de ce jeune Palestinien désarmé par Elor
Azaria « reflète le vrai visage de
l’occupation ». Elle affirme : « voilà
des années que Netanyahou et consorts
nous abrutissent de beaux discours sur
les valeurs de l’armée et sur le
dialogue de terrain entre Israéliens et
Palestiniens, mais c’est du pipeau, car
l’occupation nous pourrit l’esprit. Des
valeurs morales, nous en avons peut-être
eu il y a longtemps, mais elles se sont
dissoutes avec le temps.»[14]
Par ailleurs
notons que si Azaria a été jugé c’est
pour la simple et « bonne » raison que
son acte a été filmé et visionné des
centaines de milliers de fois à travers
le monde. Pour ne pas alimenter la
colère des Palestiniens et par
conséquent entrainer une
pérennisation et voire même une
militarisation de l’intifada qui avait
déjà embrasé de nombreuses villes
palestiniennes, les autorités militaires
israéliennes ont voulu se dissocier de
l’acte tout en rappelant son caractère
isolé et anecdotique remis en cause par
de nombreuses organisations des droits
de l’homme affirmant au contraire que
l’affaire Azaria est l’arbre qui cache
la forêt et s’inscrit au milieu
d'exactions extrajudiciaires
quotidiennes commises par l'armée
israélienne et régulièrement dénoncées.
Amira Hass célèbre auteure israélienne,
commentant l’affaire Azaria affirme :
« Depuis un an et demi, des dizaines
d’hommes, de femmes et d’enfants
palestiniens ont été tués, bien qu’ils
eussent pu être maîtrisés quand ils
étaient encore en vie. La différence
entre eux et Azaria [qui a assassiné
d’une balle dans la tête un assaillant
Palestinien gisant à terre] est qu’il a
été filmé. » Pour Amira Hass,
décriée comme « traitre » au sein de la
société israélienne en raison de soutien
pour les droits des Palestiniens, les
autorités militaires israéliennes à
travers la condamnation du soldat
franco-israélien ont voulu envoyé ce
message suivant aux soldats et policiers
israéliens : « Prenez garde à ne pas
être filmés lorsque vous passez à
l’acte. Nous savons comment remettre en
cause la valeur des photographies prises
par les caméras de sécurité
palestiniennes, et nous savons enterrer
le témoignage des témoins oculaires
palestiniens. Mais nous n’avons toujours
pas trouvé de solution face à des
séquences vidéo nettes et
professionnelles. »[15]
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