Palestine
Jérusalem : La destruction du cimetière
Mamilla
par le Centre Simon Wiesenthal
Vijay Prashad
Photo: D.R
Mercredi 12 mars 2014
Curieuse
façon pour l’Etat dit hébreu de
promouvoir le « dialogue » à
Jérusalem que de construire, de force,
un « Musée de la Tolérance »
sur un cimetière palestinien classé
historique depuis 1927. Derrière cette
opération scandaleuse, soutenue en douce
par l’UNESCO, le Centre Simon
Wiesenthal (CSW), spécialisé
jusqu’ici dans la chasse aux nazis
allemands, et reconverti depuis peu –
les fugitifs de l’époque hitlérienne
étant de plus en plus rares – en
machine de propagande coloniale
israélienne. Bien évidemment, comme
cette profanation n’est pas l’œuvre
d’antisémites briseurs de tombes juives
ou de djihadistes allergiques aux
mausolées soufis, les médias occidentaux
observent… « un silence de mort ».
Par Vijay Prashad (Frontline -
magazine indien – extraits - 21/2/14 –
traduction et synthèse par Xavière
Jardez)*
En 2011, l’UNESCO s’est
trouvé à nouveau au cœur du problème
israélo-palestinien quand ses membres
ont accordé à la Palestine sa place de
membre. Aussitôt, les Etats-Unis et
Israël ont mis fin à leur contribution
financière à l’organisation, et de ce
fait perdu leur droit de vote en
novembre 2013. Mais, ce n’est pas le
motif pour lequel l’UNESCO a
annulé, mi-janvier dernier, la tenue
d’une exposition intitulée « Peuple,
Livre et Terre : Les 3500 ans de
relations entre le Peuple Juif et la
Terre d’Israël » parrainée par le
Centre Simon Wiesenthal (CSW).
Elle l’a fait, en catastrophe, à la
demande de 22 pays arabes qui estimaient
qu’elle aurait un « un impact
négatif » sur le processus de paix
au Proche-Orient.
Le Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahou, l’ambassadeur
américain aux Nations unies, Samantha
Power et l’activiste français,
Bernard-Henri Levy, ont critiqué cette
décision, ce qui a valu à ce dernier une
légère remontrance de la diplomate
bulgare, Irina Bokova -
directeur-général de l’UNESCO -
pour ses exagérations mensongères. La
polémique a été enterrée après qu’on a
précisé que l’exposition n’était pas
annulée, mais reportée au mois de juin
prochain..
Etonnamment, personne n’a profité de
l’occasion pour parler d’un autre projet
du Centre Wiesenthal : la
construction, à l’est des murs de la
Vieille Ville de Jérusalem, d’un «
Musée de la Tolérance » sur le
cimetière historique de Mamilla, digne
lui aussi d’être protégé par
l’organisation internationale préservant
les sites du patrimoine mondial. Au
contraire, l’UNESCO s’est fait
l’allié tacite d’Israël et lui a donné
un feu vert tacite pour construire le
musée. Dix ans d’efforts de la
Campaign to Preserve Mamilla (Campagne
pour la Préservation de Mamilla)
pour sauver le site ont été réduits à
néant.
(….)
Bien qu’ayant perdu leur droit de
vote à l’UNESCO, les Etats-Unis
et Israël, avaient insisté pour que
ladite exposition se tienne au siège de
l’organisation, à Paris. Son annulation
n’a évidemment pas été du goût du rabbin
Marwin qui dirige le CWS et l’a
qualifiée de « manœuvre purement
politique » et expliqué qu’il
voulait démontrer « que le peuple
juif n’est pas venu en Terre Sainte
seulement après l’holocauste nazi, mais
retraçait ses origines culturelles et
historiques dans cette terre depuis
trois mille cinq cent ans »…
En fait, ce n’est pas l’annulation de
l’exposition qui rend cette histoire si
sordide mais que ce projet ait pu
prendre corps. L’UNESCO et les
Etats-Unis se sont mis d’accord pour
l’organiser malgré son message politique
partisan : démontrer un lien entre
l’Etat d’Israël tel qu’il a été créé en
1948 et l’antiquité. Il existe de
nombreux documents qui attestent de la
façon dont l’archéologie israélienne
ignore tout ce qui n’est pas juif en
Palestine. Nadia Abu el-Haj, dans son
livre Facts on the ground :
Archeological pratice and territorial
self-fashioning in Israeli Society
(2001) illustre comment les archéologues
israéliens utilisent des bulldozers pour
« atteindre le plus rapidement
possible les couches les plus profondes
» et « oublient ou détruisent tous
les objets qui sont non-juifs ».
Pour rendre la terre juive, il est
essentiel de minimiser la présence
d’autres peuples dans leur passé ancien
et récent.
Le
cimetière
Mamilla
profané
Le cimetière Mamilla, à Jérusalem,
date des premiers temps de l’islam et
contient des tombes anciennes soufies,
mamelouks et même de Croisés. En 1927,
le Haut Conseil Musulman avait mis un
terme aux enterrements et l’avait classé
site historique. En 1948, l’Etat
d’Israël s’est emparé du lieu et n’a
cessé depuis, d’empiéter sur un site
protégé, selon le droit international et
même israélien. En 1964, une section du
cimetière a été rasée et transformée en
parking avec toilettes (!). Depuis 2004,
il est devenu la proie du Centre
Wiesenthal.
Le rabbin Marwin, outragé par
l’annulation de l’exposition, ne se
souvient plus qu’il avait assuré en 2010
que le musée serait bâti non sur le
cimetière « mais un site adjacent
où, pendant cinquante ans, des centaines
de personnes de toutes confessions se
sont garées dans une structure de trois
étages sans aucune protestation »…
A l’époque, cela s’était d’ailleurs
révélé mensonger car le « parking »
en question - selon l’historien Rachid
Khalidi de l’Université de Columbia, un
des dirigeants de la « Campaign to
Preserve Mamilla » - faisait partie
intégrante du cimetière !
Un sursis à exécution du Tribunal
Islamique, organisme faisant partie du
système judiciaire israélien, a été
écarté par le gouvernement israélien. L’Association
Al-Aqsa et la Campaign to
Preserve Mamilla ont écrit à l’UNESCO
pour demander d’étudier le dossier, sans
résultat.
Le Département des Antiquités
israéliennes (IAA) a conduit des
fouilles secrètes dans le périmètre
sud-ouest du cimetière, le 26 juin 2011,
profanant une centaine de tombes,
provoquant ce que Gidéon Suleimani, chef
des fouilles de l’IAA, a décrit
comme« une transgression importante
de l’éthique de la profession
d’archéologue ». Le droit israélien
– comme la loi sur les Antiquités de
1976 et les règlements de 1994 du
ministère des Affaires religieuses sur
le transfert de restes humains - ont été
violés. Heiner Bielefeld, rapporteur
spécial des Nations unies pour la
liberté religieuse ou de croyance s’est
adressé au gouvernement israélien pour
s’assurer que « les fouilles et les
travaux de construction sur le site de
Mamilla respectaient et promouvaient le
respect du patrimoine et la propriété
culturels ainsi que la liberté de
religion ou de croyance ». Son
rapport n’a jamais reçu de réponse
d’Israël. Il en fut de même pour les
tentatives de renseignements de F.
Bandarin, de l’UNESCO en 2006
qui, contre toute attente, indiquait que
le cimetière Mamilla n’entrait pas dans
la juridiction de l’UNESCO,
alors que le mandat de cette
organisation est bien plus vaste.
Cependant, en 1996, l’UNESCO
avait une position très claire : «
on m’a confirmé qu’il n’existait pas de
projet qui désacraliserait le site mais
qu’au contraire, le site et les tombes
seraient sauvegardés…et restaurés…en
accord avec les autorités du Waqf
(1)». Rien n’a été entrepris
pour stopper la construction du musée
israélien.
Indignation
à géométrie variable
Lorsqu’au Mali, Ansar al-Din
a détruit d’anciennes tombes à
Tombouctou, Irina Bokova a déclaré sur
la chaîne CNN : « l’attaque
sur Tombouctou est une attaque contre
notre Humanité ; elle est aussi… une
attaque contre la tolérance…Une attaque
contre la preuve matérielle que la paix
et le dialogue sont possibles ».
Elle s’est rendue personnellement au
Mali et une autre fois, en 2013, avec le
président Hollande pour demander «
la restauration culturelle immédiate …
comme un élément fondamental de l’unité
nationale et de la réconciliation
».
La destruction du cimetière Mamilla,
à Jérusalem, n’a pas eu droit à pareille
réaction. Comment expliquer que dans un
cas la profanation de tombes est «
un crime contre l’humanité » et
dans un autre un non-événement ?
(1) Autorité musulmane
gérant les biens légués à perpétuité à
une œuvre pieuse.
*Version originale : Grave silence
http://www.frontline.in/world-affairs/grave-silence/article5652845.ec
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 12 mars 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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