Réseau Voltaire
La Russie se déploie militairement en
Iran
Valentin Vasilescu
Vendredi 19 août 2016
Les dirigeants et les médias occidentaux
sont désarçonnés par l’installation
d’une base militaire russe en Iran,
comme ils l’avaient été lors de leur
installation en Syrie, en septembre
2015. Pourtant, ces deux déploiements
avaient été très longuement préparés,
depuis novembre 2015 pour l’Iran, depuis
juin 2012 pour la Syrie. Même si elle
n’est pas destinée à être permanente, la
base d’Hamadān atteste du changement de
statut international de la Russie,
désormais présente au-delà de sa zone
d’influence traditionnelle.
Le 30 septembre 2015,
la Russie a déployé un groupe de
bombardiers de combat sur la base
aérienne de Hmeymim pour débuter la
campagne de bombardements contre les
jihadistes en Syrie. Le 23 novembre
2015, le président Vladimir Poutine a
effectué une visite en Iran. Il est
supposé que, durant cette visite, il
avait demandé l’autorisation d’utiliser
la base aérienne de Hamadān pour au
moins une escadrille de bombardiers
lourds Tu-22M3 russes qui devait opérer
en Syrie. Les conditions de livraison
des missiles anti-aériens russe S-300 à
l’Iran contenaient l’autorisation
d’utilisation par les Russes de cette
base aérienne. Poutine voulait que ces
systèmes S-300 prennent sous leur
protection les bombardiers lourds russes
déployées en Iran. Par ailleurs, la
version livrée de S-300 à l’Iran est la
plus puissante (S-300 PMU2), étant
proche de la performance du S-400.
Jusqu’à la Révolution islamique de
1979, les États-Unis avaient créé en
Iran des infrastructures d’aérodromes
ultra-modernes disposant de groupes
techniques dans des bunkers capable de
faire fonctionner, armer et maintenir
des bombardiers lourds B-52 et des
bombardiers supersoniques B-58 en cas de
conflit avec l’URSS. Par conséquent, les
bombardiers lourds Tu-22M3, à géométrie
variable, avec une vitesse maximale de
2 300 km/h et un équipage composé de
quatre membres, disposent en Iran de
bien meilleures installations qu’en
Syrie ainsi que pour les munitions. Et
la Russie possède plus de 70 bombardiers
de ce type. Deux bombes accrochées sur
des bombardiers légers Su-24, Su-25 et
Su-34, peuvent être assemblées et
testées électroniquement sur la
plate-forme de la base aérienne de
Hmeymim. Mais quand il s’agit de 40 à 90
bombes à embarquer dans la soute d’un
bombardier Tu-22M3, il faut projeter un
groupe technique spécial, de nombreux
armuriers et des outils spécialisés.
À la fin juillet 2016, l’armée arabe
syrienne a réussi à couper la route
d’accès de Castello qui relie Alep au
gouvernorat d’Idlib au nord-ouest de la
Syrie occupée par les jihadistes. La
manœuvre de l’armée arabe syrienne a
isolé un groupe de 10 000 combattants à
l’est d’Alep. Les mercenaires ont réussi
à transférer en une nuit à Idlib environ
10 000 autres combattants qui ont
commencé deux contre-attaques dans le
nord-ouest et au sud d’Alep, pour briser
l’encerclement.
Bien que des avions de reconnaissance
sans pilote russes aient détecté très
tôt des formations de plusieurs colonnes
de transport massif de troupes,
d’approvisionnement de munitions et de
blindés, les quelques bombardiers russes
ne pouvaient agir que sur l’une d’entre
elles. Commence alors la course sur les
55 km qui séparent Idlib de Alep,
sachant qu’il faut 1 h 15 aux camions et
au matériel blindé des jihadistes pour
les franchir.
Les quelques bombardiers russes
restants à la base aérienne de Hmeymim
(Su-24 et Su-25), après que les Russes
aient échoué dans leur tentative
d’imposer un cessez-le-feu (27 février
2015) peuvent exécuter chaque jour 2 à 3
sorties, chaque avion ayant besoin d’un
minimum de trois heures pour se
ravitailler et des armes pour revenir
au-dessus de la cible à neutraliser. Ces
avions sont armés chacun de 2 à 4 bombes
intelligentes d’une grande précision
(KAB-250 S/LG de 250 kg KAB-500 L/Kr de
500 kg et KAB-1500 L à guidage laser ou
KAB-1500 Kr guidée par caméra TV).
Chaque avion peut également être équipé
de missiles air-sol guidés de type Kh-29
L/T et T Kh-25 T (guidés par faisceau
laser ou une caméra TV), lancés à partir
d’une distance de 10 à 12 km de la
cible.
Il est connu que les jihadistes
continuent à opposer une résistance
farouche aux troupes terrestres
syriennes, en raison de la protection
offerte par les tunnels souterrains
qu’ils avaient creusés, de l’utilisation
des terrains fragmentés au nord-ouest de
la Syrie, et des armes antichars
modernes états-uniennes, avec lesquels
ils ont été formés. Dans une analyse
publiée sur Réseau International
le 2 décembre 2015, nous soutenions que
la Russie avait fait une grosse erreur
en hésitant à apporter au moins 30
bombardiers lourds Tu-22M3, Tu-95MS et
éventuellement Tu-160 dans un pays
voisin, où les avions pourraient
exécuter des vols quotidiens, trois
frappes chacun. L’action des bombardiers
lourds vise à la destruction des
infrastructures des jihadistes, y
compris le stockage des armes et des
munitions dans la province d’Idlib et
dans le nord de la province d’Alep, et
également la destruction des jihadistes.
Les objectifs des bombardiers lourds
russes sont disposés sur une bande de 20
à 30 km de profondeur et longue de 70 à
80 km, le long de la frontière syrienne,
dans les gouvernorats d’Alep, Idlib et
Lattaquié.
C’est seulement après avoir nettoyé
cette bande frontalière par des
bombardements qu’elle pourrait être
sécurisée par l’armée arabe syrienne et
que les bombardements de l’aviation
russe pourraient être étendus à d’autres
régions de la Syrie. Contrairement aux
bombardiers tactiques Su-24, Su-25 et
Su-34 utilisés par les Russes en Syrie,
un bombardier lourd russe Tu-22M3 couvre
avec un tapis de bombes une superficie
équivalente à plusieurs terrains de
football dans une mission. Par exemple,
lors de l’invasion de l’Irak en 2003, la
coalition menée par les USA a utilisé
environ 1 400 avions de combat, et dans
les premiers jours de l’opération, ils
ont utilisé plus de 100 bombardiers
lourds états-uniens B-2, B-52 et B-1B.
Le 15 août 2016, Al-Masdar News a
publié des photos des trois premiers
bombardiers lourds russes Tu-22M3
déployés sur la base aérienne d’Hamadān
dans l’ouest de l’Iran. Le lendemain,
des avions Tu-22M3, ainsi que quatre
bombardiers légers Su-34 ont bombardé
des cibles des groupes État islamique et
Jabhat al-Nusra/Jabhat Fatah al-Sham
dans Seraquib (5 km à l’est de Idlib),
Al-Bab (nord-Est du gouvernorat du
d’Alep) et Deir ez-Zor.
Auparavant, des formations d’avions
russes Tu-22M3 (qui, en pleine charge
ont une portée de 2 500 km) avaient
réalisé des frappes aériennes en Syrie,
en décollant de la base aérienne de
Mozdok (Ossétie du Nord), volant
au-dessus de la mer Caspienne, l’Iran et
l’Irak. Étant proche de la limite de la
plage tactique, la quantité de bombes
(9 000 à 12 000 kg) a été réduite à un
tiers pour pouvoir transporter une plus
grande réserve de carburant. La distance
entre les cibles bombardées en Syrie et
la base aérienne Mozdok est de plus de
2 300 km qui est parcourue en près de
trois heures. En utilisant la base
aérienne iranienne de Hamadān, la
distance est divisée par trois, soit
700 km. Souvent, durant les trois heures
qui suivent le décollage de Russie des
bombardiers russes, leur trajet est
découvert par les satellites d’une
grande puissance mondiale qui prévient
les groupes jihadistes de l’imminence
d’une attaque aérienne russe. Cela leur
donne le temps de rentrer dans les
tunnels souterrain dont ils disposent.
Le 23 novembre 2015, un bombardier Su-34
russe effectuait facilement un
atterrissage sur la base aérienne de
Hamadān. L’avion, très probablement en
route vers la Syrie, a dû avoir une
défaillance technique et a préféré
atterrir en toute sécurité à Hamadān. Il
a attendu sur place l’équipe technique
qui est arrivée le lendemain, à bord
d’un avion-cargo IL-76 pour réparer la
panne. Les deux avions ont ensuite
quitté la base aérienne Hamadān.
Il est possible que le
déploiement des bombardiers lourds
russes sur la base aérienne de
Hamadān ait été reporté jusqu’à ce
que tous les cinq bataillons de
missiles antiaériens de longue
portée russes, livrés à l’Iran à
partir du 15 avril 2015, soient
devenus opérationnels et que leurs
équipages aient terminé leur
formation en tir réel. L’un des cinq
bataillons de S-300 a été localisé
au sud de Téhéran, soit à moins de
100 km de la base aérienne de
Hamadān. Les bombardiers russes au
sol sont donc protégés par des
missiles iraniens S-300. Le système
S-300 se compose de huit lanceurs
sur un châssis de camion, chacun
avec quatre missiles sur la rampe.
Il est capable de suivre 100 cibles
aériennes et d’engager le combat
avec 12 à 36 d’entre eux à une
distance de plus de 200 km.
Valentin Vasilescu
Traduction
Avic
Réseau International
Valentin
Vasilescu
Expert militaire.
Ancien commandant adjoint de l’aéroport
militaire d’Otopeni.
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