Réseau Voltaire
L’Allemagne tente de se sortir du
conflit syrien
Thierry Meyssan
Angela
Merkel tente de changer de politique
dans le conflit syrien.
Jeudi 29 octobre 2015
L’Allemagne tente de sortir du
rôle qui lui a été assigné durant le
conflit syrien. Le ministre des Affaires
étrangères, Frank-Walter Steinmeier,
cherche à organiser une réunion au
sommet entre grandes puissances pour
négocier la paix. Mais ce projet sera
très difficile à réaliser, à la fois
parce que l’Allemagne a une lourde
responsabilité dans la guerre et parce
que la France persiste à vouloir
détruire la République arabe syrienne.
Lorsque les
États-Unis passèrent à l’attaque de la
Syrie, en 2003, ils sollicitèrent
l’Allemagne et Israël avant de confier
l’opération au Royaume-Uni et à la
France. À l’époque, les services secrets
allemands participèrent aux côtés du
Mossad à l’assassinat de Rafic Hariri en
fournissant une arme qu’ils étaient les
seuls à détenir [1].
L’idée était de provoquer une réaction
populaire anti-syrienne, puis de faire
débarquer les Marines pour repousser
l’« occupant », conformément au plan de
l’US Committee for a Free Lebanon et du
Middle East Forum de Daniel Pipes exposé
dans Mettre fin à l’occupation
syrienne du Liban : le rôle des
États-Unis (Ending Syria’s
Occupation of Lebanon : The U.S. Role) [2].
Cependant l’opération échoua puisque la
Syrie, soulignant qu’elle était
militairement présente au Liban à la
requête de la communauté internationale
(Accords de Taef [3]),
évacua le pays lorsque la rue en fit la
demande.
L’Allemagne joua encore un rôle
décisif avec Israël lorsque
l’ambassadeur US, Jeffrey Feltman,
organisa la Commission d’enquête
internationale chargée par Ban Ki-moon
de faire la vérité. Berlin fournit
l’ancien procureur Detlev Mehlis, qui
avait déjà rendu d’invraisemblables
services à la CIA en attribuant un
attentat du Mossad à Berlin à Mouamar
el-Khadafi, et l’ancien commissaire de
police Gerhard Lehmann et agent du BND,
qui se trouva par la suite impliqué dans
les crimes commis par la CIA dans des
prisons secrètes [4].
Mais, là encore l’opération échoua
puisque, après avoir accusé les
présidents Émile Lahoud et Bachar el-Assad
d’avoir commandité l’assassinat de Rafic
Hariri, la Commission Mehlis s’effondra
dans le scandale des faux témoins [5].
L’Allemagne encore s’impliqua dans la
guerre actuelle, cette fois aux côtés du
Royaume-Uni et de la France, en confiant
la présidence de la réunion du « Groupe
de travail sur le relèvement économique
et le développement » des « Amis de la
Syrie », à un haut diplomate, Clemens
von Goetze. En juin 2012, il partagea
lors d’une réunion à Abu Dhabi les
richesses de la Syrie entre les États
qui accepteraient de saboter la
Conférence de Genève. Avant même d’avoir
renversé la République arabe syrienne,
les alliés se répartissaient les
concessions d’exploitation de son gaz.
Le ministre des Finances, Wolfgang
Schäuble, créa un secrétariat permanent,
doté d’un budget de 600 000 euros, pour
gérer le pillage des hydrocarbures qu’il
confia à Gunnar Wälzholz qui avait déjà
servi identiquement contre
l’Afghanistan [6].
En janvier
2015, une marche de la tolérance
rassemblait à Berlin des responsables
politiques allemands et des leaders
musulmans en réaction à l’attentat
contre Charlie Hebdo à Paris. Madame
Merkel défilait bras dessus, bras
dessous avec Aiman Mazyek, secrétaire
général du Conseil central des
musulmans. Bien qu’il prétende avoir
rompu avec les Frères musulmans et
tienne un discours ouvert, M. Mazyek
protège au sein de son organisation la
Milli Gorus (l’organisation suprémaciste
de Recep Tayyip Erdoğan) et les Frères
musulmans (la matrice des organisations
jihadistes, présidée par Mahmoud Ezzat,
ex-bras droit de Sayyed Qutob).
Lorsque la France sabota la
Conférence de Genève, l’Allemagne
toujours aida à réaliser le plan
—conçu dès 2007 par John Negroponte,
alors directeur du Renseignement
national US— de guerre de type
nicaraguayen. Il s’agissait de
multiplier les groupes terroristes
pour « saigner » le pays. Elle mit à
disposition la coordination
internationale des Frères musulmans,
toujours présente sur son
territoire, à Aix-la-Chapelle,
depuis la Guerre froide. C’est
actuellement depuis là que la
retraite d’Ahrar el-Sham, d’al-Qaïda,
de Daesh et des autres est
organisée.
Pourtant, aujourd’hui, le
gouvernement Merkel constate
l’efficacité des bombardements
russes, les atermoiements
états-uniens, et le bouleversement
de l’équilibre stratégique
international. Il cherche donc à se
retirer de ce combat perdu et à
faire la paix avec la Syrie. Ce
revirement correspondrait évidemment
à un rapprochement tant attendu —et
tant redouté par Washington— entre
Berlin et Moscou.
Cette évolution peut être
expliquée au public à l’occasion de
la crise des migrants. Préparée un
an à l’avance à la demande du patron
de l’industrie lourde Ulrich Grillo
et exécutée par le président Recep
Tayyip Erdoğan, le Haut-commissaire
aux Réfugiés António Guterres, et le
spéculateur George Soros, des
centaines de milliers de personnes
ont traversé les Balkans pour aller
travailler à moindre prix en
Allemagne [7].
Toutefois, l’opération s’est
interrompue avec le début de
l’intervention militaire russe, les
Allemands ayant peur que des
jihadistes fuyant les bombardements
ne se mêlent aux migrants et aux
réfugiés. D’ores et déjà, la
population allemande se dresse
contre les étrangers car le patronat
a profité de l’occasion pour abolir
le salaire minimum dans plusieurs
États fédérés. Du coup, la « crise
des réfugiés » fournit un possible
alibi à un changement de politique
face à la Syrie.
Quoi qu’il en soit, le
rapprochement entre l’Allemagne et
la Syrie sera difficile à négocier.
Le ministre des Affaires étrangères
et ancien patron du Renseignement,
Frank-Walter Steinmeier, espère
pouvoir organiser une réunion de
type 5+1 (format de Vienne pour
l’Iran) pour résoudre le conflit
syrien. Mais la Russie le pousse à
être plus ambitieux et à réunir
autour de la table le président
Poutine, la chancelière Merkel, le
président Hollande et le président
el-Assad (format Normandie comme
pour l’Ukraine).
[1]
« Révélations
sur l’assassinat de Rafiq Hariri »,
par Thierry Meyssan, Оdnako
(Russie), Réseau Voltaire, 29
novembre 2010.
[2]
« Les
plans de l’US Committee for a Free
Lebanon », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 8 mars 2005.
[3]
« Accord
de Taëf (23 octobre 1989) »,
Réseau Voltaire, 23 octobre 1989.
[4]
« Attentat
contre Rafic Hariri : Une enquête
biaisée ? », entretien de Jürgen
Cain Külbel avec Silvia Cattori,
Traduction Eva Hirschmugl , JPH,
Réseau Voltaire, 15 septembre 2006.
[5]
« La
commission Mehlis discréditée », par
Talaat Ramih, Réseau Voltaire, 9
décembre 2005.
[6]
« Les
"Amis de la Syrie" se partagent
l’économie syrienne avant de l’avoir
conquise », par German Foreign
Policy, Horizons et débats
(Suisse), Réseau Voltaire, 14
juin 2012.
[7]
« La
fausse "crise des réfugiés" », par
Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
7 septembre 2015.
Source
Al-Watan (Syrie)
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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