Réseau Voltaire
À quoi joue Angela Merkel
avec la Turquie ?
Thierry Meyssan
Vendredi 29 avril 2016
Au premier abord, la chancelière
allemande soutient la guerre turque
contre la Syrie et subventionne la
fermeture de ses frontières avec l’Union
européenne. Mais on ne comprend pas
comment elle entend gérer les
conséquences de la militarisation
turque, notamment en termes d’expansion
du terrorisme et d’expulsion des Kurdes
et des chrétiens.
L’accord
UE-Turquie du 18 mars 2016 sera-t-il
appliqué ? Officiellement, la
Turquie devait recevoir 6 milliards
d’euros en deux ans et bénéficier
d’une exemption de visa dans
l’espace Schengen en échange d’une
fermeture de sa frontière et du
retour chez elle des migrants qui
seraient néanmoins parvenus dans
l’Union.
Cet accord ne porte ni sur les
1,8 million de migrants déjà entrés
dans l’UE depuis la Turquie, ni sur
les 2,7 millions de réfugiés syriens
stationnés en Turquie.
Un mois après sa signature, seuls
325 migrants ont été renvoyés en
Turquie et 103 réfugiés syriens ont
été légalement acceptés dans
l’Union.
À l’évidence, ce n’est pas pour
cela que Bruxelles avait promis 6
milliards d’euros. Il s’agissait
bien d’un financement déguisé de la
guerre ; un financement par l’Union
à la demande expresse de la France
et de l’Allemagne.
Le voyage d’Angela Merkel en
Turquie, le 23 avril, visait, selon
Berlin, à parachever l’application
de l’accord. La chancelière fédérale
allemande a donc visité le camp
modèle de Nizip-2 ; le seul camp
correctement tenu en Turquie et
absolument pas représentatif des
conditions de vie déplorables des
réfugiés syriens.
Cette étrange visite, dont les
journalistes ont été exclus au
profit des seuls services officiels
de communication, a permis de
prendre de charmantes photos de la
chancelière avec des enfants biens
nourris et épanouis ; une manière de
dire sans le dire que la Turquie n’a
pas besoin de l’argent de l’Union
pour prendre soin des réfugiés, mais
bien pour poursuivre la guerre.
L’Allemagne a joué un rôle
important contre la Syrie. C’est
elle qui a fourni, en 2005, l’arme
qui servit aux États-Unis et à
Israël pour assassiner Rafic Hariri.
C’est elle qui a organisé, en 2012,
la réunion des « Amis de la Syrie »
à Abou Dhabi au cours de laquelle
les puissances coloniales se sont
partagées les futures concessions de
gaz syrien. C’est encore elle qui a
facilité, également en 2012, la
rédaction du plan secret de Jeffrey
Feltman de capitulation totale et
inconditionnelle de la Syrie. Et
c’est encore elle qui poursuit ce
projet à Genève, via Volker Perthes,
l’adjoint de Stefan De Mistura.
Au cours de ce voyage à
Gaziantep, la chancelière fédérale a
déclaré : « J’ai (...) à nouveau
réclamé que nous ayons des zones où
le cessez-le-feu soit
particulièrement renforcé et où un
niveau suffisant de sécurité puisse
être garanti ». Pour les agences de
presse occidentales, elle aurait
ainsi accordé son soutien au projet
turc de « zone de non-survol » sur
le territoire syrien. Au demeurant,
cette position est de pure forme car
son application supposerait un vote
du Conseil de sécurité auquel la
Russie, la Chine et les États-Unis
sont opposés.
Il est difficile d’interpréter la
position allemande. S’il est clair
que Madame Merkel cherche à ménager
son allié turc, à obtenir de lui
qu’il stoppe les migrants et à
l’aider à poursuivre la guerre
contre le Peuple syrien, il est
impossible d’imaginer qu’elle ne
s’inquiète pas de l’extension de ses
activités terroristes en Europe, ni
de sa volonté annoncée de priver 6
millions de Turcs de leur
citoyenneté, ce qui provoquerait une
nouvelle vague de migration.
Source
Al-Watan (Syrie)
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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