Réseau Voltaire
Vers la fin des négociations de Genève
Thierry Meyssan
Réunion du
Groupe international de soutien à la
Syrie (Vienne, 17 mai 2016).
Lundi 23 mai 2016
Washington et Moscou sont parvenus à
maintenir leur accord sur la Syrie après
que John Kerry ait assuré à son
homologue russe que les armes livrées
par le Pentagone en avril à Al-Qaïda et
à Daesh l’avaient été en vertu d’un
ancien programme aujourd’hui abandonné.
On se dirige vers l’arrêt des
négociations de Genève et la reprise de
discussions intra-syriennes sans les
pro-Saoudiens et incluant les Kurdes.
L’implication
états-unienne en Syrie est toujours
aussi confuse. Alors que, le 22 février
2016, John Kerry avait négocié une
cessation des hostilités et que la
Russie avait retiré ses bombardiers, la
Turquie —membre de l’Otan— a poursuivi
son soutien à Daesh.
Le 8 mars, la Russie déposait au
Conseil de sécurité un rapport accusant
Ankara de contrôler le trafic
d’antiquités au profit de Daesh [1].
Le 18 mars, elle en déposait un nouveau
l’accusant de livrer des armes et des
munitions à Daesh [2].
Dans les deux cas, la Turquie « réfutait
totalement » ces allégations et accusait
la Russie d’organiser une manœuvre de
diversion pour « détourner l’attention
de la communauté internationale des
pertes civiles, du chaos et des
destructions considérables causés par le
régime syrien et les opérations
militaires russes en Syrie ».
L’état-major russe persistait en
révélant qu’Ankara venait de laisser
entrer en Syrie 9 000 nouveaux
jihadistes. Cependant, on pouvait alors
penser que la Turquie agissait de son
propre chef sans en référer aux
États-Unis.
Or, le 7 avril, le département US de
la Défense livrait 2 000 tonnes d’armes
aux « groupes armés modérés », dont
environ 500 ont été immédiatement
redistribués à Al-Nosra (Al-Qaïda) et
500 autres à Daesh [3].
Quoi qu’il en soit, le soutien de la
Turquie à Daesh semble avoir brusquement
diminué au cours des derniers jours.
Il semble, qu’à l’abri des regards,
Moscou ait violemment protesté de sorte
que le 9 mai, John Kerry et Sergeï
Lavrov publiaient une déclaration
commune [4].
Ils y exhortent « tous les États à
mettre en œuvre la résolution 2253
(2015) du Conseil de sécurité, en
empêchant tout soutien matériel ou
financier à l’ÉIIL [Daesh], au Front al-Nosra
ou à tout autre groupe qualifié de
terroriste par le Conseil de sécurité de
l’ONU, et de couper court à toute
tentative de ces groupes de franchir la
frontière de la Syrie ».
Il était surtout convenu que
Washington fixait à ses alliés une date
butoir, début juillet, pour parvenir à
un accord négocié à Genève. Au-delà, il
retirait toutes ses forces armées,
tandis que la Russie amènerait le
porte-avions Amiral Kutznesov au
large de la Syrie pour reprendre, à
moindre échelle, sa campagne de
bombardement des organisations
terroristes (désormais ré-armées) [5].
Cependant, le flou n’était toujours
pas définitivement éclairci. Un vif
incident opposa Russes et États-uniens à
l’Onu à propos de l’Armée de l’islam (Jaysh
al-islam) et du Mouvement islamique des
hommes libres du Sham (Ahrar al-Sham).
Moscou entendait les inscrire sur la
liste des « organisations terroristes »,
alors que Washington souhaite les
considérer encore comme « groupes armés
modérés ».
L’Armée de l’islam est une formation
payée par l’Arabie saoudite et encadrée
par des SAS britanniques. D’abord
dirigée par Zahran Allouche, elle sema
la terreur dans la banlieue de Damas et
menaça la capitale durant trois ans. son
chef, qui vouait un culte à Ossama Bin
Laden, se caractérisa par sa cruauté,
faisant décapiter de nombreux habitants
et en utilisant d’autres, enfermés dans
des cages, comme boucliers humains. En
définitive, les bombes pénétrantes de
l’Armée de l’Air russe eurent raison du
bunker souterrain qui avait été
construit pour abriter son état-major.
Après une période de flottement, l’un
des 17 adjoints d’Allouche, Issam el-Bouaydani,
prit temporairement sa succession. Il
fut rapidement évincé au profit d’un
religieux wahhabite, cheikh Abou
Abdarrahman Kaaké. Ce dernier favorisa
la nomination d’un cousin de Zahran
Allouche, Mohamed Allouche, pour diriger
la délégation de l’opposition saoudienne
aux négociations de paix intra-syriennes
de Genève. Ce dernier s’est illustré en
précipitant des Syriens accusés d’être
gays du haut des toits —la République
arabe syrienne est le seul État arabe à
respecter la vie privée et à ne pas
pénaliser les homosexuels—.
Le Mouvement islamique des hommes
libres du Sham est également encadré par
les Britanniques. Comme l’Armée de
l’islam, sa communication est assurée
par InCoStrat [6].
Son « ministre des Affaires
étrangères », Labib al-Nahhas, circule
librement en Occident. C’est en réalité
lui-même un Britannique, membre du MI6.
Il a publié une tribune libre dans le
Washington Post [7],
et s’est secrètement rendu à New York en
décembre dernier présenter son rapport à
Jeffrey Feltman, dans les bureaux de
l’Onu.
Le 17 mai, le Groupe international de
soutien à la Syrie se réunissait à
Vienne. Dans sa déclaration finale [8],
il met en cause la poursuite par l’Armée
arabe syrienne de sa stratégie
d’encerclement des villages contrôlés
par les jihadistes de « l’opposition
modérée ». Mais surtout, il valide à
nouveau l’ensemble des décisions russo-US
des derniers mois, à savoir :
former
un mécanisme de transition commun entre
le gouvernement syrien et tout
l’éventail de l’opposition à l’étape de
la transition ;
élaborer
une nouvelle Constitution ;
puis
organiser de nouvelles élections
présidentielles et parlementaires sur
cette base.
Or, bien que l’Arabie saoudite soit
membre du Groupe international de
soutien à la Syrie, l’opposition modérée
refuse toujours ces trois points. Elle
persiste à exiger le départ du président
el-Assad et de la plupart des
hauts-fonctionnaires chrétiens, chiites
et alaouites avant la formation du
mécanisme de transition. En outre, elle
n’entend pas affronter les dirigeants
actuels au cours d’élections
démocratiques.
Il n’est pas indifférent qu’au cours
de la réunion de Vienne, un diplomate
ait déclaré que son pays était prêt à
lutter contre Al-Qaïda, mais qu’il
s’interrogeait pour savoir qui
occuperait alors le terrain. Sergeï
Lavrov releva ce qu’il considéra comme
un « lapsus » : ce diplomate admettait
de facto que son pays préférait
une victoire d’Al-Qaïda à une de la
République arabe syrienne. Ce faisant,
il s’éloignait de la décision du Conseil
de sécurité de faire de la lutte contre
le terrorisme son objectif numéro 1.
Le même jour, 17 mai, le représentant
spécial du secrétaire général de l’Onu,
Terje Rød-Larsen, présentait son dernier
rapport sur l’application de la
résolution 1559 et annonçait sa
démission. Cette résolution avait été
rédigée en 2004 à l’initiative des
États-Unis, de la France et de l’Arabie
saoudite pour exiger le désarmement du
Hezbollah libanais, la non-reconduction
du président Émile Lahoud et le retrait
de la force de paix syrienne du Liban.
Elle n’a jamais été appliquée bien que
la Syrie ait elle-même retiré ses
soldats à la demande de la rue libanaise
lors de la « révolution du Cèdre ».
M Ban a immédiatement chargé son adjoint
pour les Affaires politiques, Jeffrey
Feltman, de prendre en charge jusqu’à la
fin de l’année les fonctions de M. Terje
Rød-Larsen en plus des siennes. Or, de
très nombreux observateurs considèrent
que Jeffrey Feltman, ancien ambassadeur
US à Beyrouth, est le véritable
rédacteur de la résolution 1559 et qu’il
dirige aujourd’hui en sous-main depuis
New York la coalition militaire contre
la Syrie.
Le 19 mai, Jeffrey Feltman
participait à une cérémonie à Paris aux
côtés des membres de l’opposition
syrienne de l’étranger, Burhan Ghalioun,
Michel Kilo, Bassma Kodmani et Samar
Yazbeck.
En France toujours, le général Benoît
Puga a annoncé sa démission de ses
fonctions de chef d’état-major
particulier du président de la
République pour rejoindre la
Chancellerie de la Légion d’honneur.
Chrétien intégriste, nostalgique de la
monarchie et de la colonisation, il
avait été le seul militaire à occuper ce
poste auprès de deux présidents
successifs, Nicolas Sarkozy et François
Hollande. Il avait personnellement
dirigé les opérations secrètes de la
France en Syrie —parfois contre l’avis
de l’état-major des armées— notamment
grâce à des officiers de la Légion
étrangère détachés auprès de la
présidence.
On se dirige inexorablement vers une
interruption des négociations de Genève.
Au demeurant, si un accord y survenait
entre les parties syriennes présentes,
il serait invalide au regard des
décisions internationales antérieures vu
l’exclusion —à la demande de la Turquie—
du principal parti kurde. C’est
pourquoi, l’échec de Genève devrait être
suivi d’une reprise des négociations
intra-syriennes avec ceux qui le
souhaitent —c’est-à-dire sans les
pro-Saoudiens, mais avec les Kurdes—.
Puis à la formation d’un mécanisme de
transition avec ces nouveaux
participants. Au plan militaire, l’Armée
arabe syrienne devrait reprendre les
principales villes du pays, mais les
combats devraient persister à la
frontière irako-syrienne.
[1]
« Rapport
de Renseignement russe sur le trafic
d’antiquités de Daesh », Réseau
Voltaire, 8 mars 2016.
[2]
« Second
rapport de Renseignement russe sur
l’aide actuelle turque à Daesh »,
Réseau Voltaire, 18 mars 2016.
[3]
« Les
États-Unis violent le cessez-le-feu en
Syrie et arment Al-Qaïda », « Qui
arme les jihadistes durant le
cessez-le-feu ? », par Thierry
Meyssan, Télévision nationale
syrienne, Réseau Voltaire, 25 et 30
avril 2016.
[4]
« Déclaration
conjointe de la Fédération de Russie et
des États-Unis d’Amérique sur la Syrie »,
Réseau Voltaire, 9 mai 2016.
[5]
« Retour
imminent des avions russes en Syrie »,
par Valentin Vasilescu, Traduction Avic,
Réseau Voltaire, 13 mai 2016.
[6]
« Comment
le Royaume-Uni met en scène les
jihadistes », Réseau Voltaire,
13 mai 2016.
[7]
“The
deadly consequences of mislabeling
Syria’s revolutionaries”, Labib Al
Nahhas, Washington Post, July
10th, 2015.
[8]
“Statement
of the International Syria Support Group”,
Voltaire Network, 17th May 2016.
Thierry Meyssan
Consultant
politique, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007). Compte
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